morse
Unique membre de la famille des odobénidés, le morse est un paisible et sociable amateur de palourdes, inféodé aux mers glacées du Grand Nord. Caractérisé par ses canines transformées en grandes défenses, il porte un nom de genre (Odobenus) signifiant littéralement « qui marche sur les dents ».
1. La vie du morse
1.1. Une hiérarchie respectée en dépit des apparences
Les morses comptent parmi les plus grégaires des mammifères : ils s'attroupent par dizaines dans l'eau, ou s'agglutinent par centaines ou par milliers sur les plages. Toutefois, cet entassement, loin d'être anarchique, obéit à des règles précises : la structure sociale varie selon la période de l'année, mais, lors des grands rassemblements à terre, les jeunes s'installent toujours à la périphérie du groupe, et, à l'inverse, les places centrales – les plus convoitées – sont destinées, quand les groupes sont mixtes, à de robustes mâles adultes aux longues défenses et à la stature imposante, dont l'autorité est reconnue de tous. L'occupant de cette position privilégiée est, par là même, l'objet du respect des autres morses, et aucun ne lui dispute cette place. Mais cette prééminence est aléatoire : il suffit qu'un mâle dominant perde une défense, à la suite d'un combat par exemple, pour que sa supériorité soit contestée. Il est tout aussitôt destitué, rétrogradé à une position de subalterne et, de ce fait, écarté du noyau central.
Des groupes distincts
Des groupes distincts
Avec les femelles de tous âges vivent les jeunes. À l'âge de 4 ans, les mâles quittent ce groupe pour former des troupes d'adolescents. Ils rejoindront les mâles adultes à l'âge de 9 ans.
L'animal dominant dans chaque groupe occupe la place centrale à terre, mais en mer, il nage en tête.
Comme les femelles mais séparément, les adolescents migrent vers le nord en été. En hiver, quand mâles et femelles se retrouvent sur les lieux de reproduction, ils s'éloignent seuls. C'est à cette période qu'ont lieu les accouplements, dans l'eau et non sur la banquise.
Le sifflement des sentinelles
Les plus fortes concentrations de morses en bordure de mer se rencontrent quand il n'y a pas de vent et que la température dépasse 15 °C. Postés à proximité de leurs congénères, aux points stratégiques sur terre et dans l'eau, certains morses veillent sur tous, restant assis ou se déplaçant parfois pour mieux voir, constamment en état de veille. Au moindre danger, ils donnent l'alerte par un sifflement caractéristique. À ce son, la réaction est immédiate, et tous les morses à terre se précipitent en foule dans l'eau.
Une solidarité à toute épreuve
Au sein de l'espèce, la solidarité s'affirme en toute occasion : si l'un des leurs est attaqué par un ours polaire, par exemple, tous les adultes arrivent à la rescousse avec une étonnante rapidité, plantant leurs défenses dans le sol glacé pour déplacer leur masse énorme jusqu'à l'assaillant, qui, méfiant, ne s'aventure guère aux abords des grands attroupements et n'attaque que les individus plus ou moins isolés. Solitude rare, en fait, car le morse affectionne la vie en collectivité. Les animaux malades ou blessés, ou encore les vieux mâles peu sociables, semblent préférer une existence en retrait de leurs semblables, mais ils ne s'exilent jamais très loin, à quelques dizaines de mètres tout au plus.
Cette entraide instinctive n'est qu'une illustration des liens qui unissent les morses. Quel que soit leur âge, tous s'adonnent à des contacts corporels tels que des attouchements de vibrisses pour se reconnaître. En outre, qu'elle soit tactile, olfactive ou sonore – cet animal n'a-t-il pas été surnommé « le chanteur de l'Arctique » pour ses cris et ses aboiements ? –, la communication revêt une grande importance. Mais l'ambiance n'est pas toujours paisible : l'agressivité est latente, provoquée par la promiscuité ou par les conflits de pouvoir entre mâles adultes.
1.2. Des fouilleurs de vase mangeurs de mollusques
Les morses passent une bonne partie de leur temps dans l'eau en quête de leur alimentation, qu'ils recherchent de préférence dans les eaux côtières peu profondes et sablonneuses, où ils peuvent rester immergés pendant quelques minutes. Si besoin est, un plongeon à 100-150 m de profondeur ne les effraie pas.
Mais l'arrivée du froid arctique et l'extension de la banquise qui s'ensuit les obligent à migrer vers le large pour éviter un emprisonnement certain sous les glaces. En période hivernale, ces mammifères partent donc se nourrir à environ 2 km au large, alors que, dès que la température extérieure devient plus clémente, la majorité privilégie le repos sur les icebergs et les plages.
