tigre
« Au cœur de la jungle se trouve une cité construite par les tigres, dont les maisons sont en peaux d'homme tendues sur des piliers d'ossements humains. » Ce récit fabuleux qui se raconte encore en Malaisie illustre bien la terreur et la fascination qu'inspire le tigre aux attaques foudroyantes, aux canines redoutables, aux griffes longues de plusieurs centimètres.
1. La vie du tigre
1.1. Chaque nuit, le tigre surveille son territoire
Les tigres mènent une vie solitaire et nocturne. S'ils ne recherchent pas la compagnie de leurs semblables, ils ne manifestent cependant aucune agressivité lors de rencontres fortuites. Ce n'est que dans les réserves, où les populations sont plus denses, que l'on peut voir parfois des tigres adultes se disputer une même proie. Lors de leurs rapprochements furtifs, les tigres communiquent entre eux par des sons et par des signes de reconnaissance : position des oreilles, redressement de la tête, courbure des reins diffèrent selon que la rencontre est amicale ou agressive.
Grand prédateur, le tigre a besoin d'un vaste territoire, dont il puisse exploiter les ressources sans les épuiser. Tout au long de l'année, mâles et femelles déploient un large éventail de signalisations visuelles et olfactives qui indiquent leur présence ou signalent le statut reproducteur des femelles. La majorité des marques se situent aux frontières des différents territoires où elles servent de limites, à proximité de l'eau où la probabilité de rencontres entre tigres est plus forte, et aux alentours des groupes de proies éventuelles. Mâles et femelles déposent des fèces aux endroits stratégiques ou les aspergent d'urine, mêlée de sécrétions odorantes produites par les glandes anales : ces odeurs ont un effet répulsif sur les autres tigres. Ils complètent ces balises en grattant le sol de leurs pattes arrière ou en lacérant les troncs de leurs pattes avant, faisant apparaître ainsi un contraste coloré repérable par les autres tigres.
Une surveillance difficile
Vérifié et redéfini lors de chaque promenade nocturne, le marquage constitue l'une des activités principales du tigre, avec la chasse et le repos diurne. Mais, comme le territoire est généralement trop vaste pour être exploré chaque nuit dans son ensemble, les parties non visitées risquent d'être annexées par les voisins ou peuvent devenir le terrain de chasse temporaire de jeunes tigres en quête de territoire. De plus, en période de fortes pluies, odeurs et traces s'effacent rapidement et il peut y avoir alors coexistence de deux ou trois individus sur un même territoire. C'est le cas également lorsqu'une femelle qui vient de mettre bas n'entretient plus ses balises ou lorsqu'un tigre affaibli ou vieillissant est incapable de maintenir ses marques. Lorsqu'un animal meurt, ses traces disparaissent en quelques jours et son territoire est rapidement colonisé par un nouveau résidant.
La taille des territoires est variable en fonction de l'habitat et du nombre de proies disponibles : dans les forêts humides et les prairies, où les proies sont abondantes, le mâle occupe en moyenne 60 km2, la femelle 30 km2. En Russie orientale, où les forêts mixtes (composées d'arbres à feuilles caduques et persistantes) offrent une quantité inégale de proies, le mâle a besoin de quelque 900 km2 et la femelle d'au moins 250 km2.
Les mâles s'interdisent mutuellement l'accès de leurs territoires, qui se recouvrent rarement. Mais le domaine d'un mâle englobe souvent les territoires, plus petits, de deux ou de trois femelles. Les tigresses acceptent que leurs territoires se recoupent. Dans une aire différente pour chacune, elles préservent cependant une zone vitale, centre principal de leurs activités, dont l'entrée est farouchement interdite. En s'établissant à la périphérie des domaines parentaux, les jeunes favorisent les mélanges génétiques entre populations de tigres.
1.2. Dans les hautes herbes, un chasseur invisible guette sa proie
Dès le crépuscule, le tigre part en chasse. En une nuit, il peut parcourir jusqu'à 20 km (parfois 50 km s'il s'agit d'un tigre de Sibérie) au rythme de 4 à 5 km par heure. Il marche silencieusement, se fiant à sa vue et à son ouïe plus qu'à son odorat.
Les tigres s'attaquent à des proies variées et qui diffèrent selon les sous-espèces. Hormis l'ours, la seule proie véritablement dangereuse pour le tigre est le porc-épic : les pattes blessées par les épines du rongeur peuvent être le siège d'une infection mortelle.
Si le tigre marque une nette préférence pour les grosses proies telles que les cervidés et les bovidés sauvages, son ordinaire se constitue très souvent de petits mammifères ou d'oiseaux. Dans les pays de mousson, comme l'Inde, lorsque les proies de terre sèche fuient les inondations, le tigre se rabat sur le gavial (un crocodilien), le python, voire les grenouilles.
Tous les tigres se montrent adroits à la pêche, lorsque l'occasion s'en présente au cours d'un bain rafraîchissant. Ils s'emparent alors d'un seul coup de patte du poisson imprudent.
Lorsqu'il a repéré une proie, le tigre se met à l'affût, presque immobile. S'il avance, c'est pas à pas, mais il attend plutôt que sa victime se rapproche à une dizaine de mètres de lui. L'attaque est alors foudroyante. Chaque fois, le tigre improvise un assaut adapté à la configuration du terrain et à la position de la proie. Si l'agression échoue, il dédaigne généralement la poursuite, préférant partir à la recherche d'une nouvelle prise. Selon les études du biologiste américain George Schaller, 95 % des attaques se soldent par un échec !
Chasseur expérimenté, le tigre choisit la méthode de mise à mort la mieux adaptée. Il mord les petites proies au cou, brisant ainsi leur colonne vertébrale. Il enserre les plus grosses de ses pattes avant, les griffes plantées dans les chairs.
