lamantin
Avec sa queue en spatule et sa silhouette de sous-marin, le lamantin des Antilles, Trichechus manatus, se présente sous un aspect bien étrange. Surnommé « vache de mer », cet animal inoffensif mène une vie paisible dans les eaux chaudes du globe.
Introduction
L'origine des siréniens, l'ordre de mammifères marins auquel appartient le lamantin, reste obscure. Leurs ancêtres remontent au moins au paléocène (il y a 54 à 65 millions d'années), mais ils n'ont pas été identifiés jusqu'à présent. Les plus anciens fossiles connus datent du début de l'éocène, il y a environ 50 millions d'années. À l'éocène supérieur, les siréniens sont bien diversifiés, et on distingue déjà les deux familles contemporaines : celle des trichéchidés (lamantins) et celle des dugongidés (dugongs).
L'évolution de l'ordre paraît liée, d'une part, à l'ouverture de la mer Téthys, qui s'étendait de l'Espagne à la Chine (et dont la Méditerranée représente le seul vestige actuel), et, d'autre part, à l'apparition d'herbes marines différentes des algues (Zostera, Ruppia ou Posidonia). La répartition des siréniens a suivi celle de ces plantes à partir de l'éocène, et on les retrouve maintenant entre 30° de latitude nord et 30° de latitude sud, là où ces herbes marines forment de véritables prairies entre la surface et 12 m de profondeur.
L'évolution des siréniens s'est effectuée dans deux sites géographiques correspondant à Téthys et à la future mer des Antilles. Dans la lignée des lamantins (trichéchidés), on ne connaît de Prorastomus, le plus ancien fossile de sirénien, que le crâne. Avec cinq prémolaires, cet animal descend probablement d'un groupe de mammifères très ancien. À la même époque, le dugongidé Eotheroides a déjà pratiquement tous les traits que l'on retrouve dans l'espèce moderne : museau court et plat, défenses, dents munies de tubercules et de crêtes transversales, pas de membres postérieurs et des os denses.
On connaît aujourd'hui près d'une quinzaine de genres fossiles de siréniens, qui constituent deux séries chronologiques très claires conduisant respectivement aux lamantins actuels, au dugong et à la rhytine.
La séparation géographique actuelle des deux familles, lamantins et dugongs, est récente ; les dugongs ont précédé les lamantins autour de ce qui est devenu la mer des Antilles.
La vie du lamantin
Un nageur indolent
Contrairement aux autres mammifères marins – cétacés, phoques, morses et otaries –, le lamantin n'est pas un nageur élancé et rapide. Habitant les côtes, c'est un herbivore qui, pour nager, se sert de sa large queue en forme de spatule, aplatie et au contour arrondi. Ses déplacements habituels sont de l'ordre de 3 à 7 km/h ; toutefois, notamment s'il est poursuivi, il peut faire des pointes de 25 km/h, au moins pendant quelque temps. De même, ses plongées sous la surface de l'eau, entre deux respirations, ne durent habituellement guère plus de une minute, mais peuvent quelquefois dépasser cinq minutes en cas de nécessité. Des enquêtes menées en Floride, au nord de son aire de répartition, donnent une moyenne de 4 minutes 30 secondes.
Des mammifères très caressants
La discrétion des lamantins et leur goût pour les eaux plutôt opaques rendent plus difficile l'étude de leurs relations sociales. Pour les identifier, une méthode sans radio-émetteur consiste à repérer les cicatrices que, malheureusement, presque tous les animaux portent sur le corps, à la suite de collisions avec les hélices des bateaux à moteur.
Les lamantins ne vivent guère en société. Le seul groupe régulier est composé d'une femelle et de son jeune. Solitaires et indépendants, les adultes ne se rassemblent sur le même site que pour profiter de certaines conditions favorables – abondance de ressources alimentaires, source chaude en hiver ou, en ce qui concerne les mâles, proximité d'une femelle. Lors de ces rencontres, les animaux ont des contacts qui paraissent codifiés : ils se reniflent et se caressent, comme en signe de reconnaissance. En hiver, en Floride, tout un groupe de lamantins se retrouve à Crystal River, à l'intérieur de la péninsule. En cette saison, les eaux y sont nettement plus chaudes que sur la côte. D'une année sur l'autre, les animaux se frottent contre les mêmes objets immergés, tronc ou pierre, lorsque ceux-ci sont encore en place. Ces frottements ne sont pas seulement destinés à soulager des démangeaisons : les zones frottées (région ano-génitale, aisselles et museau) possèdent des glandes permettant aux femelles en chaleur de sécréter une odeur qui les signale aux mâles.
