Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
V

Vichy (gouvernement de) (suite)

Toutefois, le gouvernement de Vichy n’est pas le duplicata français du régime hitlérien ou mussolinien. Tout au plus peut-on le comparer à l’Estado novo de Salazar* par son inspiration chrétienne et son traditionalisme. En outre, les pouvoirs du maréchal, « supérieurs à ceux de Louis XIV », restent très incertains : l’âge du titulaire (quatre-vingt-quatre ans en 1940), la présence des Allemands et leur ingérence illégale dans la vie politique française, l’indépendance d’un Darlan ou d’un Laval à l’égard du maréchal, le large éventail idéologique des hommes de Vichy, tous ces facteurs, à un plus ou moins fort degré, contribuent à affaiblir le caractère autocratique du régime.

Et cela d’autant plus que la « politique de collaboration » et l’évolution de la guerre en faveur des Alliés lui aliènent assez rapidement l’opinion publique, plus attentiste que décidée à rompre avec soixante-dix ans de démocratie.

Enfin, s’il est parmi les hommes de la « Révolution nationale » des admirateurs des États fascistes, la majorité d’entre eux s’affirment patriotes et antiallemands, tout en souhaitant un État plus « musclé » que ne l’était la IIIe République.


Les hommes de la « Révolution nationale »

Vichy a été considéré à juste titre comme un gouvernement de la droite. Une fraction de la droite française n’avait jamais accepté la démocratie. Autour du maréchal, représentatif de cette tendance, il n’est pas étonnant de trouver des hommes issus des milieux maurrassiens, de la Fédération nationale catholique et des associations d’anciens combattants d’extrême droite, dont les ligues avaient manifesté en 1934 dans un style parfois « fasciste » contre le régime parlementaire « corrompu et voleur ». La filiation doctrinale du régime de Vichy avec le courant monarchique de l’Action* française est incontestable : comme lui, il prône le retour aux traditions nationales, au travail honnête du petit agriculteur et de l’artisan. Il s’enferme dans un nationalisme étroit que résume la formule de Charles Maurras* : « La France, la France seule. » Dès avant la guerre, les écrivains Jacques Bainville et Léon Daudet souhaitaient cet État fort, efficace et national. Quelques-uns iront jusqu’à admirer l’État hitlérien (Drieu La Rochelle, Philippe Henriot, Alphonse de Châteaubriant) et se compromettront avec lui. Parmi les intimes du maréchal se rencontrent des maurrassiens dont l’influence occulte sur le chef de l’État est loin d’être négligeable : le Dr Bernard Ménétrel, Henri du Moulin de Labarthète, Raphaël Alibert, René Gillouin.

Mais, à côté de cet important courant de pensée réactionnaire, le personnel de Vichy est composé de toute une catégorie de gens sans coloration idéologique bien définie et qui trouvent dans le vide politique consécutif à la chute de la République l’occasion de réaliser une ambition longtemps contrariée. L’arrivisme, l’opportunisme et l’attentisme politiques sont les vertus premières de ces notables bourgeois qui envahissent les ministères et les assemblées régionales et municipales. Il s’y glisse quelques hommes de gauche, tels le syndicaliste René Belin (1898-1977), ou le radical Gaston Bergery (1892-1974), véritable inspirateur de la « Révolution nationale ». En dehors du gouvernement, Marcel Déat (1894-1955 [qui sera ministre du Travail en 1944]) a quitté la S. F. I. O. en 1933, et Jacques Doriot (1898-1945) est un transfuge du parti communiste.

Enfin, le maréchal s’entoure de technocrates, hommes du secteur privé ou de l’Administration, polytechniciens, centraliens, universitaires. L’historien Jérôme Carcopino (1881-1970) et le philosophe Jacques Chevalier (1882-1962) sont grands maîtres de l’Université, des ingénieurs et des industriels dirigent la production (Jean Bichelonne, François Lehideux) ; un chirurgien veille à la santé (Dr Huard), un sportif anime le secrétariat à l’Éducation physique et aux sports (Jean Borotra) ; l’agronome Pierre Caziot tente de rénover l’agriculture. En somme, une équipe assez éclectique, dont les éléments les plus modérés laisseront peu à peu la place à des « collaborateurs bon teint », surtout après le retour de Laval au gouvernement en avril 1942.

L’objectif premier de Vichy est le redressement du pays. Mais, animés de haine et de rancunes contre la démocratie et le Front* populaire, les hommes de Vichy n’évitent pas l’écueil d’une politique réactionnaire et répressive qui restreint les libertés publiques et assimile la France à un État satellite de l’Allemagne. Pour ces hommes, la démocratie, qui a engendré la défaite, fruit de « vingt années d’erreurs et de folie », doit payer.


La politique de la « Révolution nationale »

Au mépris de la Déclaration des droits de 1789, le gouvernement de Vichy rétablit les « délits d’opinion et d’appartenance » dans la législation. Cela lui permet d’éliminer tous ses ennemis : communistes, socialistes, gaullistes, francs-maçons, dont beaucoup sont emprisonnés ou placés dans des camps, tandis que les autres vont rejoindre la masse des épurés administratifs. En octobre 1940, un statut des Juifs imite les lois de Nuremberg ; chassés de nombreuses professions, fichés par le Commissariat aux questions juives fondé par Xavier Vallat (1891-1972) et organisé à l’allemande par Darquier de Pellepoix, les israélites subissent une lente persécution qui se déchaîne à partir de 1942 en une vague de rafles et de déportations. Vichy porte en ce domaine une lourde responsabilité devant l’histoire.

En février 1942, les « responsables de la défaite » (Édouard Daladier, Paul Reynaud, Léon Blum*, Jules Moch, le général Gamelin*), internés avant d’avoir été condamnés, sont déférés devant la Cour suprême de justice de Riom. Le procès de Riom est suspendu sine die, le 14 avril 1942, car les magistrats refusent d’obéir aux Allemands, qui veulent voir définie la responsabilité de la France dans la guerre. Par cette politique répressive appuyée sur la police et la Milice, Vichy s’aliène l’opinion publique. Dénoncée par la BBC et les journaux de la Résistance*, la répression brutale accentue le processus de vassalisation à l’égard de l’Allemagne et dénature ce qu’il peut y avoir de positif dans l’œuvre de rénovation nationale.