Quand une proie, comme le buffle, dépasse de moitié son propre poids, il l'achève en lui mordant la gorge. L'animal meurt étouffé, la trachée écrasée.
Un festin de plusieurs jours
À moins d'être affamé par un jeûne de plusieurs jours, le tigre ne dévore pas sa victime immédiatement. Il la transporte sur 200 à 500 mètres jusqu'à un endroit retiré. Il commence par dévorer les quartiers arrière et termine en éventrant la carcasse. Les quantités de viande ingérées en une journée peuvent varier de 6 à 20 kg et atteindre, exceptionnellement, 50 kg. La dégustation d'une carcasse de buffle peut donner lieu à des agapes de quatre à cinq jours.
Adaptés à la capture irrégulière de grosses proies, les tigres sont capables de manger plus qu'à leur faim et de jeûner ensuite trois ou quatre jours. Ils profitent ainsi au mieux d'une chasse réussie, en évitant la perte d'une viande avariée.
S'il arrive à tous les tigres de consommer en très peu de temps une quantité impressionnante de viande, la quantité moyenne ingérée sur une longue période est moins imposante et varie en fonction de l'habileté du chasseur. Le nombre de proies tuées par un tigre va de deux par semaine à une tous les dix jours.
Le tigre interrompt fréquemment son banquet pour aller boire au point d'eau le plus proche et pour de courtes siestes. Il protège alors la carcasse entamée soit en la cachant dans un fourré, soit en la recouvrant de branchages ou en la plongeant temporairement dans l'eau.
Lorsque la viande est faisandée, le tigre abandonne les restes aux charognards. Mais si l'un deux s'abat prématurément sur son garde-manger, il n'hésite pas à le tuer. Le tigre ne repart chasser que lorsque ses réserves sont épuisées et que la faim se fait sentir.
Tableau de chasse annuel d'un tigre du Bengale
Tableau de chasse annuel d'un tigre du Bengale
D'après une étude menée par le biologiste américain George Schaller sur plusieurs années dans la réserve de Kanha, au centre de l'Inde, un tigre du Bengale consomme en un an une moyenne de 5 à 7 kg de viande par jour, soit moins de 3 tonnes par an.
Les proies les plus communes sont les ongulés tels le cerf axis, le barasingha ou le gaur.
Les diverses petites proies capturées occasionnellement incluent lézards, serpents, tortues, grenouilles, poissons, crabes, criquets et termites.
1.3. Quelques instants de tendresse dans une vie solitaire
Les seules rencontres effectives entre mâles et femelles ont lieu à la saison de reproduction. Celle-ci se situe, en Inde, en avril-mai et octobre-novembre ; en Malaisie et en Indochine, elle a lieu de novembre à février, et dans les régions tempérées, en décembre-janvier. Chez tous les tigres, le nombre de rugissements augmente pendant la période de reproduction.
C'est l'odeur particulière dégagée par l'urine de la tigresse en chaleur qui attire les mâles et provoque leur désir d'accouplement. La tigresse étant fécondable plusieurs fois par an, la fécondation pourrait se faire, théoriquement, toute l'année. En fait, il existe chez cette espèce une période plus favorable, appelée pic d'œstrus, dont le moment varie selon les régions. Les tigresses observées en zoo ont des cycles œstriens de 20 à 30 jours, avec des périodes de chaleur de 7 jours. Ces données, fournies par l'analyse des dosages hormonaux dans les urines des femelles, sont impossibles à effectuer auprès des tigresses en liberté. Cependant, des observations indirectes dans la nature ont montré de nettes variations selon les sujets. Il peut arriver qu'un couple se maintienne plus de 7 jours. D'autres facteurs que les chaleurs seules semblent intervenir, comme probablement l'expérience sexuelle de l'animal et peut-être l'association entre mâles et femelles en dehors des périodes de vraie réceptivité.
Les chaleurs, qui durent environ une semaine, en nature, se répètent à des intervalles variant de 1 à 3 mois. Dans certaines régions, comme en Sibérie, les territoires sont si étendus que mâles et femelles ne se rencontrent que difficilement, ce qui implique un taux de natalité relativement faible. À l'intérieur des limites des réserves, il existe au contraire un fort taux de consanguinité.
Duel courtois
En général, le tigre dont le territoire englobe celui de la femelle a la suprématie s'il est présent lors des chaleurs de la tigresse. Mais un mâle voisin peut profiter de son absence et s'accoupler avec la tigresse. Dans la nature, il arrive que plusieurs mâles courtisent une même femelle. Ils se trouvent ainsi attirés au même endroit, et la confrontation est inévitable. Les joutes entre mâles sont soumises à des règles très strictes. Affrontements des regards, frémissements des moustaches, exhibition des canines et tentatives de griffures n'ont d'autre but que d'intimider le rival. Ces combats se soldent tout au plus par quelques égratignures. À chaque étape, l'un des adversaires peut mettre un terme au duel. Il lui suffit pour cela de marquer ostensiblement son désintérêt en détournant la tête.
Perpétuer l'espèce
Une fois que la tigresse est conquise, la proposition d'accouplement peut provenir aussi bien du mâle que de la femelle. Le tigre pose son museau sur la tigresse, comme s'il déposait un baiser, tandis que celle-ci se frotte contre lui. Si elle est prête à l'accouplement, elle pousse des cris rauques, auxquels le mâle répond en écho. Elle s'ébroue, frotte ses vibrisses contre celles du mâle et se roule sur le sol en agitant ses pattes. Puis, couchée à plat ventre, elle s'offre à lui. Tout en grognant sourdement, le mâle se place sur elle et pince la peau de son cou entre ses dents. Au moment où ils s'accouplent en feulant, la femelle cherche à échapper à l'étreinte du mâle, qui la retient en la mordant, la blessant parfois profondément. Dès que l'accouplement est terminé, la femelle se relève, plus ou moins agressive envers le mâle, qui reste sur ses gardes. Pendant la période nuptiale, le couple se déplace beaucoup à l'intérieur du territoire de la femelle et peut se livrer des dizaines de fois par jour à ce même jeu amoureux.