Des proies minuscules pour un solide appétit
Après avoir plongé, le morse se met à nager très lentement, juste au-dessus des fonds marins. Ses nageoires antérieures repliées contre son corps et son museau frôlant la vase, il cherche sa nourriture. Grâce à un sens tactile très développé, dû aux quelque 450 vibrisses implantées sur la peau fine et sensible du bout de son museau, le prédateur repère ses proies, souvent de très petite taille (inférieure à 15 cm en moyenne) par rapport à la sienne. La face supérieure de son museau, au contraire recouverte d'une peau particulièrement épaisse et cornée, sert à fouiller la vase pour en extraire les coques qui y sont enfouies, comme le ferait un sanglier. Contractant les puissants muscles de ses joues, le morse projette un fort jet d'eau qui déloge les proies les plus profondément ensevelies et les fait remonter à la surface.
À l'aube, le morse part explorer les profondeurs sous-marines. Sa nourriture se compose surtout de mollusques bivalves, comme les clams – son mets favori –, les palourdes, les coques et les moules, qui abondent sur le plateau continental des mers septentrionales. Après avoir localisé ses bivalves préférés à l'aide de ses vibrisses, il force l'ouverture des coquilles par succion, en les tenant entre ses lèvres ; il en absorbe le contenu et rejette les coquilles vides. Autre méthode : il ouvre les coquilles des bivalves en les cassant entre ses nageoires. Outre les fruits de mer, le morse recherche également plus d'une quarantaine d'espèces d'invertébrés des fonds marins : crustacés (crevettes et crabes), gastéropodes, céphalopodes, annélides (vers) et tuniciers. À l'occasion, il consomme volontiers de petits poissons, comme les harengs, des oiseaux de mer, ou même de jeunes phoques, s'il est affamé. Le cas échéant, il dévore les cadavres échoués d'autres mammifères marins, comme les bélugas ou les narvals.
Les poches pharyngées
Les poches pharyngées
Les morses mâles – plus rarement les femelles – possèdent au niveau de la gorge une paire de sacs, dont l'orifice est relié au pharynx. Ces sacs gonflent dès que l'air y pénètre et fonctionnent comme une caisse de résonance, permettant aux morses des émissions sonores semblables à des tintements de cloche. Ces sons deviennent plus fréquents en période de reproduction et pendant la plongée.
Grâce à ces poches d'air, le morse peut également flotter en surface, en gardant la tête hors de l'eau, ou dormir immergé sans se noyer malgré sa corpulence.
1.3. De longs poignards pour combattre
Les défenses du morse, composées du plus bel ivoire, sont une arme très dissuasive. Apanages des deux sexes, ces canines, qui servent aussi bien de couteau à glace que de sabre de combat, sont des organes de reconnaissance sociale. Le mâle qui arbore les plus longues dents et adopte des postures pour les mettre en valeur est au sommet de la hiérarchie, incontesté.
Fréquemment, des rivalités sexuelles déchaînent la violence des grands mâles. Lorsqu'un assaut met aux prises deux adversaires, ceux-ci se dressent sur leurs membres antérieurs, se défient, menaçants, brandissant leurs défenses telles des épées : cette parade se conclut en général par la victoire de celui qui a exhibé les dents les plus avantageuses. S'il y a équivalence, le combat éclate. Pourtant, en dépit de la puissance de ces armes redoutables, l'issue de tels affrontements est rarement fatale : au premier coup porté contre lui, l'assaillant le plus faible abandonne et se soumet. Les blessures, souvent bénignes, laissent toutefois des cicatrices fort visibles sur les corps des vieux mâles, souvenirs de duels anciens pour la conquête d'une femelle.
1.4. La saison des amours sur la banquise
Au cœur de l'hiver arctique, en janvier-février, ont lieu les accouplements. Les grands mâles dominants sont les premiers arrivés sur le territoire nuptial. Ils choisissent leur emplacement chaque année, en fonction de l'état de la banquise et des ressources nutritives, et moyennant de nombreuses rixes avec leurs rivaux. Les vainqueurs, en général âgés de 12 ans au moins, auront seuls le droit de s'accoupler avec les femelles qui, elles, atteignent la maturité sexuelle dès l'âge de 4-5 ans.
Accompagnées de jeunes de l'année précédente, celles-ci rejoignent les zones de reproduction en petits groupes d'une dizaine d'animaux, qu'escorte souvent un mâle, parfois plusieurs. À chaque halte, lorsque les femelles se hissent à coups de défenses sur un iceberg, les mâles font leur cour dans l'eau. Pour inciter celles-ci à céder à leurs avances, les soupirants vocalisent, sifflent et se livrent à des appels sonores et répétitifs. C'est dans l'eau que la femelle consentante rejoint le partenaire choisi.
