lama
Les lamas sont les plus proches parents des chameaux. Échappés du berceau nord-américain, commun à tous les camélidés, ces « chameaux d'Amérique du Sud » n'ont pas de bosse. Vigogne et guanaco vivent encore à l'état sauvage, mais l'alpaca et le lama sont domestiqués depuis des milliers d'années.
Introduction
Il y a 40 ou 45 millions d'années, un lointain ancêtre des camélidés colonisait les plaines ouvertes d'Amérique du Nord. Excellent coureur, consommateur de feuilles d'arbustes et d'herbes, il ne dépassait pas 30 cm au garrot et pourrait passer pour une miniature du guanaco moderne. Cette forme ancestrale donna naissance, il y a 12 à 25 millions d'années, à quatre nouvelles lignées d'espèces, dont une seule survécut. L'extension, des savanes favorisa alors l'augmentation de la taille des animaux et l'apparition de coussinets plantaires, adaptés à la marche sur les terrains meubles.
Il y a 3 millions d'années, une partie des camélidés nord-américains, les futurs chameaux, commença à se disperser vers l'Asie et l'Afrique, en empruntant le détroit de Béring. Plus tard, au pléistocène, une autre partie de ces camélidés descendit vers le sud et envahit les Andes par le détroit de Panama alors en formation. Ce sont ces derniers qui évoluèrent pour former les actuels camélidés sud-américains, ou lamas.
Parallèlement, les camélidés qui restèrent en Amérique du Nord s'éteignirent il y a environ 10 000 ou 12 000 ans (fin de l'ère glaciaire), sous la pression de changements climatiques et sous l'action de l'homme.
Aujourd'hui, tous les camélidés sud-américains sont désignés sous le terme générique de lamas, ce sont les grands herbivores les plus répandus en Amérique du Sud. Des quatre espèces vivant actuellement, seuls le guanaco et la vigogne sont totalement sauvages. Les deux autres espèces, le lama et l'alpaca (ou alpaga), sont domestiquées depuis fort longtemps.
La première domestication des lamas aurait eu lieu il y a 4 000 à 5 000 ans au Pérou, dans la région du lac Titicaca ou sur le plateau Junín, distant de 100 km, au sud-ouest. Durant une longue période, les populations florissantes de tous ces camélidés vécurent sous la gestion rationnelle des Incas. À partir des années 1530, la colonisation par les Espagnols contribua à leur déclin par la destruction de l'Empire inca et l'introduction de troupeaux de moutons. Perçus comme des rivaux, les lamas furent alors farouchement chassés. La réduction des populations de vigognes fut particulièrement dramatique. Actuellement, différents programmes de gestion et de conservation de ces animaux tentent d'enrayer la perte de ces espèces.
La vie des lamas
Vigognes et guanacos vivent en harems
Chez les lamas, la vigogne et le guanaco, seuls grands ongulés sauvages des hauts plateaux désertiques des Andes, restent mal connus, malgré les premières études de C. Koford portant sur leur écologie et leur organisation sociale, puiscelles de W. Franklin, N. Ménard et D. Vallet.
Le système social des vigognes est très structuré. Une partie des mâles adultes vit avec un harem de deux ou trois femelles et leurs jeunes. Les mâles établissent deux territoires : un site d'alimentation, utilisé dans la journée et généralement situé dans une vallée aux riches pâturages, et un territoire de sommeil, situé sur les hauteurs et fréquenté la nuit. Les deux zones sont reliées par un couloir.
Le mâle défend vigoureusement l'accès de ces territoires. Les femelles du harem bénéficient ainsi d'un site protégé, favorable à la reproduction et à l'élevage des jeunes. C'est au sein de cet univers sécurisant que les jeunes grandissent et font l'essentiel de leur apprentissage social.
Les autres mâles, adultes et juvéniles rejetés des harems, se retrouvent entre célibataires pour former des bandes qui réunissent en général moins de 30 animaux chacune. Elles sont repoussées par les mâles territoriaux vers des pâturages moins riches. Ces bandes constituent un potentiel génétique de réserve.
Entre ces deux structures, quelques mâles adultes solitaires tentent d'établir leur propre territoire. Ils s'attaquent aux mâles de harem, tentant de les évincer et de s'adjoindre leurs femelles, ou forcent les frontières des territoires pour s'installer en périphérie. Dans ce cas, il leur faudra plusieurs mois avant de pouvoir constituer leur propre harem.
Le système social des guanacos
Le système social des guanacos
Guanacos et vigognes vivent en harems pour la plupart et en groupes de mâles célibataires, adultes et adolescents réunis. Les femelles guanacos quittent plus facilement les harems pour se rassembler en groupes unisexués. Mais les jeunes guanacos ne sont expulsés que lorsqu'ils ont entre 13 et 15 mois ; un harem comportera donc souvent les petits de l'année et les jeunes de l'année précédente.