En dehors de ces périodes, les lamantins sont plutôt nomades. Le plus souvent, ils longent les estuaires et les rives, et ne se fixent à un endroit que pendant quelques jours, parfois quelques mois. Dans la mer des Antilles, les lamantins traversent quelquefois des bras de mer en s'éloignant des côtes, afin de se rendre d'une île à l'autre.
Des animaux frileux
Les lamantins ne peuvent rester longtemps dans une eau dont la température est inférieure à 20 °C. En effet, leurs réserves de graisse étant faibles et leur métabolisme bas, ils n'ont pas de quoi résister au froid. C'est pourquoi, au nord et au sud de leur aire de répartition (le long des États atlantiques des États-Unis et du Brésil), ils effectuent en hiver des migrations pour rejoindre des eaux plus chaudes. Les mouvements migratoires annuels peuvent être de l'ordre de 150 à 200 km, parfois plus.
Un petit longtemps attaché à sa mère
Chez le lamantin, la saison propice à la reproduction ne semble pas très marquée. Toutefois, la gestation durant de 12 à 13 mois, les accouplements se font à peu près à la même période que les naissances. Il semble qu'en Floride celles-ci aient lieu le plus souvent au printemps et en été. Les mâles repèrent les femelles en chaleur grâce à des signaux chimiques. En effet, les animaux se frottent contre des objets immergés et y laissent des traces olfactives de leur passage. De plus, lors de leurs rencontres, les lamantins se flairent mutuellement, reniflant les zones ano-génitales de leurs congénères.
De multiples prétendants
Quand une femelle est en chaleur, elle peut entraîner derrière elle une cohorte de prétendants : on a compté jusqu'à 20 mâles poursuivant la même femelle ! Il est probable que l'accouplement soit précédé d'affrontements et d'une âpre compétition.
Après 12 à 14 mois de gestation environ, la femelle donne naissance à un petit pesant à peu près 30 kg et mesurant entre 120 et 140 cm de long. On a pu voir également des femelles avec des jumeaux, mais cela est rare. Le petit lamantin est très sombre, presque noir. Il commence par nager avec ses membres antérieurs plus qu'avec sa queue. Pendant les premières semaines, il reste près de sa mère. Dès l'âge de 1 à 3 mois, il commence à goûter à la végétation aquatique, mais on ne sait à quel moment exactement il devient autonome du point de vue alimentaire. La femelle possède deux mamelles situées près de l'attache des membres antérieurs, et le petit continue, en tout cas, à téter bien au-delà de 12 mois, peut-être jusqu'à 2 ans, l'âge de son émancipation. Cet élevage relativement long permet à la mère d'indiquer au jeune les sites d'alimentation et de lui faire connaître les voies migratoires. L'intervalle entre deux naissances est de 3 à 5 ans, plus rarement de 2 ans à 2 ans et demi. Il semble que le jeune mâle n'atteigne pas sa complète maturité avant 9 ou 10 ans. Les femelles sont matures avant, à 4 ou 5 ans. La longévité de l'espèce dépasse 30 ans, peut-être même 50 ans.
Un herbivore sous-marin
Bien qu'herbivore, la « vache de mer », comme on l'appelle parfois, ne rumine pas. Le lamantin se rapprocherait plutôt en cela des chevaux et des éléphants, mais cela ne signifie pas qu'il partage des liens de parenté avec eux. Si son existence est liée à la présence de plantes supérieures marines (phanérogames), il lui arrive toutefois de consommer quelques algues. Dans les Antilles et en Floride, on a recensé 44 espèces végétales et 10 espèces d'algues dont le lamantin est friand. À l'occasion, il peut même avaler des poissons ou des invertébrés aquatiques.
Une évolution liée aux plantes
Le régime du lamantin a entraîné certaines particularités anatomiques. En effet, il consomme des plantes abrasives qui usent sa dentition. Pour pallier ce problème, ses molaires sont régulièrement remplacées, tout au long de la vie de l'animal. Les nouvelles molaires, en arrière, poussent celles en avant au rythme de 1 mm par mois, jusqu'à ce qu'elles tombent. Il semble qu'un mouvement des molaires vers l'avant de la mâchoire s'enclenche dès que le petit commence à mastiquer des végétaux. Le tube digestif du lamantin constitue une autre particularité. Très long, il permet la digestion de la cellulose par fermentation. Enfin, comme le lamantin des Antilles va souvent puiser ses aliments au fond de l'eau, son museau est légèrement incliné vers le bas. Ce n'est pas le cas du lamantin de l'Amazone qui, lui, se nourrit plus volontiers de végétaux flottants.