Durant leur courte idylle, le tigre et la tigresse partagent la chasse et les repas et dorment côte à côte. Puis ils se séparent, le mâle pouvant partir à la recherche d'une autre partenaire. Si son compagnon reste avec elle jusqu'à la mise bas, la tigresse le considère avec méfiance. Elle surveille étroitement ses petits, au cas où il tenterait de les dévorer, jusqu'au jour où elle réussit à le persuader qu'il est temps pour lui de s'éloigner.
1.4. Une mère qui défend courageusement ses petits
Les seules descriptions de naissances proviennent d'observations en zoo, car il est très difficile d'approcher une tigresse sauvage en travail et peu souhaitable de lui infliger une telle perturbation, dont les conséquences pourraient être graves pour les petits.
Dès les premières contractions, la tigresse lèche la région génitale, puis exerce des poussées, assise sur son postérieur. Parfois, elle reste debout jusqu'à l'apparition du premier petit, ou s'assied sur une patte en soulevant l'autre pour faciliter la délivrance. Lorsque les deux ou trois chatons de la portée sont nés, elle les libère un à un du sac amniotique et les sèche en les léchant. Les mouvements des nouveau-nés éveillent l'instinct maternel de la tigresse. S'ils sont mort-nés, elle les ignore.
Les nouveau-nés mesurent 45 cm avec la queue et pèsent environ 1 kg. Les tigres naissent aveugles et le restent pendant 6 à 14 jours. Les dents de lait pointent au bout de deux semaines et la denture adulte est en place à l'âge d'un an. Dès deux mois, les petits complètent les tétées par de petites quantités de viande. Ils sont alors autorisés à explorer un cercle de deux ou trois mètres autour de la tanière. Vifs et espiègles, les jeunes tigres passent une grande partie de leur temps à jouer entre eux et avec leur mère. Ils sont sevrés à 6 mois.
Tant que les jeunes ne se déplacent pas, la mère n'admet aucun intrus à proximité. Elle tue l'ennemi qui s'approche ou transporte ses rejetons un à un vers un lieu plus sûr, les serrant délicatement par la peau du cou entre ses mâchoires puissantes. Pendant le trajet, les petits, silencieux, arrondissent le dos et replient queue et pattes sous leur ventre.
Une émancipation progressive
Très vite après la naissance, la mère part chasser, laissant les petits seuls dans leur cachette. Lorsqu'ils atteignent l'âge de 2 mois, si la prise a été bonne, elle les emmène auprès de la carcasse, où ils restent jusqu'à ce que tout soit mangé. La mère n'introduit jamais de nourriture dans la tanière. À l'âge de 6 mois, les jeunes commencent à chasser de petits volatiles ou des faons, mais ne s'éloignent jamais de plus de 50 mètres de leur mère. Deux mois plus tard, la tigresse les conduit dans ses propres chasses. Après s'être assurée que la proie est bien morte, elle laisse les petits se rassasier avant de se nourrir elle-même.
Les petits mâles de 18 mois et les jeunes femelles de 2 ans, forts de leurs 150 à 200 kg, sont généralement capables de chasser seuls ou avec leurs frères et sœurs. Peu à peu, le groupe se défait et chacun chasse en solitaire. Il semblerait que, parvenus à l'âge adulte, les tigres d'une même portée continuent à se reconnaître entre eux.
Si la mère meurt, laissant des petits de plus de 6 mois, ils peuvent essayer de se débrouiller seuls. Mais, s'ils sont trop jeunes, ils meurent de faim. On ne connaît aucun exemple de tigre venu en aide à des orphelins.
Lorsque la tigresse est sur le point de mettre bas une nouvelle portée, elle se sépare définitivement des aînés. S'ils ne sont pas émancipés, elle s'isole et les retrouve parfois ensuite. Mais il est rare de voir une femelle accompagnée de deux portées.
Une faible natalité
Une faible natalité
Les populations de tigres ont un faible taux de renouvellement en raison notamment d'une maturité sexuelle tardive (3-4 ans pour les femelles, 4-5 ans pour les mâles). De plus, la moitié des jeunes, proie des ours ou même, parfois, de tigres mâles, ne dépasse pas l'âge de 2 ans. En revanche, si une femelle perd sa portée, elle peut redonner naissance à des petits cinq mois plus tard. Une tigresse met au monde, en moyenne, 2 chatons tous les deux ans. S'il naît autant de mâles que de femelles, un inventaire réalisé dans une réserve fait apparaître une sélection naturelle plus sévère envers les mâles.
1.5. Milieu naturel et écologie
Le tigre a commencé il y a 500 000 ans sa lente évolution vers sa forme actuelle. Au cours de sa migration vers des contrées plus chaudes, il s'est adapté progressivement à ses nouveaux habitats. La route du sud l'a mené dans les forêts tropicales et dans les îles du Sud-Est asiatique, jusqu'en Mandchourie, en Corée du Sud, en Chine et au Viêt-nam. Des fossiles de formes récentes, trouvés en Chine, en Corée du Nord, à Java et en Inde, établissent de façon certaine ce parcours de migration. La route de l'ouest conduisit le tigre en Turquie, en passant par le Caucase, la Perse et l'Afghanistan. Outre les preuves paléontologiques, d'autres indices confortent cette hypothèse : l'existence, chez le tigre des régions chaudes d'Inde centrale, d'un pelage d'hiver épais qui mue rapidement au printemps et la présence de tigres en Mandchourie, dans l'Himalaya et dans les monts Altaï à plus de 4 000 m d'altitude.
Ces longs processus sont à l'origine de nouvelles formes, tailles et couleurs, qui ont permis d'identifier 8 sous-espèces de tigre.
