Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Piranèse

En ital. Giovanni Battista Piranesi, graveur et architecte italien (Mogliano Veneto 1720 - Rome 1778).


Sa jeunesse est assez mal connue, mais il est certain que son entourage a déterminé sa carrière, de même que Venise lui a donné les moyens d’illustrer Rome. Son oncle maternel, l’ingénieur et architecte Matteo Lucchesi (1705 - v. 1776), lui enseigne les rudiments de l’art de bâtir. L’influence d’un de ses frères aînés, religieux, qui lui fait connaître l’histoire de l’Antiquité, est également très importante pour son avenir. Il lui prend envie de voir Rome, et désormais il ne vivra plus que pour exalter la gloire de la Ville éternelle.

À l’âge de vingt ans, en effet, il a la chance de faire partie, au titre de dessinateur, de la suite d’un ambassadeur vénitien à Rome. Après trois années de visites, d’études et de recherches, il acquiert la conviction qu’aucune des constructions modernes ne peut rivaliser avec la magnificence des anciennes. Et comme il a appris l’eau-forte, il se décide à publier douze planches de projets pour des palais antiques et des temples, suite inspirée souvent de Palladio* et de Fischer von Erlach, et qu’il appelle pompeusement la Première Partie des architectures et perspectives. Mais les architectes en mal de commande ne manquent pas à Rome, et sa publication est un échec total, qui le laisse démuni et le force à regagner Venise (1743 ou 1744).

Il s’y perfectionne dans l’art de graver à l’eau-forte, probablement dans l’atelier de Tiepolo*. C’est sans doute à ce moment qu’il met au jour ce qui sera son plus grand succès, les Prisons imaginaires. Ces grandes planches, gravées avec un sens dramatique très sûr, dû à la fréquentation assidue des théâtres et opéras vénitiens et à l’étude de leur mise en scène, ne ressemblent à rien de ce qui se fait alors, ni même à ce que Piranèse exécutera par la suite. Il retravaillera d’ailleurs ses plaques quinze ans plus tard, ajoutant des motifs décoratifs inspirés de l’antique, noircissant les ombres, compliquant les labyrinthes.

Bientôt, Piranèse retourne définitivement à Rome, où il s’installe comme représentant d’un marchand d’estampes vénitien. La situation déplorable des monuments de l’Antiquité l’émeut, et il va leur consacrer le reste de son existence. Dès 1748, il publie vingt-huit petites vues des Antiquités de Rome au temps de la république (également connues sous le titre de Arcs de triomphe), résultat des voyages incessants, carnet de croquis à la main, à Pola, Ancône, Vérone, Rimini, Spolète. Son activité est ininterrompue. Il répertorie les tombeaux, les ponts, les aqueducs, les théâtres, les arcs de triomphe de Rome et de ses environs : ce travail aboutit en 1756 à la publication, sous le titre des Antiquités de Rome, de quatre énormes volumes de gravures qui restent aujourd’hui un témoignage d’autant plus précieux que leur auteur avait sur ses contemporains archéologues l’avantage d’être initié aux mystères de l’architecture. Les Antiquités de Rome ont connu un grand succès en Europe, surtout hors d’Italie ; Piranèse est tout de suite nommé membre honoraire de la Société des antiquaires de Londres.

Après ce travail colossal, l’artiste se lance dans la polémique avec son ouvrage sur la Magnificence et l’architecture des Romains (publié en 1761), destiné à démontrer que les Grecs ne sont pas les inventeurs de l’architecture et qu’ils ont copié les Romains, ou plus exactement les Étrusques. Mais les premières vues de monuments grecs publiées par James Stuart et Nicholas Revett dans leurs Antiquités d’Athènes ruinent cette thèse.

En même temps, pour le grand public, Piranèse grave ses Vues de Rome, dans lesquelles, sans avoir jamais vraiment peint, il se montre un excellent peintre-graveur. Les compositions sont savamment calculées, toujours renouvelées, et il y a dans l’exécution une puissance et une liberté qui font de ces planches bien autre chose que des travaux documentaires. Au nombre de cent trente-cinq, les Vues de Rome ont été gravées tout au long de la carrière de Piranèse, depuis son retour de Venise jusqu’à sa mort ; aussi montrent-elles mieux qu’aucune autre suite l’évolution de l’artiste, qui aboutit à des compositions d’un caractère romantique, presque fantastique, que des voyageurs comme Goethe regretteront de ne pas retrouver dans les monuments eux-mêmes.

La seule œuvre architecturale que Piranèse ait réalisée est le remodelage de l’église des Chevaliers de Malte, Santa Maria del Priorato, sur l’Aventin. En 1769, il fait paraître un important ouvrage comprenant soixante-six planches de motifs et de projets décoratifs, intitulé Diverses Manières d’orner les cheminées ; il s’agit le plus souvent d’une combinaison fort habile des enseignements des architectures égyptienne, étrusque et grecque ; on y trouve des manteaux de cheminées, mais aussi des horloges, des consoles, des fauteuils, car, pour Piranèse, le travail de l’architecte n’est pas terminé lorsqu’il a tracé des plans et dessiné une façade. L’appel aux thèmes égyptiens est une innovation qui connaîtra une grande faveur pendant tout le xixe s. Le style de Piranèse pourra presque être identifié au style Empire, tant il l’a inspiré.

Pendant les dix dernières années de sa vie, il grave, liées à ses recherches archéologiques, plus de cent planches de vases, candélabres, sarcophages, etc., publiées de 1770 à 1778 et qui sont l’une des sources de la décoration néo-classique (v. classicisme). Mais le dernier travail de Piranèse le ramène à ses débuts : il mesure et dessine les temples doriques de Paestum, dont la découverte, en 1750 seulement, avait provoqué en Europe une surprise égale à celle des premières fouilles de Pompéi. L’un des fils du maître, Francesco Piranesi (Rome 1758 - Paris 1810), participe à la transposition en eau-forte des dessins originaux de cette série.

M. P.

 H. Focillon, Giovanni Battista Piranesi. Essai de catalogue raisonné de son œuvre (Laurens, 1918). / A. M. Hind, Giovanni Battista Piranesi. A Critical Study (Londres, 1922). / A. H. Mayor, Giovanni Battista Piranesi (New York, 1952). / H. Thomas, The Drawings of Giovanni Battista Piranesi (Londres, 1954). / L. Keller, Piranèse et les romantiques français (Corti, 1966). / J. Wilton-Ely, Piranesi, The Polemical Works (Farnborough, 1972). / R. Bacou, Piranèse [Éd. du Chêne, 1974).