Un marquage de reconnaissance
Très tolérant lorsqu'il circule sur des zones neutres, le mâle vigogne devient irascible dès qu'il entre sur son territoire. Il repousse énergiquement les autres harems ou les groupes de mâles qui circulent sur son site d'alimentation. Celui-ci est parsemé de tas d'excréments d'environ 2 m de diamètre. La vigogne est l'un des rares ongulés à concentrer ainsi ses excréments. Tous les membres du harem ont accès à ces tas sans distinction, mais le mâle vient y déféquer plus souvent, en particulier après des rixes avec les mâles des harems voisins. Au matin, dès leur arrivée sur le territoire d'alimentation, les vigognes flairent attentivement les tas. On pense que ceux-ci fonctionnent plus comme un signe d'identification du territoire que comme un marquage destiné à interdire l'accès aux étrangers. En effet, en l'absence du mâle chef du harem, les autres congénères y pénètrent librement pour brouter.
Des femelles précoces
Le mâle territorial fait sa cour aux femelles de son harem pendant la saison des pluies, en avril, juste après la période des naissances. Il cherche à monter la femelle, non pour la féconder, mais pour la forcer à se coucher au sol, où aura lieu l'accouplement. Si la femelle refuse les avances du mâle, elle s'enfuit au galop en projetant ses pattes postérieures vers l'arrière. La gestation dure onze mois et demi ; les femelles sont très précoces puisqu'elles peuvent donner naissance à leur premier petit dès l'âge de deux ans.
Combats et poursuites chez les guanacos
La traversée des territoires voisins et la période des accouplements donnent lieu à des combats entre mâles. Les mâles territoriaux, guanaco ou vigogne, défendent leur territoire par des menaces, des charges rapides ou des poursuites.
Généralement, l'animal commence par placer sa tête au ras du sol en direction de l'intrus, en couchant les oreilles. Si ce signal ne suffit pas à intimider son adversaire, il fonce vers lui, la tête toujours baissée, et essaie de le mordre. Le poursuivi riposte alors par des coups de pattes arrière, suffisamment violents pour provoquer des fractures de mâchoires. Ces poursuites sont souvent très spectaculaires, car les lamas peuvent atteindre une vitesse de pointe de 50 km/h. Les mâles trébuchent fréquemment sur le sol caillouteux, font des roulés-boulés et se relèvent pour reprendre leur course effrénée, en émettant un grognement guttural.
Dans la majorité des cas, le mâle résident domine et chasse aisément l'intrus. Lorsque, toutefois, ce dernier fait face, le combat s'engage, ponctué de morsures, de coups de patte et de crachats. Chacun cherche à repousser l'autre en projetant contre lui son long cou. En général, les mâles qui provoquent fréquemment les rencontres agressives dominent. Ceux qui se laissent trop souvent subordonner doivent finalement abandonner leur territoire au vainqueur. Ce changement offre une chance de se reproduire à un grand nombre de mâles et contribue au maintien de la diversité génétique de l'espèce.
Toute la journée, la vigogne broute une herbe rase
La vigogne évolue dans un milieu naturel aride, situé à 4 000 m d'altitude. Dans ce désert, le froid est intense, le degré d'humidité faible et les écarts entre les températures nocturnes et diurnes sont parfois très importants. La maigre végétation se compose de quelques arbustes et de plantes herbacées rases et très dispersées.
La formation de territoires d'alimentation, défendus chacun par un mâle adulte, est une remarquable adaptation à la nature, car elle limite le surpâturage et réserve les meilleures zones aux femelles reproductrices. Chacun de ces territoires couvre, en moyenne, 18 ha. Les vigognes entretiennent leurs pâturages par un broutage régulier qui favorise la repousse des parties vertes et empêche la floraison et le développement de tiges dures. La production végétale atteint près de 600 kg par hectare dans les sites d'alimentation des harems, alors qu'elle peut descendre à 400 kg dans les secteurs pâturés par les mâles célibataires.
Pas de sieste digestive
Le harem passe, chaque jour, 80 % de son temps sur son territoire d'alimentation. Pendant la saison sèche, il n'y reste plus que 60 % de son temps car il doit alors chercher sa nourriture sur d'autres pâturages. Les températures nocturnes très basses (– 15 °C), qui glacent la végétation, expliquent sans doute que la vigogne prélève toute sa nourriture de jour.
Elle parcourt quotidiennement de 4 à 6 km pour se nourrir et dispose, par conséquent, de peu de temps pour d'autres activités. Il n'y a pas de périodicité nette dans ses occupations quotidiennes, comme pour d'autres espèces d'ongulés qui consacrent par exemple les heures chaudes du milieu de la journée au repos ou à la rumination. La vigogne ne se repose que rarement au cours de la journée et réserve la nuit à la rumination. Pendant la saison des pluies, lorsque, l'après-midi, éclatent les orages de grêle, elle cesse de pâturer et se couche, le cou allongé au ras du sol pour réduire au minimum les risques de foudroiement. Durant les nuits de la saison sèche et froide, elle dort en bordure des tas d'excréments, qui restituent la chaleur emmagasinée au cours de la journée.
Pendant qu'il pâture, le groupe maintient une grande cohésion et la distance entre les animaux dépasse rarement 3 à 5 m. Souvent, le mâle se tient un peu à l'écart, à 10 ou 15 m des femelles. La distance augmente pendant la saison sèche, lorsque le mâle harcèle les jeunes.