Le tigre du Bengale (Panthera tigris tigris), le plus largement distribué, vit dans les forêts tropicales humides de l'Assam ou du Bengale, mais aussi dans les mangroves à l'eau saumâtre du sud-ouest et du nord de l'Inde, comme celle du delta du Gange. Il vit également en altitude, dans la végétation alpine et les forêts à feuillages caducs du Népal, dans l'Himalaya. On le trouve aussi dans les forêts de bambous du centre de l'Inde et dans les savanes herbeuses et boisées de la région du Teraï ; ainsi que dans la forêt mixte sèche appelée forêt à mousson (arbres à feuilles persistantes et arbres à feuilles caduques), notamment au nord de l'Inde.
Le tigre d'Indochine (Panthera tigris corbetti), sous-espèce déterminée en 1968, habite les forêts denses de Birmanie et les forêts et savanes d'Indochine. Il est plus petit et plus sombre que le tigre du Bengale.
Le tigre de Malaisie (Panthera tigris jacksoni), considéré par certains auteurs comme une sous-espèce distincte de la précédente, habite la péninsule malaise.
Le tigre de Chine (Panthera tigris amoyensis), lui aussi plus petit que le tigre du Bengale, vit dans les savanes herbeuses, les forêts de chênes et de peupliers et les montagnes de Chine centrale et occidentale, couvertes de chênes, de conifères et de fougères arborescentes.
Le tigre de la Caspienne (Panthera tigris virgata) a disparu depuis le milieu du xxe siècle. Son habitat de prédilection était le « tugaï », zone inondable des bords de rivières, plantée d'arbres et de buissons, aujourd'hui entièrement détruit. En Iran, il occupait les flancs de collines au couvert épais.
Le tigre de Sibérie (Panthera tigris altaica), plus grand des félins vivants, habite les forêts mixtes boréales (chênes et conifères).
Le tigre de Sumatra (Panthera tigris sumatrae), aux rayures souvent doubles, est plus petit que le tigre du Bengale. Il vit dans la forêt tropicale humide de cette île, riche en palmiers, lianes, orchidées, arbustes et grands arbres.
Le tigre de Java (Panthera tigris sondaica), qui ressemblait au tigre de Sumatra et vivait comme lui dans la forêt tropicale humide, a disparu dans les années 1980.
Le tigre de Bali (Panthera tigris balica), également habitant de la forêt tropicale humide, était encore mal connu au moment de sa disparition, dans les années 1940.
Une adaptation réussie à toutes les forêts d'asie
Les tigres des îles sont plus petits que ceux du continent ; ceux qui habitent les régions chaudes et humides, à la végétation dense et ombreuse, sont plus sombres et ont un pelage moins fourni en hiver que ceux des régions de montagnes ou de hauts plateaux. L'habitat du tigre est toujours très fermé, la végétation y est serrée et l'eau abonde. Les proies y sont peu nombreuses et petites.
En revanche, les compétiteurs sont rares ou de faible densité. Le seul concurrent potentiel est un chien sauvage indien, le dhole, qui vit et attaque en meute et se rencontre sur la plus grande partie de l'aire de répartition du tigre.
Les caractéristiques du milieu où vit le tigre sont sans doute à l'origine de son mode de vie solitaire. En effet, le tigre est doté de nombreuses possibilités de communication, de grandes facultés d'observation et d'une bonne connaissance de ses semblables. On pense que ces qualités lui auraient permis de vivre en groupe, si son habitat avait été différent.
Le tigre, un super-prédateur
Le tigre, un super-prédateur
Le tigre, situé au sommet de la pyramide écologique, joue un rôle de régulateur des populations de mammifères carnivores et herbivores qu'il chasse. Sans sa présence, ces espèces se multiplieraient et épuiseraient la couverture végétale, favorisant ainsi l'installation de déserts.
Les principales espèces de mammifères pouvant être des proies potentielles pour le tigre comprennent, parmi bien d'autres : le langur doré (singe), des petits félins, la panthère longibande, l'éléphant, le rhinocéros, le buffle d'eau, le gaur, le cerf des marais, ou barasingha, le sanglier pygmée et le sanglier d'Assam, parfois le macaque rhésus, l'ours à collier, le cerf sambar et le muntjac.
2. Une seule espèce, plusieurs sous-espèces
2.1. Tigre (Panthera tigris)
Autrefois classé avec les chats dans le genre Felis, le tigre fut transféré au xixe siècle dans le genre Panthera, à la suite des études comparatives du naturaliste britannique Richard Owen. En effet, chez les membres du genre Felis, l'os hyoïde s'appuie à la base du squelette par une série d'os courts joints bout à bout. Par contre, chez les animaux du genre Panthera, cette série est imparfaitement ossifiée et remplacée par un long ligament élastique, qui permet des mouvements plus amples du larynx et un volume vocal beaucoup plus puissant. À la différence des chats, qui peuvent ronronner à l'inspiration et à l'expiration, les membres du genre Panthera ne ronronnent qu'à l'expiration. Le genre Panthera regroupe le lion (Panthera leo), le tigre (Panthera tigris), la panthère ou léopard (Panthera pardus), et le jaguar (Panthera onca). Selon les auteurs, la panthère des neiges (Panthera uncia ou Uncia uncia) est soit placée dans le genre Panthera aux côtés des précédents, soit dans un genre distinct, Uncia.
Tous ces grands félins sont étroitement apparentés. Des croisements entre tigre et lionne ou lion et tigresse se sont même produits en captivité ; les petits sont appelés respectivement le tigron et le tiglon.
Le pelage du tigre, zébré de rayures verticales sur le dos et les flancs, varie du fauve au roux. Sa fourrure comporte des zones ivoire : le ventre, l'intérieur des pattes, la gorge, les joues et le pavillon des oreilles. Le contraste des rayures sombres sur le pelage d'ambre lustrée est un camouflage efficace ; tapi sous les arbres ou parmi les herbes sèches, le tigre est presque invisible.