En fait, une part importante de la nourriture de Trichechus manatus est constituée par les rhizomes (tiges souterraines) des plantes broutées. Aussi l'animal arrache-t-il celles-ci pour atteindre leur partie souterraine. La nourriture consommée par les lamantins étant assez pauvre en substances nutritives et énergétiques, ils sont contraints d'en consommer de grandes quantités chaque jour (entre 8 et 15 % de leur masse corporelle). La pauvreté de leur alimentation explique leur répartition limitée aux eaux chaudes : en eau plus froide, ils ne sauraient maintenir leur température interne.
Vache de mer et d'eau douce
Le lamantin peut vivre en eau douce comme dans la mer, car son organisme fait face à toutes les variations de salinité de son milieu aquatique. C'est pourquoi les chercheurs supposent que sa distribution géographique est liée à un accès régulier à des fleuves ou à diverses sources d'eau douce entre la Floride et le Brésil.
Un interminable tube digestif
Un interminable tube digestif
Le lamantin possède un tube digestif étonnamment long : son intestin mesure de 40 à 45 m ! Il lui permet d'absorber un grand volume d'aliments chaque jour et favorise la fermentation de la cellulose. Au niveau du cæcum s'effectue l'essentiel de la digestion, grâce aux bactéries et aux protozoaires qui dégradent la cellulose.
Pour tout savoir sur le lamantin
Lamantin des Antilles (Trichechus manatus)
Avec son squelette épais, son œil minuscule et sa queue en spatule, le lamantin ne peut être confondu avec aucune autre espèce aquatique.
Le corps, de forme ovale et aplati sur le dos et sur le ventre, est couvert de poils clairsemés. En revanche, les vibrisses du museau sont denses. Comme chez toutes les espèces dotées d'hydrodynamisme, le lamantin ne possède ni oreille externe ni membre postérieur. Les membres antérieurs, mobiles, sont bien développés. Ils servent aux déplacements sur le fond de l'eau et c'est aussi grâce à eux que les animaux peuvent se gratter, s'embrasser et pousser de la nourriture dans leur cavité buccale. L'épiderme se renouvelant sans cesse, les algues aquatiques et les parasites externes ne peuvent proliférer sur la peau.
Si la vision du lamantin est limitée en raison de la taille réduite du globe oculaire, son ouïe est relativement bonne, particulièrement autour de 1 à 1,5 kHz, la perception allant jusqu'à 35 kHz. L'acuité du toucher est démontrée par le penchant qu'ont ces siréniens pour les embrassades et les caresses. Le sens du goût est présent et l'odorat, bien développé.
Hormis une tendance des femelles à dépasser les mâles en poids et en taille, on ne relève aucun caractère sexuel secondaire chez les lamantins. Hors période de gestation, les mamelles des femelles ressemblent en tout point aux mamelons des mâles. Seule la position des orifices génital et urinaire sur la face ventrale permet de les différencier. Outre l'épaisseur, le squelette présente quelque singularité par rapport à celui des autres mammifères : 6 vertèbres cervicales, au lieu de 7, et un diaphragme parallèle à l'axe du corps, au lieu d'être oblique.
Les sous-espèces
Deux sous-espèces du lamantin des Antilles sont reconnues :
le lamantin de Floride, Trichechus manatus latirostris ;
le lamantin de Martinique, Trichechus manatus manatus.