Comment exploiter au mieux un désert
Il n'est pas aisé de savoir ce que mange la vigogne. Dans ce milieu à végétation rase, les chercheurs peuvent difficilement identifier la plante au moment où elle est consommée ; ils examinent l'état des végétaux après le passage des vigognes ou analysent leurs excréments, qui contiennent des éléments non digérés.
Malgré le peu de nourriture dont elle dispose, la vigogne est très sélective. Son museau fin s'adapte parfaitement au tri des jeunes herbes parmi les tiges plus coriaces. Elle sait trouver les pousses tendres cachées sous les pierres où l'humidité s'est maintenue. Elle évite ces grandes herbes dures appelées « ichu », dans les hautes plaines des Andes.
Au cours de sa recherche alimentaire, la vigogne passe 20 % de son temps à éparpiller les petites crottes rondes et noires en bordure des tas, découvrant des pousses particulièrement nutritives, grâce à l'engrais naturel que produisent les excréments.
Contrairement au guanaco, la vigogne doit boire tous les jours, mais elle doit attendre le milieu de la matinée, lorsque les points d'eau sont enfin dégelés.
Les migrations journalières
Les migrations journalières
Après le lever du soleil, le harem descend vers son territoire d'alimentation, dans la vallée, et remonte vers son territoire de sommeil à la tombée de la nuit. À l'aller et au retour, il emprunte un même couloir qui relie les deux territoires par le chemin le plus court ; mais celui-ci n'est ni marqué ni défendu par le mâle. La saison sèche modifie ce simple aller-retour. Le harem quitte son terrain d'alimentation dès 10 h, pour brouter sur d'autres secteurs, mais il y repasse le soir avant de remonter sur son territoire de nuit. La fonction du site de sommeil reste mal définie. Ces hauteurs offriraient une protection plus efficace contre les prédateurs. Cependant, après les naissances, les vigognes ont tendance à dormir dans les vallées, économisant ainsi leur énergie en réduisant leurs déplacements.
Vie de famille chez les vigognes et les guanacos
Reflet d'une adaptation au désert d'altitude, les naissances sont très saisonnières. 90 % d'entre elles ont lieu pendant la saison des pluies, entre février et avril. La majorité des petits naît le matin, ceux-ci sont alors secs l'après-midi pour affronter les orages de grêle presque quotidiens et la nuit glaciale de la puna (plateaux andins d'altitude).
C. Koford est l'un des rares chercheurs à avoir pu observer une naissance en nature. Juste avant la mise-bas, la mère se couche puis se relève fréquemment, la queue arquée, la vulve et l'anus distendus. Le museau du petit apparaît en premier, et bientôt la tête entière, puis un pied. La mère continue à brouter en marchant lentement, puis se couche un peu. Lorsqu'elle se relève, le petit finit de sortir et tombe au sol. La délivrance a lieu une heure plus tard. La mère va boire, puis reste couchée une grande partie de la journée. Lorsqu'il est sec, le petit ressemble à une boule de laine blanche, de couleur presque uniforme. Pendant les deux premières semaines, à la moindre alerte, la mère s'enfuit avec son petit vers les hauteurs.
La grande liberté des premiers mois
Jusqu'à l'âge de 4 mois, le petit passe beaucoup de temps avec ses compagnons de jeux des territoires voisins. Seuls les très jeunes lamas sont, en effet, autorisés à franchir les limites des territoires sans être inquiétés par les mâles des harems. En toute liberté ils font l'apprentissage de la vie sociale. Ensemble, ils galopent ou font des cabrioles.
Le petit délaisse ses jeux et vient téter sa mère une dizaine de fois par jour. Mais, dès le 6e jour, il commence à brouter et, à partir de juin, le nombre des tétées diminue rapidement, jusqu'à ce qu'il n'en reste plus que cinq par jour. C'est le début de la saison sèche. La période de jeux prend fin et les jeunes sont obligés de chercher eux-mêmes leur nourriture.
Vers l'âge de 4 mois, leur laine commence à se teinter de fauve et la bavette blanche, caractéristique des vigognes, apparaît. Imitant le mâle, le jeune hisse ses pattes antérieures sur un rocher assez haut pour exhiber sa bavette naissante.
Celle-ci est un signe de maturité qui déclenche chez le mâle adulte des comportements agressifs vis-à-vis des jeunes qui l'arborent. Il harcèle alors sa progéniture presque sevrée, d'autant que la nourriture commence à manquer. En septembre, le jeune mâle, âgé de 7 mois, quitte de temps à autre le territoire du harem. Il finit par s'intégrer à une harde de célibataires, parmi lesquels il achève sa croissance et son apprentissage social. Il apprend à connaître son domaine et rencontre de multiples occasions de se mesurer avec les autres mâles. Lorsqu'il a atteint sa maturité sexuelle, il est en mesure de vivre seul et cherche alors à établir son propre territoire.
La destinée des jeunes femelles diffère. Rejetées du harem vers l'âge de 10-12 mois, elles se joignent parfois à des troupes de mâles en attendant de s'intégrer à un autre harem.
Si c'est une année de sécheresse, l'allaitement peut se prolonger jusqu'à 1 an. Le jeune, dont la croissance est alors plus lente, présente des caractères encore assez infantiles pour être toléré par le mâle du harem. Quant à la mère, ou elle sèvre le jeune normalement et prépare une nouvelle gestation, ou, plus souvent, elle prend encore soin du jeune de l'année, compromettant la reproduction suivante.