Excellent marcheur, le tigre est taillé plus pour le saut que pour la course. Il peut sauter d'un bond un fossé large de 4 m, voire de 10 m si le terrain est en pente, ou un obstacle haut de 1,80 m. C'est, de plus, un excellent nageur : le tigre de Sumatra relie à la nage des îles distantes de plusieurs kilomètres et affronte sans peine les courants de rivières larges de 6 à 8 km.
2.2. Les sous-espèces
L'espèce Panthera tigris est classiquement divisée en 8 sous-espèces (races géographiques) :
Tigre du Bengale, Panthera tigris tigris. Considéré comme la race de référence. Effectifs : 1 782 à 2 527 (estimation UICN 2008).
Tigre d'Indochine, Panthera tigris corbetti. Effectifs : environ 630 individus (dont 315 adultes).
Tigre de Malaisie, Panthera tigris jacksoni, inclus par certains auteurs dans la sous-espèce précédente. Effectifs : non connus avec précision (estimation 2003 : entre 493 et 1 480 individus).
Tigre de Sumatra, Panthera tigris sumatrae. Effectifs : 400 à 500 (171 à 276 adultes), peut-être plus.
Tigre de Sibérie, Panthera tigris altaica. Effectifs : 349 à 415.
Tigre de Chine méridionale, Panthera tigris amoyensis. Effectifs : aucune observation vérifiable enregistrée depuis le début des années 1970 (population en captivité : 72 en 2007). La sous-espèce est peut-être éteinte dans la nature ; un programme de réintroduction est en cours.
Tigre de la Caspienne, Panthera tigris virgata. A complètement disparu.
Tigre de Bali, Panthera tigris balica. A complètement disparu.
Tigre de Java, Panthera tigris sondaica. A complètement disparu.
TIGRE | |
Nom : | Panthera tigris |
Famille : | Félidés |
Ordre : | Carnivores |
Classe : | Mammifères |
Identification : | De grande taille, seul félin à robe rayée |
Taille : | De 1,40 m à 1,80 m, plus la queue de 60 à 95 cm |
Poids : | Mâle : 180 à 250 kg, femelle : de 100 à 160 kg |
Répartition : | Continent asiatique (Inde, Indochine, Chine, Sibérie, Sumatra) |
Habitat : | De la jungle tropicale à la taïga |
Régime alimentaire : | Carnivore strict |
Structure sociale : | Solitaire ; la femelle assume seule l'éducation des petits |
Maturité sexuelle : | Mâle : 4 ou 5 ans, femelle : 3 ou 4 ans |
Saison de reproduction : | Variable selon les régions |
Durée de gestation : | 98 à 110 jours |
Nombre de petits par portée : | 2 en moyenne, 5 au maximum en liberté, 7 au maximum en captivité |
Poids à la naissance : | 1 kg |
Espérance de vie : | 16 à 18 ans |
Longévité : | 26 ans |
Effectifs : | entre 5 000 et 6 800 individus toutes sous-espèces confondues ; population la plus importante en Inde (entre 2 500 et 3 800) |
Statut, protection : | Menacé ; classé en Annexe I de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction) |
Remarques : | Record de taille et de poids : un tigre de Sibérie de 2,80 m et de 384 kg. Record d'endurance : 29 km à la nage pour un tigre de Sumatra. |
2.3. Signes particuliers
Feulements et miaulements
Le feulement, ou rugissement, est l'expression vocale la plus puissante du tigre, qui peut porter jusqu'à trois kilomètres de distance. Les tigres rugissent après avoir tué une proie ou au cours d'un combat, et les femelles feulent lorsqu'elles sont en chaleur. Si un tigre croise un congénère indésirable ou un être humain, il gronde, pousse des grognements menaçants ou siffle. À l'attaque, il crache comme un chat. Lors d'une rencontre amoureuse ou en famille, il émet au contraire de doux grognements, gémit, ronronne et peut même miauler.
Griffes aiguës
Les griffes, de plusieurs centimètres, sont les plus longues des griffes de tous les félidés. Elles sont rétractiles, comme celles des chats : un jeu de ligaments et de tendons permet au tigre de les rentrer à volonté dans un fourreau protecteur et de les conserver ainsi bien aiguisées.
Œil de tigre
Les yeux saillants, à la pupille ronde, rendent possible un large champ visuel. La pupille, équipée d'une couche de cellules réfléchissantes, permet au félin une très bonne vision nocturne. La nuit, en fonction de la position du tigre par rapport à une source lumineuse, la couleur de la lumière réfléchie dans ses yeux varie du rouge orangé (œil face à la source lumineuse) au bleu-vert (œil éclairé par le côté). La curieuse couleur jaune de l'iris a fait que le nom « œil-de-tigre » a été attribué à une variété de quartz qui allie la froideur de la pierre à l'éclat du jaune mordoré.
Canines redoutables
Outre les qualités d'un grand prédateur, discret, tenace, agile et puissant, le tigre possède une mâchoire d'acier, plantée de la dentition spécifique des grands carnivores : quatre canines acérées, longues de 7,5 cm, se referment sur la gorge de ses proies, garantissant une mise à mort fulgurante et lui permettant de déchiqueter ensuite ses victimes.
