Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Suisse (suite)

Parmi les compositeurs se rattachant de près ou de loin au système tonal, citons, en Suisse romande, Henri Gagnebin (né en 1886), élève de Vincent d’Indy*, dont l’inspiration musclée mais non dépourvue d’humour atteint un sommet dans le Requiem des vanités du monde, et Roger Vuataz (né en 1898), dont l’imposante production — plus de 500 opus — s’est manifestée dans tous les genres, affichant un style complexe répugnant à tout effet extérieur, dont témoignent de grands oratorios (Abraham, Moïse, Jésus). Plus proches de l’école française, dont ils possèdent les architectures aérées et la sensibilité aux timbres, sont Aloys Fornerod (1890-1965), André François Marescotti (né en 1902), dont les dernières œuvres ne sont pas insensibles aux structures sérielles, Jean Binet (1893-1960), à l’inspiration concise et gracieuse, Julien François Zbinden (né en 1917), dont l’art plein de fantaisie n’exclut pas la profondeur, exaltant la voix humaine dans Esperanto, concerto pour voix parlée, chœur et orchestre, et Bernard Reichel (né en 1901).

En Suisse alémanique, Willy Burkhard (1900-1955) a dominé ses contemporains par la puissance de son imagination créatrice et l’ampleur des architectures polyphoniques qu’il réalisa dans des oratorios, Das Gesicht Jesaias (la Vision d’Isaïe), Das Jahr (l’Année), un opéra, Die schwarze Spinne (l’Araignée noire), des cantates comme Die Sintflut (le Déluge), témoignant de ses dons de visionnaire. Aux côtés de Conrad Beck (né en 1901) — qui ajoute à la densité germanique un sens des timbres venu de son séjour à Paris, où il travaille avec Jacques Ibert (1890-1962) et Nadia Boulanger (née en 1887) —, de Rolf Liebermann (né en 1910), compositeur habile et sensible plus connu pour ses qualités de directeur musical à Hambourg et à l’Opéra de Paris, Heinrich Sutermeister (né en 1910) est une figure marquante de l’art dramatique. Ses opéras, dont Roméo et Juliette, Raskolnikov, ont conquis les plus célèbres scènes du monde par leur dynamisme, leur couleur et leur vérité psychologique. Sutermeister a fait des recherches intéressantes dans le domaine de l’opéra télévisé.

Quant à Armin Schibler (né en 1920), il s’est créé un langage personnel à la suite de plusieurs séjours à Darmstadt. Dans des opéras comme Der spanische Rosenstock (le Rosier espagnol), Die Füsse im Feuer (la Foi sanglante), Blackwood and Co., dans des ballets, dans de nombreuses pages pour orchestre ou musique de chambre où l’on sent sa prédilection pour la voix humaine, il exprime avec passion les problèmes de notre temps. Avec Rudolf Kelterborn (né en 1931), il constitue la transition entre l’école traditionnelle et l’avant-garde. Celle-ci, qui reçut une vive impulsion à la suite des cours donnés par Pierre Boulez* à Bâle, a comme chefs de file Klaus Huber (né en 1924), Heinz Holliger (né en 1939), dont la réputation d’hautboïste dépasse encore celle de compositeur, Hans Ulrich Lehmann (né en 1937), tandis que Vladimir Vogel (né en 1896) intéresse par ses réalisations dans le domaine du chœur parlé (Worte, Aforismi e Pensieri di Leonardo da Vinci).

En Suisse romande, la seule figure marquante de lavant-garde est Constantin Regamey (né en 1907), dont le message raffiné, enrichi des conquêtes les plus subtiles dans le domaine de la mélodie, du rythme et du timbre, doit beaucoup aux musiques de l’Orient (Cinq Études pour voix de femme et orchestre, Symphonie des incantations). Citons encore l’activité du Studio de musique contemporaine de Genève sous la direction de Jacques Guyonnet (né en 1933), les œuvres expérimentales, mais dénotant une vive sensibilité d’Éric Gaudibert (né en 1936), les recherches moins osées et plus substantielles de Jean Balissat (né en 1936), désigné comme compositeur de la Fête des vignerons de 1977.

Cette fête, qui a lieu à Vevey tous les vingt-cinq ans, est le témoignage que le folklore, avec ses anciens Festspiele, ses carnavals, est encore vivant. La population de toute la contrée y participe par des cortèges, des chants et des danses. Le succès de ce spectacle, qui est devenu très élaboré avec les années, est d’autant plus énorme que la musique s’y démocratise.

P. M.

 G. Becker, la Musique en Suisse depuis les temps les plus reculés jusqu’à la fin du xviiie siècle (Henn, Genève, 1923). / G. Doret, Temps et contretemps. Souvenirs d’un musicien (Libr. de l’Université, Fribourg, 1942). / Quarante Compositeurs suisses contemporains (Amriswil, 1956). / W. Schuh, H. Ehinger, P. Meylan et H. P. Schanzlin, Dictionnaire des musiciens suisses (Atlantis, Zurich, 1964).

suite de danses

Œuvre de musique instrumentale constituée par une succession de danses stylisées et composée in extenso dans la même tonalité.


La suite est surtout pratiquée sous cette forme aux xvie, xviie et xviiie s., et elle est désignée, selon l’époque et le pays, du nom de balleto, de lesson, d’ordre, d’ouverture, de partita ou de sonata. Elle trouve son origine en Occident au xiiie s. dans la ductia, la nota et l’estampie (stantipes), danses populaires chantées ou jouées sur la vielle, qui, divisées respectivement en cinq ou six sections (ou puncta = points), sont développées selon le principe de la variation. Dans un manuscrit italien du xive s. conservé à Paris (Bibl. nat.), deux danses en mesure ternaire, le Lamento di Tristano et la Manfredina, sont suivies d’une rota, qui les reprend en mesure binaire. Au xve s., des danseurs professionnels confirment la persistance de cette coutume. Domenico da Piacenza montre dans son traité (1416) comment la bassa danza (basse danse) devient la cellule principale d’une série d’autres danses. En 1455, Antonio Cornazzano, dans son Art de danser, fait suivre la basse danse de trois autres mouvements : la quadernaria, le saltarello et la piva, en observant chaque fois une modification du rythme et une accélération progressive du tempo. Ainsi se précise peu à peu l’intention de faire se succéder, au cours d’une même pièce plusieurs mouvements de danse, qui peuvent être chantés ou joués par un ou plusieurs instrumentistes.