Un faible taux de reproduction
Contrairement aux parades nuptiales et à l'accouplement, les mises-bas ont pour cadre la terre ferme. Au mois de mai de l'année suivante, la femelle donne naissance à son petit, après une gestation estimée à 15-16 mois.
La durée de la gestation et le rythme de procréation – de deux ans en moyenne chez les jeunes femelles (âgées de 4 à 8 ans), mais qui s'espace avec l'âge –, font que le taux de reproduction du morse est le plus faible de ceux de tous les pinnipèdes et l'un des plus bas de l'ensemble des mammifères. À cela s'ajoute une espérance de vie qui n'est pas supérieure à 40 ans.
L'apprentissage de la vie
À la naissance, le petit morse pèse de 60 à 65 kg environ pour 1,20 m. Recouvert d'un pelage soyeux brunâtre, il porte déjà une épaisse moustache blanche sur le museau. Au bout d'un an, son poids a triplé et il est déjà d'une belle taille, sans avoir perdu sa couleur foncée.
Sous la protection de sa mère, il apprend les rudiments de la vie en société et l'art de « fouiller la vase ». Sevré l'année suivante, il reste dans le groupe maternel pendant 2 à 4 années supplémentaires avant de former son propre groupe.
Ce n'est qu'à 9 ans qu'il s'intègre à la vie grégaire des grands rassemblements d'adultes.
1.5. Milieu naturel et écologie
Nommé « walrus » en Alaska, « morzh » en Russie, « hvalros » au Groenland et « aivuk » ou « aivik » chez les Inuits du Grand Nord, le morse est un habitant de la banquise, des glaces flottantes, des côtes rocheuses et des eaux côtières de l'Arctique. Ce grand mammifère marin de l'hémisphère Nord, quittant parfois l'océan au profit de la terre ou de la glace, se réfugie pourtant à plus de 30 km du rivage lorsque les conditions climatiques l'y obligent, et les jours de vents forts.
L'aire de répartition des morses ne s'étend plus aujourd'hui qu'aux régions polaires, alors qu'autrefois ces animaux peuplaient l'Atlantique nord, jusqu'aux îles de la Madeleine et au golfe du Saint-Laurent, au sud. De nombreux récits du xviiie siècle mentionnent la présence de ces mammifères à proximité des côtes du Maine, de la rade de New York et des côtes de Grande-Bretagne. Aujourd'hui, les morses de l'Atlantique et ceux du Pacifique se répartissent en plusieurs populations géographiques identifiées.
Les effectifs les plus importants sont ceux des morses du Pacifique. Selon la Seal Conservation Society (société de protection des phoques), ils seraient environ 200 000 individus (incluant les morses de la mer des Laptev). La limite sud de la répartition du morse du côté Pacifique coïncide avec des latitudes sous lesquelles la température de l'air reste inférieure à 20 °C. Les morses de l'Atlantique sont beaucoup plus rares. Il n'en existerait qu'environ 22 500 (environ 12 000 au Canada, 4 500 au Groenland et 6 000 en Norvège).
Des migrations en bandes
La plupart des populations de morses sont vagabondes, migrant selon les mouvements des glaces et l'attrait des sites nourriciers. Celles du Pacifique se déplacent en groupes vers le sud avec l'avancée des glaces en automne et vers le nord avec le recul de la banquise au printemps. À défaut de mers gelées, les errants nagent près de la banquise, se laissant porter par des icebergs dérivants. Certains d'entre eux parcourent plus de 3 000 km par an. Ils sont présents sur la banquise nord et sud-est de la mer de Béring entre décembre et mars, et migrent vers le nord, en traversant le détroit de Béring, avec quelques incursions en mer des Tchouktches, entre avril et juin. Entre juillet et septembre, ils estivent le long des côtes de la mer des Tchouktches, avant de retourner en mer de Béring l'automne suivant. Les migrants sont surtout des femelles et des immatures (des animaux entre 4 et 9 ans), car nombreux sont les mâles adultes réfractaires à ce long voyage. Restant en mer de Béring durant la belle saison, ces derniers élisent comme terrains de repos de petits îlots en baie de Bristol et dans le golfe de l'Anadyr.
Cette ségrégation sexuelle saisonnière, utile pour réguler le prélèvement des ressources nutritives, et réduire les rivalités entre jeunes et vieux mâles, prend fin à l'automne. À l'issue de leur périple, les femelles seront attendues par les mâles près du détroit de Béring, puis accompagnées jusqu'aux territoires lointains consacrés aux rencontres nuptiales, sur la banquise de la mer de Béring.