LAMANTIN DES ANTILLES |
|
Nom (genre, espèce) : |
Trichechus manatus |
Famille : |
Trichéchidés |
Ordre : |
Siréniens |
Classe : |
Mammifères |
Identification : |
Silhouette ovale caractéristique, presque glabre, sans membre postérieur visible, queue en spatule. Couleur grisâtre. Bouche, lèvres et narines forment un museau original |
Taille : |
De 2,50 à 4,50 m ; moyenne : entre 3 et 4 m ; les femelles sont plus grandes que les mâles |
Poids : |
De 200 à 600 kg ; 500 kg en moyenne ; record : 1 000 kg |
Répartition : |
De la Floride (30° N.) au Brésil (12° S.), Antilles |
Habitat : |
Côtes, estuaires ; Orénoque et embouchure de l'Amazone ; eaux douces, saumâtres et salées |
Régime alimentaire : |
Herbivore : le lamantin mange essentiellement des phanérogames aquatiques |
Maturité sexuelle : |
Entre 4 et 8 ans, peut-être seulement à 10 ans |
Saison de reproduction : |
Peu marquée au centre de l'aire de répartition ; printemps et été au nord et au sud |
Durée de gestation : |
12-13 mois |
Nombre de jeunes par portée : |
1, pesant de 28 à 36 kg |
Longévité : |
Plus de 30 ans, peut-être 50 ans |
Effectifs : |
Inconnus sur l'ensemble de l'aire ; estimés à moins de 10 000 individus en tout ; en diminution |
Statut, protection : |
Espèce vulnérable. Protégée partout, mais mesures de protection mal appliquées ; figure en Annexe I de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction) |
Signes particuliers
Tête
La position des narines en haut de la tête permet à l'animal de respirer à la surface sans se faire remarquer. Le museau est composé d'une large lèvre supérieure couverte de vibrisses. À sa base, près de la commissure, on découvre deux sortes de petits « doigts » préhensiles permettant à cet herbivore de saisir ses aliments. Seules les dents jugales sont présentes : le jeune a bien une paire de dents de lait supérieures, des incisives, mais celles-ci ne sont pas remplacées après leur chute. Quant au système de substitution des molaires, il est analogue à celui de l'éléphant, mais plus développé, chaque demi-mâchoire pouvant accueillir jusqu'à 30 molaires durant la vie de l'animal (alors que l'éléphant ne dispose que de trois prémolaires et de trois molaires successives).
Œil
Le globe oculaire ne mesure que 15 mm de diamètre. La rétine possède des cônes et des bâtonnets, et la vision doit être correcte même par faible intensité lumineuse. Les lamantins doivent voir assez loin dans une eau claire, mais il leur arrive de heurter des objets proches, comme s'ils ne les avaient pas vus.
Patte
Les os des membres antérieurs du lamantin sont massifs comme d'ailleurs le reste du squelette. On remarque qu'il n'y a qu'une seule phalange au pouce, deux seulement au cinquième doigt et trois aux deuxième et quatrième doigts. Les doigts sont prolongés dans la partie externe de la patte par des ongles très courts. On retrouve cette structure d'ongle chez le lamantin d'Afrique (Trichechus senegalensis). En revanche, elle n'existe pas chez l'espèce de l'Amazone (Trichechus inunquis). Quant à la rhytine de Steller (Hydrodamalis gigas), éteinte au xviiie siècle, elle ne possédait pas du tout de phalanges.
Queue
Plate et arrondie, elle est l'élément essentiel pour la natation, puisque l'animal ne se sert pas de ses membres antérieurs pour nager. En revanche, ceux-ci lui sont utiles lors de ses déplacements au fond de l'eau.
Les autres siréniens
L'ordre des siréniens rassemble quatre espèces actuelles, ainsi qu'une cinquième, éteinte à la fin du xviiie siècle. De la même famille que le dugong, cette dernière, la rhytine de Steller (Hydrodamalis gigas), était le plus grand représentant de l'ordre (probablement 8 m de long pour un poids de 4 t ou plus) et le seul à habiter des eaux froides. L'espèce avait été découverte en 1741, autour des îles de l'archipel qui prolonge la péninsule de l'Alaska, au niveau de la mer de Béring, par une expédition de Vitus Bering, et étudiée par le naturaliste du bord, Georg Steller. La rhytine ne plongeait pas vraiment, restant à la surface de l'eau et consommant une grande algue brune appelée « kelp ». La rhytine n'avait pas de dents. Elle n'avait pas non plus de phalanges aux membres antérieurs, et sa tête était petite par rapport au corps. Cible aisée pour les chasseurs, l'espèce a disparu en moins de 30 ans : les dernières rhytines ont probablement été tuées en 1768.
Tous les siréniens sont des mammifères marins herbivores. Leur régime, composé de certaines plantes marines, impose à ces espèces un milieu intertropical d'eaux peu profondes, dans lequel la lumière solaire parvient jusqu'aux plantes aquatiques. Comme tous les herbivores, les siréniens peuvent atteindre des densités locales relativement importantes. Malheureusement, ces concentrations ont attiré les chasseurs, et les quatre espèces sont actuellement menacées.
Dugong (Dugong dugon)
Seul représentant actuel des dugongidés.