Pour tout savoir sur les lamas
Vigogne (Vicugna vicugna)
Hôte de la puna, hauts plateaux désertiques des Andes, la vigogne affronte des altitudes comprises entre 3 500 et 4 800 m. Son cœur et ses poumons, proportionnellement plus gros que ceux des autres ongulés, lui permettent de compenser la raréfaction de l'oxygène dans l'air. De plus, la présence de 14 millions de globules rouges par millimètre cube de sang, contre 5 millions chez l'homme, augmente nettement ses capacités d'absorption d'oxygène.
Les écarts de températures entre le jour et la nuit nécessitent une thermorégulation efficace. Entièrement recouverte d'une laine épaisse de 2,5 cm, la vigogne combat à la fois l'irradiation intense de la journée et les nuits glaciales de la puna. Certains matins d'hiver particulièrement froids, elle supporte sans en souffrir la pellicule de givre qui couvre son pelage. De plus, la laine se teinte de reflets, qui changent selon l'incidence de la lumière et confèrent à l'animal un certain mimétisme.
Contrairement à celles des autres lamas, les incisives inférieures de la vigogne sont très longues et leur croissance est continue comme chez les rongeurs. Les canines sont de véritables crocs, qui provoquent de graves morsures au cours des combats.
La marche à l'amble, la plus efficace pour ces camélidés à longues pattes grêles et qui se déplacent en milieu plat et ouvert, est apparue chez un ancêtre de la vigogne il y a entre 12 et 25 millions d'années. Pour compenser la diminution de stabilité et de manœuvrabilité qui en résulte, d'autres modifications ont pris forme : les doigts se sont écartés, les ligaments se sont renforcés et les membres se sont rapprochés du centre de gravité ; le long cou, dont la base s'est placée en avant, sert de balancier. Au galop, grâce aux mouvements de son cou, la tête de la vigogne ne bouge pratiquement pas.
Vers la même époque est apparue l'implantation particulière des orbites dans le crâne. La vigogne a une vue très développée ; elle perçoit de très loin le moindre mouvement dans la puna. Cependant, ni son ouïe ni son odorat ne sont très sensibles. Lorsqu'elle a détecté quelque chose d'insolite, ses oreilles pointent vers l'avant. La soudaine attention qu'elle manifeste se communique rapidement aux autres vigognes. Le groupe tout entier s'arrête alors de brouter pour scruter les environs.
Lorsque les mâles cherchent à avertir les membres du harem de l'imminence d'un danger, ils lancent un cri d'alarme. La bouche fermée et les narines dilatées, ils émettent un long trille aigu en contractant l'abdomen. Les jeunes perdus, et parfois les femelles adultes qui errent parmi les territoires à la recherche d'un congénère font entendre des « onhonh... onhonh... » plaintifs et prolongés. Mis à part ces sons, le répertoire vocal des vigognes est assez pauvre. Elles ont plutôt recours aux postures pour communiquer entre elles.
Les camélidés ruminent, mais, contrairement aux autres ruminants, leur système digestif possède trois sacs au lieu de quatre. La vigogne a pour particularité de pouvoir emmagasiner beaucoup de nourriture sans ruminer. Le milieu ne lui offrant que des herbes courtes difficiles à brouter, la vigogne ne peut consacrer beaucoup de temps à la rumination dans la journée. Elle lui réserve une partie de la nuit.
Les sous-espèces
On différencie les vigognes en deux sous-espèces selon la région géographique où elles vivent, mais les éléments qui les distinguent sont minimes : Vicugna vicugna mensalis habite le sud du Pérou, l'ouest de la Bolivie et le nord du Chili. La vigogne d'Argentine, Vicugna vicugna vicugna, est légèrement plus grande et n'a pas de longs poils blancs sur le poitrail. Elle vit sur le côté est des Andes.