3. Origine et évolution du tigre
Le tigre est le plus gros des félidés, ces carnivores qui se nourrissent presque exclusivement d'animaux qu'ils tuent. Ses ancêtres les plus lointains, les tigres à dents de sabre (tel Smilodon sur le continent américain et Machaerodus en Europe), avaient d'impressionnantes canines de plusieurs dizaines de centimètres de long ! Il y a environ un million d'années, au pléistocène, ces mammifères carnivores peuplent le nord de l'Asie, qui jouit alors d'un climat tempéré. On y rencontre toutes sortes d'herbivores, dont le renne, l'élan ou le bison. Quand les glaciations successives du début du quaternaire amènent de nombreuses espèces animales à se déplacer vers des contrées plus accueillantes, la plupart des tigres suivent les migrations de leurs proies. Ceux qui restent sur place et survivent au froid sont les ancêtres des actuels tigres de Sibérie. Les autres, progressant vers le sud et l'ouest, colonisent les steppes, les forêts, les plateaux et les montagnes dans le monde entier, à l'exception de Madagascar et de l'Océanie. S'adaptant peu à peu à leurs nouveaux habitats, ils se différencient en plusieurs sous-espèces (ou races géographiques), dont certaines ont aujourd'hui disparu.
Animal forestier par excellence, le tigre peut vivre partout où abondent les proies et où il trouve des fourrés propices aux embuscades. Comme tous les félidés, il est particulièrement bien adapté à la chasse. Son pelage aux rayures sombres lui fait un parfait camouflage quand il se tapit sous l'ombre des arbres ou au milieu des herbes ; sa démarche feutrée est si souple qu'il semble à peine effleurer le sol ; sa vivacité et sa capacité de détente lui permettent de faire des bonds de cinq à six mètres pour se jeter sur sa victime.
Mais ce n'est pas pour autant le fauve cruel et invincible que l'on a longtemps dépeint, ni cet animal qui « n'a pour instinct qu'une rage constante, une fureur aveugle qui ne connaît ni ne distingue rien... », comme le décrit Buffon au xviiie siècle. Les tigres mangeurs d'hommes ne sont le plus souvent que des animaux blessés, incapables de chasser normalement, ou ceux dont l'espace vital est tellement réduit qu'il ne leur suffit plus pour subvenir à leurs besoins. Le tigre peut aussi attaquer, tout simplement pour se défendre ou protéger ses petits.
4. Le tigre et l'homme
Au cours du xxe siècle, les effectifs des différentes sous-espèces de tigres se sont réduits de façon dramatique, jusqu'à, pour trois d'entre elles, disparaître totalement. Leurs habitats ne réunissent plus les conditions satisfaisantes de survie : les espaces sont rétrécis et morcelés par des terrains déboisés, des routes et la présence toujours croissante des groupes humains. Les populations résiduelles de tigres sont trop peu nombreuses pour assurer leur reproduction et leurs possibilités d'échange génétique sont minimes.
4.1. Historique d'un programme international pour protéger les derniers tigres
Au début du xxe siècle, chasse sportive, collection de trophées et commerce de peaux portent les massacres à leur apogée. Seuls quelques naturalistes se préoccupent de mieux connaître le tigre. Grâce à ces pionniers de la protection que sont F.W. Champion, J. Corbett et E.P. Gee, les premières observations de l'animal en nature sont publiées en 1910, suivies en 1917 et 1933 des premières photographies. Dans son livre sur la faune indienne, E.P. Gee, en 1964, annonce même la disparition de l'espèce pour la fin du xxe siècle, si aucun changement n'intervient pour modifier la situation.
En 1969, Guy Mountfort, membre du conseil du WWF (Fonds mondial pour la nature), et Kailash Sankhala, directeur du zoo de Dehli, demandent au cours de l'assemblée de l'U.I.C.N. (Union mondiale pour la nature) que le tigre du Bengale soit inscrit sur la liste des espèces menacées. Ils s'appuient sur des chiffres catastrophiques : des 100 000 tigres présents dans le monde en 1920, il n'en reste plus que 2 500 à la fin des années 1960.
Plusieurs causes sont à l'origine de cette chute brutale des effectifs : la destruction massive des forêts pour la mise en culture des terres, la chasse effrénée et le piégeage intense notamment des villageois indiens, mais surtout les chasses des notables anglais et des maharadjahs.
La diffusion des armes à feu sonne le glas de l'espèce ; en effet, chaque village acquiert son fusil pour lutter contre les cerfs et les sangliers qui détériorent les cultures. Les paysans, tireurs inexpérimentés, s'en servent également contre les tigres, les blessant plus qu'ils ne les tuent. Ces animaux, affaiblis, s'attaquent alors aux proies faciles que sont l'homme ou ses troupeaux. Et, pour se protéger des félins rendus dangereux par leur propre maladresse, les villageois ont recours aux poisons.
Par la suite, les combats pour l'indépendance de l'Inde et de nombreuses guerres menées dans le Sud-Est asiatique font circuler des milliers d'armes à feu parmi les paysans ou les nomades.
Alertée par l'U.I.C.N., la communauté internationale s'émeut. En 1970, le gouvernement indien d'Indira Gandhi interdit la chasse au tigre et l'exportation des peaux. Un recensement officiel est effectué en 1972 : cinq mille hommes parcourent durant une semaine toutes les forêts du pays et relèvent chaque indice de la présence des félins, dénombrant 1 827 tigres. La même année est lancé un vaste programme de protection portant sur six ans et nécessitant six millions de dollars, avec engagement du WWF qui en fournira un million. Ce programme prévoit la création de nombreux parcs nationaux en Asie, une campagne de sensibilisation du public, une protection juridique accrue et une récolte de fonds. Le succès de cette campagne permet de recueillir deux millions de dollars en dix-huit mois, la Suisse, les États-Unis, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne venant en tête du financement.
Dès 1974, on assiste à une généralisation du « Projet tigre » (Tiger Project) : le Népal, le Bangladesh, le Bhoutan, la Sibérie et la Chine intensifient la protection de l'espèce. La majorité des populations de tigres figurent en annexe I (chasse, commerce et circulation de spécimens sont interdits) de la convention de Washington. Dès lors, des réserves sont régulièrement créées pour abriter les tigres survivants. Un programme de réintroduction dans la nature d’animaux élevés en captivité est en cours pour tenter de sauver le tigre de Chine méridionale, qui n’a plus été observé à l’état sauvage depuis le début des années 1970.
