Pie XI (suite)
C’est dans cette perspective que se situe l’une des grandes initiatives de Pie XI : l’Action* catholique, apostolat organisé des laïques collaborant, dans leur milieu propre, à l’extension du royaume de Dieu : formule révolutionnaire, les laïques ayant été considérés jusque-là comme voués aux tâches charitables ou intellectuelles. La notion de laïcat prenait une nouvelle dimension. Dès l’encyclique Ubi arcano Dei (1922), Pie XI avait dessiné les grandes lignes de l’Action catholique ; dans la pratique, il n’eut qu’à encourager l’initiative d’un prêtre belge, l’abbé Cardijn, qui, en 1925, lançait la J. O. C. (Jeunesse catholique ouvrière) : celle-ci passait en France et gagnait le monde entier. S’organisèrent une Action catholique générale visant à constituer de vraies communautés paroissiales, à agir par ses services de presse et d’information sur l’opinion publique, et une Action catholique spécialisée adaptée aux milieux d’étudiants (J. E. C.), de jeunes ruraux (J. A. C.), de marins (J. M. C.), et aux milieux bourgeois (J. I. C.). Des mouvements d’adultes correspondirent à ces mouvements de jeunes auxquels s’ajoutèrent les scouts, les cœurs vaillants, la croisade eucharistique, les fédérations sportives. De Fribourg, les organisations internationales catholiques coordonnèrent le travail.
Le travail accompli par l’Action catholique a été considérable ; elle a placé partout — des usines aux assemblées délibérantes — des hommes et des femmes qui, tout en étant spécifiquement chrétiens, sont partie vivante et agissante de leur milieu propre. La conjonction de ce témoignage multiple et du travail d’information et d’approfondissement des intellectuels, des théologiens, de la hiérarchie et du clergé a habitué le monde moderne à dialoguer avec les catholiques, à compter avec eux.
En ce qui concerne la question sociale, Pie XI, dans son encyclique Quadragesimo anno (1931), élargit encore les conclusions de Rerum novarum (1841). Le syndicalisme chrétien prend vraiment corps sous son pontificat : en 1939, la C. F. T. C. compte 500 000 adhérents.
Pape des missions, Pie XI met tous ses soins à la formation et à l’exaltation du clergé autochtone : en 1923, il sacre le premier évêque indien ; en 1926, les six premiers évêques chinois ; en 1933, le premier évêque vietnamien. Dès 1922, il transfère de Lyon à Rome l’œuvre de la Propagation de la foi.
Contre l’étatisme
Le pontificat de Pie XI est celui de l’entre-deux-guerres : une courte euphorie suivie, à partir de 1929, d’une grave crise économique qui accentue le déséquilibre moral et fait peser sur la démocratie une menace tragique. La misère, l’anarchie, le chômage jettent les peuples vers les extrêmes : les dictatures prolifèrent sur le terrain bouleversé. Dès 1926, le Portugal devient une république unitaire corporative dont, en 1928, Salazar est le maître : l’Église officielle y trouve son compte. L’Espagne, perpétuellement tiraillée entre les anarchistes anticléricaux et les militaires appuyés sur l’Église, passe de la dictature de Primo de Rivera au Frente popular, puis, après l’atroce guerre civile (1936-1939), au gouvernement autoritaire du général Franco* : l’Église d’Espagne sera longtemps liée à un pouvoir qui la favorise.
L’Italie pense avoir été arrachée à l’anarchie par Mussolini*, mais rares sont les esprits suffisamment clairvoyants pour voir de quelle aliénation de la liberté s’accompagne l’emprise du fascisme*. La France, touchée la dernière par la crise, semble entre 1934 et 1937 devoir verser aussi dans la guerre civile, mais, après une brève expérience de Front* populaire, elle s’endort dans les bras d’un régime moribond.
Depuis 1933, Adolf Hitler* est le maître de l’Allemagne, d’où monte chaque jour vers lui l’enthousiasme de foules écrasées par l’après-guerre. Mais Hitler est aussi un doctrinaire : le national-socialisme*, fait de slogans brutaux, exalte la supériorité de la race germanique, la notion nietzschéenne de surhomme, l’antisémitisme, l’apologie de la guerre et de la violence... Mein Kampf et le Mythe du XXe siècle deviennent la bible de millions d’hommes et l’on sait les horreurs qu’ils engendreront. Le Führer a des admirateurs et des imitateurs ; si la Bohême est annexée par la force, l’Autriche et son clergé, en 1938, favorisent l’Anschluss, quitte à le regretter bientôt. En Roumanie la Garde de fer, en Hongrie les Croix-Fléchées, en Belgique les Rexistes font la cour à Hitler, tandis que Mgr Tiso, en Slovaquie, dirige l’État le plus antisémite du monde.
Dès 1931, par sa lettre Non abbiamo bisogno, Pie XI dénonce l’incompatibilité du christianisme avec la « statolâtrie païenne » propre au fascisme mussolinien. En mars 1937, à cinq jours d’intervalle, il condamne le « communisme athée » et son matérialisme dialectique (encyclique Divini Redemptoris), et par l’encyclique Mit brennender Sorge, il stigmatise l’étatisme, le racisme, le paganisme, essentiels au national-socialisme, et rappelle les droits inaliénables de l’« homme en tant que personne ». La guerre éclatera six mois après la mort du pontife.
P. P.
➙ Action catholique / Action française / Papauté.
G. Goyau, Sa Sainteté le pape Pie XI (Plon, 1937). / A. Saint-Denis, Pie XI contre les idoles : bolchevisme, racisme, étatisme (Plon, 1939). / M. de Kerdreux, Pie XI. Dans l’intimité d’un grand pape (Salvator, Mulhouse, 1963).