Exclus de ces retrouvailles, les jeunes hivernent séparément. Les trajets parcourus au gré des saisons par les autres populations de morses sont encore peu connus.
Des individus au caractère aventurier ou mal orientés ont souvent été aperçus en dehors des limites de leur aire de répartition. Dans le Pacifique nord, certains ont accédé à des régions situées au sud, comme l'île de Honshu, au Japon, et dans la mer d'Okhotsk. Des morses de l'Alaska ont parfois été vus à la pointe sud des îles Aléoutiennes, tandis que d'autres s'aventuraient à l'est de l'île Kodiak et de la baie du Yacutat. Dans l'Atlantique, quelques-uns ont été observés en Nouvelle-Écosse, à Terre-Neuve et, à l'est, jusqu'aux Pays-Bas et en Belgique.
Le lombric des mers polaires
Les morses occupent une place importante dans l'écosystème arctique, tant en raison de leur poids de matière vivante (biomasse) que de leur activité de fouilleurs de vase et de sédiments marins. En remuant et en aérant ceux-ci, ils permettent le recyclage des éléments nutritifs dans l'eau. Grâce à l'action des morses, les organismes décomposeurs agissent dans un environnement oxygéné. Le fait de remettre de fines particules en solution, des minéraux par exemple, rend ceux-ci accessibles à d'autres organismes, plantes ou animaux, qui s'en nourrissent au risque de rendre l'eau insalubre en y introduisant des éléments toxiques tels que métaux lourds ou composés organochlorés en suspension.
Leur alimentation étant à base d'animaux filtreurs, tels les mollusques bivalves, les morses se trouvent de ce fait placés assez bas dans la chaîne alimentaire, mais leur rôle dans la pyramide écologique est irremplaçable.
Peu nombreux sont les prédateurs de ces mammifères paisibles : l'ours polaire, l'orque et... l'homme, le plus impitoyable de tous.
2. Une seule espèce, plusieurs sous-espèces
2.1. Morse (Odobenus rosmarus)
Un corps énorme à la peau épaisse et brun-cannelle, surmonté d'une tête comparativement petite munie d'énormes défenses, aux yeux saillants et au museau large, donne à ce mammifère peu poilu, dépourvu de queue et de pavillons auriculaires, une allure étrange.
Parfaitement adapté à la vie dans l'Arctique, c'est l'un des plus gros et des plus robustes pinnipèdes, les mâles atteignant parfois une tonne et demie. Les femelles sont moitié moins lourdes et un peu moins longues. À terre, le morse est quadrupède, mais dans l'eau, il se déplace avec ses membres postérieurs repliés. Transformés en nageoires, les membres possèdent 5 doigts terminés par un ongle court, ou griffe.
Capable d'atteindre 35 km/h, le morse nage en moyenne à 7 km/h. Il peut de surcroît rester jusqu'à 30 minutes en apnée, mais ne dépasse habituellement pas 10 minutes. Il plonge jusqu'à 200 m de profondeur et peut nager jusqu'à 250 km d'une seule traite. Sur terrain glacé, il se déplace par reptation, en glissant sur le ventre à l'aide des seuls membres antérieurs.
La physiologie du morse diffère de celle des autres pinnipèdes sur le plan respiratoire et sur celui des organes sensoriels. En tant que mammifère, il respire l'air grâce à ses narines, mais vraisemblablement plus souvent par la bouche. Son sens tactile provenant des vibrisses évince ses autres capacités, auditive, olfactive et visuelle – toutefois mal connues.
La peau des nageoires, comme celle des lèvres et des narines, est imberbe. Partout ailleurs, elle est recouverte de poils frustes et raides d'environ 1 cm de longueur. À la fourrure veloutée et à la pigmentation noire des immatures et des femelles s'oppose le pelage extrêmement clairsemé et la pâleur des mâles adultes, la couleur de base étant brun-cannelle. D'une pâleur accentuée au contact de l'eau glacée, la peau privée de sang (ischémique) devient presque blanche. À l'inverse, au soleil, congestionnée en raison de l'afflux sanguin, elle prend une teinte rosée comparable à la couleur provoquée par un coup de soleil. Le phénomène de mue annuelle (juin-juillet) commence, chez les jeunes, trois mois avant la naissance : le bébé morse perd son doux pelage blanc dit « lanugo » au profit d'une fourrure rêche et foncée ; il muera à nouveau au cours de l'été suivant.