En dépit de toutes ces mesures, les effectifs de la majorité des différentes sous-espèces de tigre sont en diminution. La sous-espèce la plus représentée est le tigre du Bengale qui, en 2008, comptait entre 1 782 et 2 527 individus contre probablement quelque 40 000 au début du xxe siècle... ; mais elle ne renferme aucune population qui atteindrait les 250 individus nécessaires à sa viabilité.
Tigres blancs
Tigres blancs
Les tigres blancs sont une simple forme du tigre du Bengale. Leur couleur blanche est due à une mutation, c'est-à-dire à une erreur dans le code génétique sur le gène responsable de la couleur ; cette mutation est récessive : elle ne s'exprime que si l'animal possède deux versions (allèles) du gène muté. Les tigres blancs ont un regard bleu acier, avec une pupille noire (contrairement aux animaux albinos, chez lesquels elle est rose), et leur robe, coquille d'œuf ou crème, est rayée de gris-brun ou de noir. On ne trouve aujourd'hui de tigres blancs quasiment que dans les zoos. Ils forment une lignée reproduite en captivité. Rares dans la nature, ils vivaient notamment dans la région de Rewa (Inde).
4.2. Tigre mangeur d'hommes
Bien que le tigre évite généralement l'homme, il est aussi, parfois (bien que rarement), responsable d'attaques directes meurtrières. En Inde, on parle d'une femelle qui aurait tué 430 personnes. Les statistiques publiées au xixe siècle sont impressionnantes : 919 hommes égorgés en 1877, 816 en 1878, etc. Il semble avéré que certains tigres se sont nourris, sinon exclusivement, du moins principalement de chair humaine. Bien que le nombre des « mangeurs d'hommes » diminue en raison de la régression générale des effectifs, 1 % de ces félins n'en restent pas moins dangereux pour l'homme. Pourtant, cet état de fait est souvent imputable aux activités humaines…
La détérioration de son habitat, constamment violé par le passage des hommes, force le tigre à des confrontations plus fréquentes avec les humains et provoque chez lui des comportements anormaux. Dans l'Inde surpeuplée, le tigre dispose d'un territoire de 6 à 20 fois inférieur à son espace vital optimal.
Les « mangeurs d'hommes » sévissent souvent aux bordures dégradées des forêts, comme dans les environs du parc national Dudhwa, ou à l'embouchure du Gange, dans la mangrove de Sunderbans. À Sunderbans, les pêcheurs portent un masque à l'arrière de la tête, car l'on dit que le tigre n'attaque que par derrière.
Près de Dudhwa, l'habitat du tigre est fragmenté par l'expansion de l'agriculture, et les paysans tirent au fusil les herbivores qui saccagent les cultures, réduisant ainsi le nombre des proies potentielles du félin.
D'autres méfaits des « mangeurs d'hommes » sont dus à d'inqualifiables imprudences. Ainsi, par exemple, Shing, un fonctionnaire du parc de Dudhwa, lâcha progressivement dans le parc des jeunes tigres nés en captivité et nourris de viande jusqu'à l'âge de trois ans. Il réduisit petit à petit l'apport d'aliments pour les inciter à chasser et à se réadapter à la vie sauvage. L'expérience s'avéra inutile et meurtrière : Tara, l'un des jeunes tigres, se mit à chasser surtout les hommes, dont il n'avait aucune peur. Il fut abattu après avoir tué vingt personnes.
Un dernier facteur, et non le moindre, pousse le tigre à tuer l'homme : ce sont les blessures, qui le rendent incapable de chasser de façon normale.
4.3. Le tigre royal du Bengale en Inde aujourd'hui
La sous-espèce Panthera tigris tigris1 se rencontre au Népal, au Bhoutan et en Birmanie, ainsi qu'en Inde et au Bangladesh, où elle est connue sous le nom de tigre royal du Bengale. Le gouvernement indien est l'un des premiers à prendre conscience du déclin de l'espèce. Il est aujourd'hui très impliqué dans la sauvegarde du tigre du Bengale. Après le lancement du « Projet tigre » au parc national Corbett, de nombreuses réserves ont été créées au sein d'habitats divers.
L'ensemble des réserves couvre une surface de 37 761 km2 (2007). Chaque réserve comprend une « zone de protection totale », c'est-à-dire libre de toute activité humaine. Autour se situe une « zone tampon », où les activités humaines sont limitées. Elles doivent respecter les besoins écologiques des espèces animales. Ainsi, les effectifs des populations indiennes de tigres sont passés de 262 en 1972 à 1 121 en 1984, puis 1 576 en 2002 (dont 245 tigres pour la seule réserve de Sunderbans). À la même date, les réserves de Kanha et de Corbett abritaient environ 130 individus chacune. L'amélioration des conditions d'habitat a bénéficié à d'autres espèces en danger.