VIGOGNE | |
Nom (genre, espèce) : | Vicugna vicugna |
Famille : | Camélidés |
Ordre : | Artiodactyles |
Classe : | Mammifères |
Identification : | Couleur fauve, poitrail muni d'une bavette de longs poils blancs, long cou, grands yeux noirs, queue courte |
Taille : | De 0,85 à 1,20 m au garrot pour les deux sexes |
Poids : | Mâles : 60 kg ; femelles : 40 kg |
Répartition : | Hauts plateaux du Pérou, Chili, Bolivie et Argentine |
Habitat : | Déserts d'altitude, de 3 500 à 4 800 m |
Régime alimentaire : | Végétarien, plantes herbacées |
Structure sociale : | Harems : un mâle adulte avec quelques femelles et leurs jeunes ; troupes de mâles célibataires |
Maturité sexuelle : | 2 ans |
Saison de reproduction : | En été, de janvier à mars, saison des pluies |
Durée de gestation : | 11,5 mois (330-350 jours) |
Nombre de jeunes par portée : | 1 |
Poids à la naissance : | De 4 à 6 kg |
Longévité : | De 15 à 24 ans ; moins de 10 ans en moyenne dans la nature |
Effectifs, tendances : | 125 000 individus ; en augmentation |
Statut, protection : | Classée en Annexe II de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction) [commerce réglementé] : seulement les populations de l'Argentine (populations des provinces de Jujuy et de Catamarca, et populations semi-captives des provinces de Jujuy, Salta, Catamarca, La Rioja et San Juan), de la Bolivie (toute la population), du Chili (population de Primera Región), et du Pérou (toute la population). Toutes les autres populations sont inscrites à l'Annexe I (commerce interdit). |
Remarques : | Mammifère qui possède la laine la plus fine (de 11 à 14 microns) ; très prisée |
Signes particuliers
Œil
Les yeux sont assez gros et implantés très haut sur le crâne. Placés légèrement en avant, ils permettent à la vigogne d'avoir une vision partiellement en relief ou semi-stéréoscopique. Au sein de ce milieu plat, la vue joue un rôle primordial dans la détection des prédateurs. Même lorsqu'elle broute, la tête au sol, la vigogne garde ainsi une bonne vision de l'espace alentour. Elle cesse très souvent de brouter et lève la tête pour examiner les environs. Le plus vigilant reste le mâle du harem qui se place souvent en hauteur un peu à l'écart du groupe.
Tête et cou
La laine qui couvre la tête et le cou est moins épaisse que sur le reste du corps. Le museau fin est pourvu d'une lèvre supérieure fendue en deux ; elle équivaut à un organe préhensile très sélectif, capable de trier les herbes tendres parmi les tiges dures et dressées. La mâchoire inférieure comporte 6 incisives, la mâchoire supérieure seulement 2. L'émail ne couvre qu'une seule face des incisives. Le long cou de la vigogne semble vulnérable ; cependant une peau épaisse couvre la région cervicale et la veine jugulaire est située très en profondeur dans le cou. Ces mécanismes de protection limitent le danger que représentent les morsures des adversaires.
Pied
Les pattes des camélidés ne reposent que sur deux doigts écartés et s'appuient sur leurs deux dernières phalanges. Un coussinet fibreuxépais et large facilite la marche sur sol plat et meuble. Une couche de corne résistante, mais relativement souple, sert de sole plantaire. Les doigts sont munis d'ongles.
Les autres lamas
Outre la vigogne du genre Vicugna, les camélidés américains comportent trois espèces du genre Lama : le guanaco, le lama et l'alpaca (ou alpaga). Ces deux derniers sont domestiques et on pense qu'ils descendraient du guanaco. Cependant, on a récemment découvert une plus grande similitude entre les incisives des alpacas et celles des vigognes qu'entre celles des alpacas et celles des guanacos. Par ailleurs, la laine longue et fine de l'alpaca serait plus proche de celle de la vigogne. Mal connus, lamas et alpacas sont toutefois plus étudiés à cause de leur utilisation par l'homme, mais la classification des 4 espèces n'est pas encore vraiment résolue.
Les espèces domestiquées, lamas et alpacas, représentent l'essentiel de l'effectif total des camélidés sud-américains.
Guanaco (Lama guanicoe)
Identification : Le guanaco a presque la même silhouette que la vigogne. Il porte une robe marron, au ventre blanc. Avec un poids de 100 à 200 kg, il est cependant près de deux fois plus lourd et plus haut (de 1,10 m à 1,15 m au garrot). Sa laine, aux fils de 16 à 18 microns de diamètre, est plus grossière. Certaines zones de ses flancs sont dénudées et agissent comme des fenêtres pour dissiper l'excès de chaleur. Le guanaco se distingue par les callosités que présentent les faces internes de ses pattes antérieures.
Comme chez la vigogne, la reproduction est saisonnière. La gestation, qui dure de 345 à 360 jours, est un peu plus longue et le nouveau-né (de 8 à 15 kg) pèse deux fois plus lourd que le petit de la vigogne.
Comportement : Chez les guanacos, le système social est plus lâche que chez les vigognes. La distance entre les guanacos d'un même harem est plus grande et les animaux peuvent occuper une bande de 50 à 200 m lorsqu'ils pâturent, pendant la journée. Ils se divisent parfois en petits sous-groupes qui peuvent s'isoler durant plusieurs heures. Lorsque deux guanacos temporairement séparés se retrouvent, ils communiquent et se reconnaissent en se plaçant museau contre museau et en remuant la queue horizontalement. En cas de danger, la cohésion des groupes réapparaît. Les guanacos resserrent leurs rangs ; les mâles tout particulièrement maintiennent un contact visuel jusqu'au moment où, la source de danger étant devenue trop proche, ils doivent s'enfuir à grande vitesse. Les femelles, contrairement aux vigognes, émettent elles aussi des cris d'alarme.
La taille des territoires varie selon le milieu colonisé. Elle va de 29 ha en moyenne dans les riches prairies de la Terre de Feu jusqu'à 65 ha dans les déserts arbustifs. Le marquage du territoire est moins assidu que chez la vigogne et les tas d'excréments sont presque exclusivement utilisés par les guanacos mâles.