2.2. Les sous-espèces
Deux sous-espèces sont reconnues de façon unanime par tous les auteurs :
Odobenus rosmarus rosmarus, le morse de l'Atlantique : nord de l'Atlantique et océan Arctique ;nord-est du Canada, Groenland, archipels de Svalbard et de la Terre François-Joseph dans l'Arctique. Museau plus carré, avec des défenses égales à 12 % de la longueur du corps (3,50 m).
Odobenus rosmarus divergens, le morse du Pacifique : nord du Pacifique et océan Arctique ; nord de l'Alaska, est de la Sibérie (mer de Béring, mer des Tchouktches, mer de Sibérie orientale). Le plus gros ; défenses espacées, égales à 17 % de la longueur du corps (4,20 m) ; les populations de la mer de Laptev sont plus petites.
Une troisième sous-espèce est contestée : Odobenus rosmarus laptevi, le morse des Laptev. Certains auteurs considèrent que la population de morses qui occupe la mer des Laptev, au nord de la Sibérie, forme une sous-espèce à part entière ; d'autres pensent qu'il s'agit d'une population du morse du Pacifique.
MORSE | |
Nom : | Odobenus rosmarus |
Famille : | Odobénidés |
Ordre : | Pinnipèdes |
Classe : | Mammifères |
Identification : | Peau rugueuse beige à brun foncé ; rares poils sur le corps ; défenses jusqu'à 50 cm (femelles) et 1 m (mâles) |
Taille : | Mer de Béring et baie d'Hudson, respectivement : |
Poids : | Mer de Béring et baie d'Hudson, respectivement : |
Habitat : | Mers arctiques ; banquise, icebergs, côtes rocheuses |
Répartition : | De l'est du Canada et du Groenland jusqu'au nord de l'Eurasie et à l'ouest de l'Alaska |
Régime alimentaire : | Mollusques ; petits poissons ; autres invertébrés |
Structure sociale : | Grégaire ; pas de harems |
Maturité sexuelle : | Femelles : 4-5 ans en moyenne ; mâles : entre 7 et 9 ans |
Saison de reproduction : | Accouplements de décembre à mars ; naissances de mi-avril à mi-juin |
Gestation : | 15-16 mois |
Nombre de jeunes par portée : | 1 ; de 60 à 65 kg pour 1,20 m de long |
Longévité : | Jusqu'à 40 ans |
Effectifs : | Estimés à environ 222 500 individus (22 500 morses de l'Atlantique ; 200 000 morses du Pacifique — incluant la population des morses des Laptev) |
Statut : | Chasse réglementée ; espèce soumise au Marine Mammal Protection Act aux États-Unis ; inscrite à l'Annexe III de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction) et à l'Annexe II de la Convention de Berne |
2.3. Signes particuliers
Museau
Sur son museau, le morse arbore une moustache composée d'environ 450 vibrisses sensorielles érectiles, irriguées par des vaisseaux sanguins. Chacune d'elles comporte un nerf central. Couvrant la lèvre supérieure, les vibrisses sont disposées en rangées. Lisses, raides et de couleur blanchâtre, elles peuvent atteindre 15 cm de longueur pour 3 mm de diamètre, les plus longues étant celles situées en position ventro-latérale, et les plus sensibles étant les vibrisses centrales. Organe sensoriel vital, elles permettent de situer à l'avance les fêlures de la banquise dues aux courants chauds. D'elles dépend l'attitude hostile ou bienveillante du morse.
Défenses
Présentes chez les deux sexes, les défenses, situées à la commissure des lèvres, sont l'allongement des canines supérieures. Longues de 60 cm environ, elles atteignent parfois 1 m chez les vieux mâles ; leur poids varie de 3 à 6 kg. Elles permettent de déterminer l'âge du morse et différencient les sexes : les défenses des femelles sont plus courtes, plus fines et de section circulaire, alors que celles des mâles sont plus massives, plus droites, plus longues et de section plutôt elliptique. À croissance continue, elles percent la gencive des jeunes à six mois environ, mesurent 2,5 cm à 1 an, mais restent cachées par le repli labial jusqu'à l'âge de deux ans.
Peau
Épaisse de 2 à 4 cm et cornée, la peau est sillonnée de plis et de creux, surtout au niveau des articulations. Au cou et aux épaules, la peau grenue du mâle est couverte de nodules d'environ 5 cm, qui lui assurent une protection renforcée. Des couches adipeuses sous-cutanées de 15 cm isolent le morse du froid.
Crâne
Massif, il s'inscrit pratiquement dans un rectangle. La présence des canines-défenses rend la partie rostrale très développée. La base du crâne d'un morse du Pacifique, le plus grand, peut atteindre 42 cm pour une largeur du rostre de 24 cm. Le morse a 18 dents, mais ne possède aucune molaire. Les incisives n'existent qu'à la mâchoire supérieure.