Date de création | Lieu | Superficie |
1973-1974 | Bandipur (Karnataka) | 865 km2 |
1973-1974 | Corbett (Uttar Pradesh) | 1 318 km2 |
1973-1974 | Kanha (Madhya Pradesh) | 940 km2 |
1973-1974 | Manas (Assam) | 500 km2 |
1973-1974 | Melghat (Maharashtra) | 1 677 km2 |
1973-1974 | Palamau (Bihar) | 979 km2 |
1973-1974 | Ranthambhore (Rajasthan) | 1 334 km2 |
1973-1974 | Simlipal (Orissa) | 2 750 km2 |
1973-1974 | Sunderbans (Bengale) [qui abrite la plus importante population de tigres du Bengale de toutes les réserves] | 2 585 km2 |
1978-1979 | Periyar (Kerala) | 777 km2 |
1978-1979 | Sariska (Rajasthan) | 498 km2 |
1982-1983 | Buxa (Bengale) | 760 km2 |
1982-1983 | Indravati (Madhya Pradesh) | 2 799 km2 |
1982-1983 | Nagarjunasagar-Snsailam (Andhra Pradesh) [la plus étendue de toutes] | 3 568 km2 |
1982-1983 | Namdapha (Arunachal Pradesh) | 1 808 km2 |
1987-1988 | Dudhwa (Uttar Pradesh) | 811 km2 |
1988-1989 | Kalakad-Mundanthurai (Tamil Nadu) | 800 km2 |
1989-1990 | Valmiki (Bihar) | 840km2 |
1992-1993 | Pench (Madhya Pradesh) | 758km2 |
1993-1994 | Tadoba-Andhari (Maharashtra) | 620 km2 |
1993-1994 | Bandhavgarh (Madhya Pradesh) | 1162 km2 |
1994-1995 | Panna (Madhya Pradesh) | 542 km2 |
1994-1995 | Dampha (Mizoram) | 500 km2 |
1998-1999 | Bhadra (Karnataka) | 492 km2 |
1998-1999 | Pench (Maharashtra) | 257 km2 |
1999-2000 | Pakhui-Nameri (Arunachal Pradesh-Assam) | 1206 km2 |
1999-2000 | Bori, Satpura, Pachmari (Madhya Pradesh) | 1486 km2 |
4.4. Dieu ou démon
Les populations semi-nomades d'Asie centrale vénéraient le tigre pour sa puissance et son habileté.
Le tigre est présent dans toutes les civilisations asiatiques, de la vallée de l'Indus (vieille de 4 500 ans) à la Chine, dont les chambres funéraires royales étaient ornées de nombreux objets à l'effigie du tigre. De nos jours encore, la déesse hindoue Durga est représentée à califourchon sur un tigre.
Une valeur magique était conférée à certains des organes du tigre ; manger son foie était censé transmettre courage et ténacité ; sa graisse, réputée aphrodisiaque, était aussi employée contre les rhumatismes ; ses clavicules étaient recherchées en tant que porte-bonheur et ses griffes étaient montées en fétiches ; enfin, ses moustaches, réduites en poudre, étaient utilisées comme poison. Des Européens n'ont-ils pas prétendu qu'une vibrisse de tigre est si dure que, découpée en petites sections et mêlée aux aliments, elle provoquerait de nombreuses perforations d'estomac, indécelables à l'autopsie, constituant l'arme du crime parfait ?
Autre type d'excès : un sultan de Misore vénérait le tigre qui figurait sur tous les fanions, les armes et les cachets princiers. Il avait pour devise : « Mieux vaut vivre deux ans comme un tigre que deux cents ans comme un mouton. » Son adoration était telle qu'il offrait à son animal favori des condamnés vivants, jetés du haut du « rocher du tigre ».
Ces comportements extrêmes ne sont pas représentatifs de la civilisation indienne, dominée par le respect de la vie, et ce n'est pas un hasard si le tigre a pu subsister sur ce sous-continent, malgré les contraintes économiques et sociales.
4.5. Le tigre et les anciens
Les Grecs et les Romains connaissent le tigre ; ils lui attribuent le même nom de tigris, qui dérive de tighri, c'est-à-dire « flèche » en persan, et désigne à la fois le tigre prompt à bondir et le fleuve de Mésopotamie au cours impétueux. Aristote, sans avoir jamais vu l'animal, 1e mentionne dans ses écrits. Au iiie siècle avant J.-C., un général d'Alexandre présente aux Athéniens le premier tigre vu en Europe. En l'an 19 avant J.-C., l'ambassadeur d'Inde en offre un splendide spécimen à l'empereur romain Auguste. C'est vers cette époque que les tigres apparaissent dans les arènes romaines. Après la chute de l'Empire romain, la mémoire de l'espèce s'efface si bien qu'au xiiie siècle Marco Polo se montre très surpris par ce « gros lion » au superbe pelage rayé de noir, qu'il découvre à la cour de l'empereur mongol Kubilay Khan.
4.6. Les chasses au tigre
Jadis avaient lieu dans toute l'Asie de grandioses chasses au tigre. On raconte qu'un empereur chinois du xviiie siècle leva toute une armée pour cerner une vaste surface de la province de Leao Tong ; cette colossale battue se solda par la mort de plus de mille animaux sauvages et de soixante tigres. Un autre récit décrit la chasse d'un nabab indien qui mobilisa mille éléphants, et autant de fantassins et de cavaliers. Des chameaux et des bœufs de trait suivaient l'expédition.
Les épouses du nabab prenaient part elles aussi à la chasse, accompagnées de leur cour au grand complet, chanteurs, bouffons, serviteurs et fauconniers. Même si la transmission orale de ces récits est source d'exagérations, il n'en reste pas moins que ces chasses nécessitaient le déploiement d'un énorme appareil et d'une nombreuse escorte.
Au xixe siècle encore, les maharadjahs indiens chassaient le tigre avec un important cortège d'éléphants. Un très grand nombre de rabatteurs faisaient résonner leurs tambours, criaient et tiraient des coups de feu en l'air pour faire sortir les fauves et les rabattre à portée de fusil du prince. Pour que l'animal ne puisse pas leur échapper, ils utilisaient parfois de grands filets de 4 m de haut, tendus sur des cannes de bambou et disposés en forme d'entonnoir. Le tigre qui s'y engouffrait courait à sa perte.
Les hauts fonctionnaires européens résidant en Asie organisaient eux aussi de vastes carnages. Perchés bien à l'abri au sommet de tourelles, ils suivaient des yeux la chasse à l'affût des indigènes armés seulement de sabres et de poignards, et rachetaient ensuite les peaux et les trophées des animaux tués.