Répartition : Parce qu'il est capable de se priver d'eau quelque temps, le guanaco est plus largement répandu que la vigogne. On le rencontre au Pérou, en Bolivie, au Chili et en Argentine. Il vit tout aussi bien dans les prairies à végétation riche que dans les déserts arides ou arbustifs, ou encore dans les régions pluvieuses proches des côtes.
Il existe 4 sous-espèces de guanacos. Lama guanicoe cacsilensis, dont la validité est discutée, occupe les Andes du sud du Pérou. Elle est considérée comme « vulnérable » par l'U.I.C.N. (Union internationale pour la conservation de la nature). Lama guanicoe huacanus vit sur les pentes ouest du Chili. Elle est classée dans la catégorie « en danger ». Lama guanicoe voglii habite les plaines arides d'Argentine, au nord du 32e parallèle. C'est une sous-espèce « vulnérable ». Enfin, Lama guanicoe guanicoe, sous-espèce la plus commune et non-menacée, peuple le sud du 35e parallèle jusqu'à la Terre de Feu. Une sous-espèce, localisée au nord du 8e parallèle, au Pérou, est restée indéterminée.
On pense que la taille des guanacos tend à augmenter du nord au sud de son aire de répartition, tandis que la coloration de leur fourrure reste similaire, avec peut-être des variantes un peu plus rouges vers le sud.
Alimentation : Le régime alimentaire très diversifié du guanaco lui a permis de s'adapter à des milieux très variés. Dans les vallées encaissées et sur les terrains arides du Pérou, il prélève 60 % de sa nourriture sur les arbustes et 40 % sur les plantes herbacées. En Terre de Feu, au contraire, les herbacées constituent 62 % de son régime alimentaire, les arbustes 26 % seulement et les épiphytes, les lichens et les champignons, 12 %. Les recherches faites pour déterminer avec précision les plantes sélectionnées (indices de sélectivité) montrent que ces trois derniers aliments sont ceux que préfère le guanaco et qu'ils sont très recherchés. Dans les endroits où les guanacos sont en compétition avec les troupeaux domestiqués, ils ajustent leur régime et changent de pâturage. Ainsi, en présence de moutons, ils se replient dans les forêts, où les arbustes représentent la base de leur nourriture.
La digestion des guanacos est beaucoup plus efficace que celle des animaux domestiques, en particulier quand il s'agit de la matière sèche et des fibres. Le mixage, la macération et l'absorption des végétaux sont activés par un travail plus continu de l'estomac, combiné à l'action des sécrétions glandulaires présentes dans les sacs digestifs.
Même s'il peut se passer de boire pendant plusieurs jours, au contraire de la vigogne, le guanaco a besoin d'eau. Il la trouve dans les rivières ou dans des végétaux riches en eau. Il se désaltère aussi aux flaques saisonnières, aux lacs salés ou aux points d'eau saumâtres.
Effectifs : Avant l'arrivée des Espagnols, il y avait de 30 à 50 millions de guanacos en Amérique du Sud. Les troupeaux domestiques et l'extension des cultures ont réduit ces effectifs. L'introduction des armes à feu a accéléré le déclin de l'espèce, notamment par la capture des jeunes guanacos dont les peaux étaient très prisées.
Statut : Victimes de nombreux braconnages, les guanacos ont été inscrits à l'annexe II de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction).. Ils sont maintenant protégés au Pérou, en particulier dans la réserve de Pampa Galeras et dans une réserve nationale instaurée en 1981 à Calipuy, près de Trujillo. Ils ne bénéficient d'aucune protection en Argentine et en Bolivie.
Lama (Lama glama)
Identification : Le lama est assez grand. Il atteint une taille de 109 à 119 cm au garrot et un poids de 130 à 155 kg. La laine du lama est épaisse, avec un diamètre de 20 à 80 microns. Ses joues sont presque glabres.
Chez les lamas, la gestation dure de 348 à 368 jours. À la naissance, le nouveau-né pèse de 8 à 16 kg, environ deux fois plus que celui de l'alpaca.
Comportement : On connaît mal l'organisation sociale du lama, les populations sauvages étant inexistantes et les études de comportement étant difficiles à réaliser sur des troupeaux qui font l'objet d'un élevage intensif. On pense toutefois que les lamas seraient territoriaux et qu'ils vivraient groupés en harems.
Répartition : La distribution des lamas proprement dits est limitée aux hauts plateaux andins, de 2 300 à 4 000 m d'altitude. Elle a bien sûr été influencée par les activités humaines. 70 % des lamas vivent en Bolivie, mais on trouve le lama à partir des hauteurs de l'Équateur jusqu'au nord-ouest de l'Argentine, avec une plus grande concentration dans un rayon nord-sud de 350 km autour du lac Titicaca, au Pérou.
Alimentation : L'espèce marque une préférence pour les pâturages plutôt secs sur les pentes montagneuses et broute les parties grossières des plantes. Après le guanaco, c'est le lama qui a l'aire de répartition la plus étendue, sans doute grâce à cette rusticité de son alimentation.
Deux races de lamas ont été décrites : le « chaku », la race la plus courante, à la laine assez longue ; et le « ccara », au pelage très court.
Des croisements de lamas et de vigognes effectués au sud du Pérou ont donné naissance à des hybrides de la taille du lama ou de l'alpaca, et de la couleur fauve de la vigogne.