3. Origine et évolution du morse
Les pinnipèdes (ou animaux « aux pieds en forme de nageoire ») sont des mammifères qui, au cours de l'évolution, de terrestres sont devenus aquatiques ; leurs membres se sont transformés en nageoires. Comme les otaries et les phoques, les morses dépendent de la terre ferme pour se reproduire ; mais c'est en mer qu'ils se nourrissent.
Morse, phoques (famille des phocidés) et otaries (otariidés) appartiennent à l'ordre des carnivores, au sein duquel ils étaient autrefois regroupés dans le sous-ordre des pinnipèdes. Cette subdivision est aujourd'hui généralement considérée comme obsolète (bien que le terme de pinnipèdes continue à être utilisé pour désigner ces mammifères marins) ; ces trois familles sont placées, aux côtés notamment des mustélidés (belettes, loutres), des ursidés (ours) et des canidés (chiens, loups, renards), dans le sous-ordre des caniformes. En fait, les relations entre les familles de l'ordre des carnivores restent controversées, et l'histoire évolutive des pinnipèdes continue d'être discutée. En effet, tout d'abord considérés comme un groupe monophylétique, c'est-à-dire descendant d'un même ancêtre commun – ce dernier étant supposé proche des ours –, il a ensuite été vu comme étant composé de deux lignées différentes : l'une, celle des otaries, dérivant d'un ancêtre de type ours, l'autre, celle des phoques et du morse, ayant un ancêtre de type mustélidé. Respectivement en 2005 et 2006, deux études moléculaires concluent toutefois à l'origine monophylétique des pinnipèdes, mais selon la seconde, les pinnipèdes partageraient un ancêtre commun non avec les ours, mais avec la superfamille des mustéloïdes (qui inclue les mustélidés et les procyonidés – ratons laveurs).
Les premiers fossiles connus de pinnipèdes datent d'il y a 22 à 24 millions d'années (à la fin de l'oligocène et au début du miocène). Ce sont les Enaliarctos (famille des enaliarctidés). Ils vivaient dans le Pacifique nord et devaient ressembler aux otaries à fourrure contemporaines avec leurs petites oreilles (otarion signifiant, en grec, petite oreille).
Il y a 10 millions d'années, les morses étaient les plus abondants et les plus diversifiés des pinnipèdes du Pacifique. En ce temps, certains étaient mangeurs de poissons, d'autres avaient déjà adopté un régime alimentaire composé de mollusques et d'invertébrés des profondeurs. Un morse fossile datant de la fin du miocène ou du début du pliocène, découvert en Californie, a permis d'établir que l'animal chassait surtout des invertébrés à chair molle des profondeurs, et qu'il extrayait déjà par succion les bivalves de leurs coquilles. L'absence de dents latérales prouverait son appartenance à l'une des branches qui se serait éteinte, pendant que celle des morses actuels continuait d'évoluer. Peu à peu, l'alimentation de ceux-ci se modifiant, leurs canines devinrent des défenses à croissance continue, et ils passèrent de la locomotion quadrupède à la propulsion à l'aide des membres antérieurs.
Empruntant le bras de mer « centro-américain » (actuellement Costa Rica et Panamá), des morses, dorénavant munis de défenses et capables de dénicher leurs proies dans la vase, s'installèrent dans l'Atlantique nord il y a entre 5 et 8 millions d'années. Alors que les populations restées dans le Pacifique disparaissaient, ces morses de l'Atlantique prospéraient. Il y a un million d'années environ, ils gagnèrent l'Arctique, avant de recoloniser le Pacifique nord, 300 000 ans environ avant notre ère.
Devenu depuis l'un des symboles de l'Arctique, le morse a été victime d'une surexploitation commerciale – pour l'ivoire de ses défenses – qui l'a conduit au bord de l'extinction. Si les populations du Pacifique se sont depuis bien rétablies, celles de l'Atlantique sont toujours fragiles.
4. Le morse et l'homme
Pendant des siècles, les seules chasses au morse étaient celles des Inuits. Ensuite tués pour leurs défenses d'ivoire, ces animaux sont aujourd'hui menacés par la pollution de leur environnement et la surpêche.