Identification : adulte, environ 2,70 m de long. Poids entre 250 et 300 kg. La partie postérieure du corps est comprimée sur le côté. Queue semblable à celle des dauphins. Peau plus douce et plus lisse que chez le lamantin. Museau incliné vers le bas. Dans la mâchoire supérieure des mâles se trouve une paire d'incisives qui, en poussant, deviennent de véritables petites défenses. Elles commencent à pointer vers 9 ou 10 ans, après la puberté. Chaque demi-mâchoire possède 3 prémolaires et 3 molaires. Toutes ces dents apparaissent à des moments différents et, si les 4 premières finissent par s'user et tomber, les 2 dernières poussent pendant toute la vie de l'animal. Il n'y a toutefois pas de système de substitution comme chez les lamantins. Tube digestif très long. Rein mieux adapté que chez le lamantin au milieu marin : capable de concentrer l'urine pour éliminer le sel.
Répartition : nettement plus marin que le lamantin, le dugong est le sirénien qui a l'aire de répartition la plus étendue. De la mer Rouge à l'ouest du Pacifique : le long des côtes de l'Afrique orientale, en Égypte, au Mozambique, à Madagascar et aux Comores, dans la péninsule arabique et surtout dans le golfe Persique ; du Pakistan au Sri Lanka, sur les côtes ouest de l'Inde, dans les îles de l'Indonésie et des Philippines et au nord jusqu'à Okinawa (archipel des Ryukyu, au Japon) ; enfin, vers le sud, en Mélanésie (Nouvelle-Guinée, Vanuatu, Nouvelle-Calédonie) et sur les côtes de la moitié nord de l'Australie.
Alimentation : feuilles, racines et rhizomes des plantes aquatiques, rarement des invertébrés. Les mâles n'utilisent pas leurs défenses pour s'alimenter.
Comportement : rassemblements occasionnels de centaines d'animaux. Se nourrit le jour mais devient nocturne en zone de dense activité humaine. Selon des études menées en Australie par la spécialiste Hélène Marsh et par son équipe, il descend rarement s'alimenter au-delà de 11 à 12 m de profondeur, chaque plongée pouvant durer de 5 s à 3 min 75 s, la moyenne étant de 1 min 2 s à 1 min 5 s. L'apnée maximale enregistrée a duré 8 min. Plutôt sédentaire, le dugong passe jusqu'à 95 % de son temps à l'intérieur de domaines vitaux de 4 à 11 km2. Inversement, on a enregistré le déplacement d'un individu, pratiquement en ligne droite, pendant 51 h, sur 140 km (moyenne de 3 km/h).
Reproduction : affrontements entre mâles peut-être plus vigoureux que chez les lamantins. Lactation qui peut durer 18 mois, mère et petit pouvant ensuite rester ensemble jusqu'à la naissance d'un autre dugong. La mise-bas semble avoir lieu dans des eaux si peu profondes que la femelle peut s'échouer si la mer descend. Elle attend la marée haute suivante pour repartir avec le nouveau-né.
Statut : vulnérable.
Lamantin d'Afrique (Trichechus senegalensis)
Identification : très semblable à l'espèce des Antilles, avec un corps un peu plus fin, un œil légèrement protubérant, un museau court et moins orienté vers le bas.
Répartition : limitée aux eaux dont la température ne descend pas au-dessous de 18 °C. Se rencontre dans les estuaires, près des sources d'eau douce et dans les rivières et lacs intérieurs calmes. Depuis le fleuve Sénégal jusqu'au fleuve Kwanza, en Angola : dans toute l'Afrique occidentale. Il remonte quelques grands fleuves comme le Sénégal, le Niger, la Bénoué, le Congo. Présence discutée dans la région du lac Tchad.
Alimentation : végétation flottante, parfois feuilles de palétuviers.
Comportement : proche de celui de Trichechus manatus. Vit en petits groupes.
Statut : vulnérable.
Lamantin de l'Amazone (Trichechus inunguis)
Identification : c'est le plus petit des siréniens actuels. Le plus long connu mesurait 2,80 m et l'un des plus lourds pesait 280 kg. Couleur générale plus foncée que celle de l'espèce antillaise, avec souvent une tache blanche sur le ventre et la poitrine (cette tache peut exister, mais rarement, chez les lamantins de Floride). Pas d'ongles apparents.