Alpaca (Lama pacos)
L'alpaca, ou alpaga, est l'autre espèce domestiquée.
Identification : Sa robe est de couleur très variable : elle va du blanc au marron foncé, en passant par toutes les nuances de brun. Sa laine est très fine, les fils ont un diamètre de 12 à 28 microns. Elle couvre tout le corps de l'animal, y compris les joues.
Assez petit, l'alpaca mesure de 94 à 104 cm au garrot et pèse de 55 à 65 kg. La gestation dure de 342 à 345 jours et le nouveau-né pèse 6 ou 7 kg.
Comportement : L'espèce n'existant plus à l'état sauvage, il est difficile de connaître ce qu'était son mode de vie. Le comportement des alpacas en élevage suggère qu'ils sont, eux aussi, territoriaux et qu'ils vivraient groupés en harems. Des études de comportement ont été financées dans le but de promouvoir et de relancer l'élevage d'alpacas. Elles ont montré que la structure et la taille des hardes, la proportion de mâles et de femelles au sein de celles-ci et leur composition en individus de différentes classes d'âge sont des variables importantes qui affectent la production.
Répartition : L'alpaca, comme le lama, est bien acclimaté aux hauts plateaux andins. 91 % des effectifs vivent au Pérou. On le rencontre essentiellement dans un rayon de 50 à 100 km autour du lac Titicaca. Sa distribution est fortement réduite et son occupation des terrains en altitude (de 4 000 m à 4 800 m) est plus restreinte que celle du lama.
Alimentation : L'espèce affectionne les pâturages humides sur des terrains plats de préférence.
On différencie deux races d'alpaca : le « huacaya », à la laine plus courte et plus frisée, et le « suri », à la laine longue et ondulée.
Pour améliorer la qualité de la laine, des croisements entre vigognes et alpacas ont été tentés, couronnés d'un demi-succès. Les hybrides ainsi obtenus, appelés « pacovicugnas », ont effectivement une laine quatre fois plus longue que celle de l'alpaca, mais sont la plupart du temps stériles.
Milieu naturel et écologie
Vigognes et guanacos occupent des habitats relativement différents. La vigogne se cantonne dans les hautes altitudes, entre 3 500 et 4 800 m, jusqu'aux limites des neiges. Autrefois, son aire de répartition s'étendait plus au nord, notamment sur une large bande au sud de l'Équateur et du nord au sud du Pérou. Actuellement, elle est plus réduite et comprend le Pérou central, l'ouest de la Bolivie, le nord-ouest de l'Argentine et le nord du Chili. Elle colonise les plaines ouvertes bordées de collines caillouteuses et d'escarpements rocheux. Il y fait froid, sec et venteux. Les précipitations sont estivales et les températures souvent en dessous de zéro.
L'espèce est très sédentaire. De plus, les rassemblements de plusieurs dizaines d'animaux sont peu courants ; ils ont surtout lieu lorsque la nourriture est abondante.
Le guanaco, plus répandu, est le camélidé qui occupe les habitats les plus diversifiés. On le trouve sur les pentes ouest et les côtes des Andes depuis le Pérou jusqu'au centre du Chili, au niveau de la mer comme à 4 250 m d'altitude. Il vit aussi, en Argentine, sur le versant est des Andes, où il est largement répandu du nord au sud du pays.
Le guanaco habite des déserts très arides, des semi-déserts, des milieux arbustifs, des prairies, des savanes et des plaines des hautes pampas, mais évite les crêtes rocheuses. Bien qu'adapté à des milieux secs, il peut vivre jusqu'aux côtes pluvieuses de la Terre de Feu. On le trouve à la fois dans le désert péruvien d'Atacama, l'un des plus secs du monde, et dans l'archipel fuégien, qui connaît des précipitations toute l'année. On rencontre parfois des rassemblements de quelque 150 animaux, notamment lorsque les guanacos effectuent leurs migrations saisonnières à la recherche de nouveaux pâturages. Le guanaco, malgré l'étendue de son aire de répartition, a des effectifs en baisse. Surtout au Pérou où les éleveurs veulent protéger les pâturages pour leurs troupeaux domestiques.
Certains auteurs mentionnent que vigognes et guanacos peuvent cohabiter, mais, selon d'autres, leurs habitats respectifs sont contigus. En fait, il existe probablement peu de zones que les deux espèces occupent ensemble.
Un relais de cris d'alarme
Le puma, le renard des Andes, le condor, l'homme et les chiens figurent parmi les ennemis potentiels de la vigogne. Le puma a été pratiquement exterminé de certaines zones, où les éleveurs l'accusaient de s'attaquer aux troupeaux domestiques.
Les vigognes se méfient du renard, mais ne le craignent pas beaucoup. Lorsque celui-ci parcourt la puna, sa progression s'accompagne des cris d'alarme successifs des mâles de harems. Lorsqu'il s'approche d'un territoire, le mâle est donc déjà prévenu d'un danger imminent. Il se tient sur ses gardes, la tête dressée et les oreilles pointées vers l'avant. Il cherche à chasser le renard dès que celui-ci pénètre sur le territoire, et parfois le charge. Les rangs des femelles et des jeunes se resserrent à quelque distance derrière lui et les vigognes couchées se lèvent. Le mâle escorte le renard jusqu'aux limites de son territoire et l'oblige à les franchir. Il se désintéresse alors immédiatement de l'ennemi, sachant que la relève est assurée par le mâle voisin.