4.1. L'étude des morses en captivité
Quatre facteurs rendent difficiles l'analyse de la composition des populations de morses, l'estimation de leurs effectifs et l'étude de leur emploi du temps au cours d'une journée ordinaire ou lors des migrations : leur nomadisme, l'impossibilité de pratiquer l'opération de marquage des jeunes une fois sevrés, en raison de leur poids déjà imposant et de l'assistance systématique de leurs congénères en cas de danger, la température glaciale (rarement supérieure à 4 °C) et le manque de visibilité des eaux vaseuses dans lesquelles ils se complaisent. Aussi, les chercheurs ont-ils soit expérimenté des méthodes moins risquées, soit procédé à des études sur des morses captifs, qui sembleraient s'adapter à cette privation de liberté à condition d'être approvisionnés en clams ou en petits poissons, tels les harengs. Il arrive que les parcs recueillent et élèvent au biberon de jeunes orphelins dont la mère a été tuée par des trafiquants d'ivoire ; tel est le cas de Blue, transféré de la banquise de l'Alaska au marineland de Los Angeles, où il survécut moyennant 6 biberons quotidiens contenant chacun plus de 2 litres de concentré de poissons et de protéines ! La technique d'approche du morse envers un autre individu a pu ainsi être comprise : après avoir localisé la main qui lui est tendue à l'aide de ses vibrisses latérales (il ne mord pas), l'animal la sent puis l'identifie au moyen de ses vibrisses centrales fort sensibles. Ensuite, soit il permet à son interlocuteur de lui toucher le museau tout en continuant à le frôler avec ses vibrisses, soit, d'un violent coup de tête, il l'envoie 5 mètres plus loin ! Il agira de même face à un congénère inconnu.
4.2. Un animal indispensable pour les inuits
Dans l'environnement glacé de l'Antarctique, les Inuits chassent les morses pour s'en nourrir. Tout à la fois, les aborigènes vénèrent et craignent le mammifère aux moustaches blanches et aux longues défenses. Respectueux à son égard, ils lui attribuent de nombreuses qualités dites humaines : solidarité, sociabilité, courage, tendresse. À celles-ci s'ajoutent d'autres ressemblances avec l'homme : un lent développement, une maturité sexuelle tardive, une longévité assez importante et un goût pour la vie communautaire. Cependant, les Inuits le redoutent pour sa colère : selon certaines croyances, le morse se servirait de ses défenses comme de grappins pour faire chavirer leurs barques.
Mais, avant tout, le morse représente une source majeure de nourriture dont les peuples du Grand Nord ont dépendu pendant des millénaires. Jadis, rien n'était perdu de la prise : les chasseurs récupéraient la viande pour l'alimentation, la graisse pour l'éclairage et le chauffage, la peau pour l'habillement et l'outillage. Et avec les défenses on fabriquait les lames des luges ou des lunettes pour se protéger de la réverbération. Aujourd'hui encore, les poils des vibrisses servent de cure-dents.
La réduction des effectifs liée à l'exploitation commerciale des morses a été catastrophique pour ce peuple : dans la région du détroit de Béring, un tiers des Inuits moururent de faim en 1878-1879 – et sans doute beaucoup plus sur les îles. Le bouleversement du mode de vie des communautés inuites a modifié cet état de fait : les communautés du Grand Nord ne dépendent plus comme par le passé de la survie du mammifère. Cependant, tant en Amérique du Nord qu'en Eurasie, la chasse traditionnelle est autorisée.
4.3. Une survie difficile dans un environnement de plus en plus modifié par l'homme
Les mesures de protection dont il fait l'objet ne suffisent plus à préserver le morse de l'extinction. La valeur marchande des défenses est, certes, la première cause de la réduction de ses effectifs, et leur prix flambe encore sur les marchés locaux, malgré l'interdiction du commerce de l'ivoire non travaillé. Mais de nouveaux écueils guettent le morse, le plus périlleux étant certainement la pêche industrielle à la palourde. Alors qu'autrefois, ses ressources nourricières n'étaient pas exploitées par d'autres espèces, une rivalité alimentaire est née depuis que l'être humain est devenu un mangeur invétéré de bivalves. Et cette forte concurrence s'avère de plus en plus préoccupante. Le morse consomme en effet environ 27 kg de palourdes par jour ! L'impact de la pêche est d'autant plus néfaste à l'espèce que cette activité altère l'écosystème dont elle fait partie.
Par ailleurs, les déversements dans le milieu marin de substances toxiques, provoqués par l'industrialisation galopante de l'hémisphère Nord, créent une pollution chimique des océans par les métaux lourds et les insecticides. Ces substances, filtrées et retenues par les bivalves, s'accumulent dans l'organisme des morses, qui en sont de grands consommateurs. De fortes concentrations de métaux lourds (plomb, cadmium, mercure) ont été retrouvées chez les morses du Pacifique. Certains sont aussi contaminés par les pesticides organochlorés.