Répartition : l'Amazone et ses affluents, au Brésil, en Colombie, au Pérou et en Équateur. Lacs des plaines inondables autour des rivières. Une température de l'eau comprise entre 25 et 30 °C lui est nécessaire. Il préfère les eaux au cours plutôt lent, peu acides et riches en limon suspendu et en végétation.
Alimentation : entre 9 et 15 kg de végétation par jour, dont 24 espèces végétales connues pendant la saison des pluies. La saison sèche fait baisser le niveau des eaux et ferme l'accès à de nombreuses sources d'alimentation pour l'espèce. Pourrait sans doute jeûner chaque année en attendant le retour des pluies, et cela pendant plusieurs semaines.
Comportement : vit en petits groupes.
Reproduction : naît à la saison des pluies.
Statut : vulnérable.
Milieu naturel et écologie
La répartition des lamantins est liée à la température de l'eau et à la présence de nourriture. Bien qu'ils mangent pendant 6 à 8 heures par jour et puissent avaler de 8 à 15 % de leur propre masse, ils ne possèdent que peu de réserves pour affronter une période de jeûne. Seul le lamantin de l'Amazone en est capable, mais sa physiologie digestive semble différente de celle de l'espèce des Antilles. La température interne d'un lamantin est de l'ordre de 36,4 °C et son métabolisme de base n'est que de 300 cm3 d'oxygène par kilo et par minute ; cet animal doit donc épargner au maximum son énergie : si l'eau devient trop froide, il risque de ne pouvoir faire face à la dépense énergétique nécessaire au maintien de la température du corps.
Les lamantins ont appris à profiter des sorties d'eau chaude naturelles, puis celles des centrales thermiques présentes le long des côtes de Floride. On les retrouve rassemblés par centaines et presque serrés les uns contre les autres près des sept plus importantes centrales de cette région. Le record de concentration est de 338 animaux dans le canal de sortie de la centrale de Fort Myers.
Peu de prédateurs
Dans la nature, les lamantins ont peu de prédateurs. En eaux douces ou saumâtres, les crocodiles et les alligators peuvent capturer des jeunes. En mer, l'ensemble des siréniens doit faire face aux requins et aux orques. Rien de comparable en tout cas avec la menace représentée par l'homme qui, par la chasse, met en danger la survie des espèces.
Le lamantin et l'homme
De drôles de sirènes cruellement pourchassées
Transformés en sirènes par l'imagination des hommes, ces animaux paisibles vivent aujourd'hui difficilement au voisinage du monde moderne. Les hommes les ont tant chassés qu'une espèce, la rhytine, a totalement disparu en 1768, moins de 30 ans après avoir été découverte.
Des vertus thérapeutiques
Dans les pharmacopées traditionnelles comme dans certaines médecines occidentales, l'huile du lamantin vaut largement l'huile de foie de morue pour ses propriétés thérapeutiques : c'était au moins ce que prétendait, au xixe siècle, le médecin australien Hobbs, du Queensland.
La poudre obtenue à partir des dents constitue pour certaines communautés un médicament contre les empoisonnements alimentaires. Les larmes de dugong sont également recherchées. Chez un animal sorti de l'eau, on observe une sécrétion huileuse suintant de ses paupières, qui, en s'accumulant, forme une larme, puis se solidifie dans le coin de l'œil. Symbolisant le passage de la vie à la mort, cette larme séchée constitue, selon la croyance, un précieux talisman.
Contrairement aux pêches, les captures coutumières ou rituelles pratiquées par les autochtones ont une incidence moindre sur l'évolution de l'espèce. C'est pourquoi il ne semble pas justifié d'interdire ces pratiques, même dans les endroits où l'espèce est totalement protégée. Cependant, pour que ces prises traditionnelles puissent se poursuivre, les peuples concernés doivent observer les mesures qui régissent les prélèvements de siréniens.
La rhytine: un lamentable massacre
L'histoire de la découverte de la rhytine de Steller et les événements qui en ont découlé offrent un exemple caricatural du comportement irresponsable de l'homme.
En 1741, le navire russe Saint Peter s'échoua sur l'une des îles Aléoutiennes, au nord du Pacifique. Le capitaine du navire, Vitus Bering, mourut peu de temps après ce débarquement forcé. L'équipage, parti à la recherche de colonies d'otaries et de loutres de mer, afin d'en exploiter la fourrure, découvrit tout autour de l'île des rhytines, dont il se nourrit. Georg Steller, le naturaliste de l'expédition, explora l'île et récolta des spécimens de minéraux, de plantes et d'animaux.
C'est lui qui donna son nom à la nouvelle espèce de siréniens, découverte ainsi par hasard. Les années suivantes, de nouveaux équipages composés d'une centaine d'hommes partirent à leur tour, se nourrissant sur place de rhytines. Les chasses duraient de 8 à 9 mois ; elles donnèrent lieu à chaque fois à de véritables massacres et, finalement, à l'extermination de l'espèce. Avec une population originelle estimée à plusieurs milliers d'individus, la rhytine avait pratiquement disparu de la région dès 1754. Cette année-là, un ingénieur russe, envoyé en mission sur les îles, lança une pétition pour faire cesser l'hécatombe. En vain. L'espèce s'éteignit rapidement, très probablement en 1768.
L'essentiel des connaissances actuelles des chercheurs sur la rhytine provient des notes prises par Georg Steller, qui mourut peu de temps après son retour au Kamtchatka, et n'eut pas la possibilité de publier ses observations. Mais son manuscrit fournit un précieux témoignage.
Des espèces toutes vulnérables
Sans être totalement exterminées comme la rhytine de Steller, les autres espèces de siréniens ont, elles aussi, beaucoup souffert des chasses et des pêches. Au Brésil, où le lamantin de l'Amazone est appelé peixe-boi (poisson-vache), des dizaines de milliers d'animaux ont été tués entre 1935 et 1954 pour l'exportation des peaux, particulièrement résistantes.
Par la suite, les captures diminuèrent et, en 1975, l'Institut national des pêches de l'Amazone lança le projet de recherche peixe-boi, avec pour base Manaus. Grâce à ce projet, de nombreuses études purent être entreprises pour connaître l'anatomie, la physiologie, l'alimentation, le mode de reproduction et l'écologie de l'espèce, ainsi que son exacte répartition.
Les quatre espèces de siréniens sont considérées vulnérables par l'Union internationale pour la conservation de la nature (U.I.C.N.). La population de lamantins de Floride (sous-espèce Trichechus manatus latirostris) était estimée à environ 2 300 individus adultes au milieu des années 2000, répartis en quatre sous-populations. Il n'existe pas de recensement global de la population de la sous-espèce Trichetus manatus manatus, le lamantin de Martinique. Selon les estimations de l'U.I.C.N., fondées sur des études menées dans les divers pays de son aire de répartition, elle serait comprise entre 2 600 et 5 600, soit approximativement 4 100 animaux, dont probablement moins de 2 500 individus matures.
Les lamantins de Floride sont victimes, de façon directe ou indirecte, des activités humaines. La principale menace pesant sur les lamantins de Floride est représentée par les bateaux à moteur. Il a été calculé que les collisions avec des bateaux sont à l'origine de 25 % de la mortalité totale chez ces mammifères. De plus, l'immense majorité des individus présente des cicatrices laissées par les hélices (une étude de 1995 fait état de 97 % des animaux d'une base photographique composée de plus de 1 000 lamantins de Floride). Une autre menace importante réside dans la fluctuation des sites où l'eau est chaude toute l'année : les lamantins de Floride ont en effet appris à profiter des effluents d'eau chaude rejetés par les systèmes de refroidissement des centrales électriques. Or, ces systèmes sont progressivement remplacés par des installations plus perfectionnées qui diminuent les rejets d'eau chaude, augmentant la mortalité due au froid des lamantins pendant l'hiver.
D'autres activités humaines sont préjudiciables aux lamantins de Floride, comme l'enchevêtrement dans les filets de pêche, les noyades dans les vannes de barrages, la disparition des zones humides côtières liées à la croissance démographique, la dégradation de la qualité des eaux, l'ingestion de polluants ou de déchets, etc. Les désastres naturels tels les ouragans jouent également un rôle important dans la fragilisation des populations de lamantins.
Des mesures de protection ont été prises en faveur du lamantin de Floride : création de sanctuaires où les bateaux à moteur, ainsi que toute activité de loisir liée à l'eau, sont interdits, de refuges où ces activités sont limitées ; délimitation de zones où la vitesse des bateaux est limitée. Le plan de sauvegarde des lamantins implique aussi la protection de leur habitat, avec notamment le rachat, par l'État de Floride, de zones où les lamantins sont nombreux.
Le lamantin de Martinique souffre de menaces similaires, auxquelles il faut ajouter la chasse, pourtant illégale (l'espèce est inscrite en Annexe I de la Cites [Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction]). Il fait l'objet d'un programme de protection orchestré par la Convention de Cartagena (Convention pour la protection et la mise en valeur du milieu marin dans la région des Caraïbes).