4.4. Traqué pour son ivoire
En dépit de leur retraite sur des terres lointaines, les morses n'ont pas été épargnés par les affres de la société de consommation. Alors que la prédation humaine traditionnelle n'impliquait pas de gestion de leurs populations, les prises étant limitées, l'exploitation ultérieure a eu des effets catastrophiques sur leurs populations. En effet, contrairement aux peuples des régions polaires qui ne laissaient aucun déchet – toutes les parties du pinnipède, viande, cuir, graisse, servant à la consommation –, les chasseurs européens ont perpétré des carnages aux seules fins de récolter l'huile, de qualité comparable à celle des cétacés, et l'ivoire dépourvu d'émail, susceptible d'être travaillé comme celui des éléphants et très prisé sur le marché mondial.
C'est à partir du xvie siècle que les morses du Pacifique commencent à être systématiquement poursuivis pour leur ivoire. Certains troupeaux sont alors définitivement éliminés de leurs habitats traditionnels. Un siècle plus tard, la tuerie s'intensifie, quand, attirés par leur « or blanc », les trappeurs des compagnies de marchandises russes, passant à proximité de la mer et du détroit de Béring, tuent en chemin nombre de morses. L'impact de ce prélèvement n'est toutefois pas encore dramatique : les 4 800 kg exportés annuellement entre 1861 et 1863 correspondent à la prise de moins d'un millier de morses, outre les quelque 300 animaux capturés par les communautés locales.
L'achat par les Américains, en 1867, du territoire russe de l'Alaska est le point départ d'une exploitation intensive.
Les chasseurs de baleines franches organisent, sans scrupule aucun, de vastes chasses aux morses : 12 000 individus constituent entre 1869 et 1879 leur cible annuelle, sans compter les animaux blessés qui se réfugient dans la mer ensanglantée pour y mourir, la récupération des victimes touchées par balles étant plus difficile. À cause des armements sophistiqués qui, au lendemain de la guerre civile américaine, remplacent les harpons, les populations de morses sont décimées et ne tardent pas à s'effondrer.
4.5. Une protection nécessaire
La chasse intensive des morses, préjudiciable à l'espèce et fatale aux populations humaines qui dépendent d'eux, impose alors une protection d'envergure. En raison de leur surexploitation commerciale, l'avenir des morses, à la fin du xixe siècle, est en effet critique : les femelles surtout ont été massacrées en période de fonte de la banquise, car leurs stations prolongées à terre pour élever les jeunes les rendent plus vulnérables. Prenant conscience de ce fléau, à partir de 1880 (les morses ont déjà perdu la moitié de leurs effectifs), les autorités décident d'agir, mais la chasse est déjà limitée, faute de proies en quantité suffisante. Les morses peuvent régénérer une partie de leurs populations entre 1890 et 1900. Mais la pause est de courte durée : en 1930, l'exploitation commerciale récente de l'U.R.S.S. en condamne plus de 8 000. À la même époque, alors que les morses sont au bord de l'extinction, le gouvernement américain tente d'interdire sur son territoire toute poursuite à caractère commercial. À la fin des années 1950, la situation des Inuits devient critique en raison de la disparition de la moitié des morses du Pacifique. Aussi, dès 1960, l'U.R.S.S. et les États-Unis imposent des quotas stricts à la pêche industrielle, protégent les sites de reproduction et interdisent l'abattage dans l'eau. Grâce à ces mesures, les morses du Pacifique ont pu recouvrer des effectifs « normaux » en une dizaine d'années. En revanche, la population de morses de l'Atlantique, la première à avoir régressé, ne s'est jamais régénérée depuis.
Les morses du Pacifique et de l'Atlantique continuent aujourd'hui à être protégés : seules les prises pour la chasse traditionnelle pratiquée par les peuples autochtones, notamment les Inuits, est autorisée. Aux États-Unis, l'espèce bénéficie de la protection du MMPA (Marine Mammal Protection Act). Pour éviter le braconnage, l'État de l'Alaska a même interdit le commerce de l'ivoire non travaillé. Seuls les Inuits ont le droit de vendre des objets d'art en ivoire, provenant d'animaux tués pour leur viande. Au Canada, le morse de l'Atlantique figure sur le registre des espèces en péril, dans la catégorie « situation préoccupante ». Le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (Cosepac) estime que ses effectifs sont toujours en chute.
Le morse bénéficie aussi de mesures de protection internationales. Il est inscrit sur les listes de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction), en Annexe III, et sur celles de la Convention de Berne, en Annexe II. Malgré toutes ces mesures, le morse continue d'être victime de l'homme pour son ivoire : en effet, un certain braconnage se maintient, tant en Amérique du Nord qu'en Russie.