Des hommes changés en dugongs
De Madagascar à la Nouvelle-Guinée, les récits traditionnels ne manquent pas sur la métamorphose de l'homme en dugong. Ils expliquent la complexité des rituels de chasse liés à cet animal. Dans l'archipel des Comores, non loin de Madagascar, on raconte qu'un frère et une sœur eurent un jour des rapports incestueux dans une pirogue, alors qu'ils se trouvaient en mer. Pour les punir, Allah les aurait transformés en poissons (dugongs), en leur conservant toutefois une certaine apparence humaine.
Autour de la Nouvelle-Guinée, la tradition présente une autre version de la même métamorphose : un garçon nommé Kasukau et sa sœur Au, originaires de l'une des îles Arawe, sont surpris par un orage tandis qu'ils se rendent en barque sur la grande terre. Leur frêle embarcation menace de chavirer. Kasukau demande alors à sa sœur de lui donner son filet, sa lance et la réserve d'eau, puis il plonge et se transforme en dugong. Dans l'eau, il crie à sa jeune sœur Au de retourner au village et d'avertir les habitants de sa mésaventure. Pour le capturer, ceux-ci doivent respecter certaines règles : ils sont obligés de prendre un filet dont les fibres végétales proviennent d'un arbre situé sur les pentes du mont Lolo, et de le plonger tout doucement dans l'eau.
En Nouvelle-Guinée, les Kiwai pensent que les dugongs et les échidnés (mammifères couverts de piquants) ont un ancêtre commun, les vibrisses que le sirénien porte sur le museau étant assimilées aux piquants de l'échidné. Pour les Kilenge (Nouvelle-Guinée), comme à Madagascar, en revanche, les dugongs ne sont que des porcs sauvages – d'où leur nom vernaculaire de lamboharano, ou lambondana (qui signifie « porc sauvage du corail »), donné à l'animal.
Tentatives d'explication sur l'origine du monstre marin, ces légendes offrent aussi une sorte de code de la pêche. En fait, les naturalistes eux-mêmes n'ont pas toujours eu une idée très claire de ce qu'étaient les dugongs. Il y a environ deux siècles, ces animaux étaient considérés comme une variante tropicale des morses ; en effet, les mâles dugongs et les mâles morses ont des défenses semblables.
Un désherbant efficace et naturel
L'utilisation des lamantins pour nettoyer des plans d'eau remonte à une observation faite au Guyana en 1913. Cette année-là, dans un lac des jardins botaniques de Georgetown, la mort d'un lamantin entraîna l'apparition de toute une végétation aquatique jusqu'alors inexistante. Quelques décennies plus tard, les autorités de la ville se heurtèrent au problème du nettoyage d'un canal utilisé comme réservoir d'eau. En effet, six semaines après sa mise en service, celui-ci était envahi par toutes sortes de végétaux aquatiques. Pendant dix jours, quatre personnes travaillèrent pour le vider de ses herbes, mais, deux mois après la fin de l'opération, la végétation avait repoussé. On pensa alors à utiliser des lamantins. En 1952, quatre animaux furent transportés dans le canal. En l'espace de huit semaines, ils vinrent à bout des végétaux parasites ; grâce à ce nouveau procédé, la pureté de l'eau fut maintenue pendant les 22 années de leur vie.
Une confusion énigmatique
Bien que souvent associée aux lamantins, la légende des sirènes est surtout rattachée aux dugongs. On raconte que des marins les ont pris pour des créatures humaines en voyant leur buste émerger au loin. Cette comparaison s'imposa peut-être aux navigateurs anciens qui avaient observé une femelle de dugong allaitant son petit en le serrant dans ses bras ? Il est aussi probable que les sirènes dont parle Homère aient été en réalité des dugongs, dont une sous-espèce vit encore dans la mer Rouge.
Quant à Christophe Colomb, qui aperçut des lamantins dans la mer des Caraïbes, il écrivit : « Dans une baie du littoral d'Hispaniola, j'ai observé trois sirènes qui étaient loin d'être aussi belles que celles du vieil Horace. » Les explorateurs portugais du sud de l'Asie répandirent aussi de nombreuses histoires sur les hommes et les femmes de la mer. Quoi qu'il en soit, on ne sait comment le rapprochement a pu être fait, car la silhouette lourde du lamantin est bien loin de ressembler à une femme fascinante...