Les condors peuvent attaquer un petit dont la mère est en difficulté. C. Koford rapporte qu'une douzaine de condors, rassemblés au sol, cherchaient à s'approcher d'un nouveau-né. La mère, qui était couchée, s'est alors levée et deux autres femelles gestantes se sont interposées entre elle et les condors. Elles chassaient les condors chaque fois qu'ils tentaient une approche du petit. Lorsque celui-ci s'est enfin tenu sur ses pattes, les condors ont abandonné leurs tentatives.
Les deux prédateurs les plus craints semblent être le chien et l'homme. Leur arrivée déclenche une fuite générale vers les hauteurs.
La réaction des vigognes envers les troupeaux domestiques est très variable selon que ceux-ci franchissent le territoire ou qu'ils en parcourent la bordure. Dans le premier cas, les vigognes prennent la fuite vers les sommets, alors que, dans le second, elles contournent le troupeau en restant sur leur terrain. Lorsque les harems abandonnent ainsi leur territoire, les troupeaux domestiques ou les troupes de mâles célibataires y pâturent librement et les ressources diminuent rapidement.
Les lamas et l'homme
La vie des Andes au rythme des lamas
Depuis des millénaires, lamas et alpacas fournissent leur travail ou leur laine, ne demandant en échange qu'à être traités avec douceur par les hommes. La compétitivité des transports modernes et de la laine de mouton menace leur avenir autant que ceux de la vigogne et du guanaco, restés sauvages.
La vigogne, une ressource ancestrale sagement gérée
Les camélidés sud-américains ont longtemps représenté une ressource économique et stratégique. Leur utilisation la plus lointaine daterait des premières sociétés précéramiques. Le système social des vigognes, basé sur le principe de territoires utilisés toute l'année, offrait à de petits groupes de chasseurs préhistoriques une réserve de nourriture permanente. Ainsi apparurent sans doute les premiers groupes humains cultivateurs et sédentaires des hautes Andes. Des fresques, datant de 5 000 à 6 000 ans, ornent plusieurs grottes des plateaux andins centraux et décrivent ces chasses.
Les chasseurs construisaient d'immenses souricières en pierres sèches dans lesquelles s'engouffraient les camélidés pourchassés. Les vigognes étaient capturées vivantes à l'intérieur de corrals circulaires, d'une superficie de 20 ha.
À l'époque précolombienne, l'Empire inca régnait sur le nord des régions andines avec Cuzco (Pérou) pour centre. Les Incas attrapaient les vigognes une à une, à l'aide de « bolas », une arme composée de trois pierres reliées par des cordes, qu'ils lançaient vers les pattes de l'animal en pleine course, pour le faire trébucher. Ils capturaient, tondaient puis relâchaient les vigognes tous les trois ans. Leur laine, la fibre la plus fine et la plus douce après la soie naturelle, servait à la fabrication de différents vêtements très chauds et de tissus dédiés aux temples du Soleil. Elle était réservée au souverain, l'Inca, et à ses plus hauts dignitaires. La laine de guanaco, de pauvre qualité en raison de nombreux poils durs et rêches mêlés aux plus fins, était laissée aux Indiens.
Les vigognes femelles âgées et certains mâles étaient tués pour leur viande et leur laine. Les Incas protégeaient sévèrement les animaux contre la chasse et le braconnage. La gestion des effectifs demeura efficace jusqu'à l'arrivée des Espagnols, qui provoqua l'effondrement de l'Empire inca en 1532.
Les vigognes au bord de l'extinction
Convoitées pour leur peau et leur laine, les vigognes furent, de plus, victimes de croyances et de superstitions. Les Indiens les tuaient pour prélever les bézoards, concrétions de l'estomac formées de poils et de débris non digérés, auxquels ils attribuaient des vertus anti-infectieuses et antipoison et un pouvoir aphrodisiaque.
Le xvie siècle connut ainsi le massacre annuel de 80 000 vigognes. En 1825, un premier décret interdit leur chasse au Pérou, en vain. En 1876, les quatre pays détenteurs de vigognes (Pérou, Bolivie, Argentine et Chili) tentèrent d'enrayer le processus d'extermination, mais, en 1950, l'Amérique du Sud ne comptait plus que 400 000 vigognes et 6 200 en 1965. En 1969, un groupe de travail, en coopération avec le WWF, l'U.I.C.N. et l'Agence des Nations unies chargée de l'environnement (aujourd'hui UNEP-World Conservation Monitoring Centre, UNEP-WCMC), entama des études pour leur conservation. Dès 1970, les effectifs remontaient. En 1972, des réserves nationales furent créées et une loi péruvienne interdit de chasser et de commercialiser des vigognes pendant dix ans. Mais les vigognes proliférèrent et le ministère de l'Agriculture décida un programme de chasse régulière.
En 1979, l'opinion péruvienne et internationale s'émut et le programme de chasse fut interrompu. La loi fut renouvelée pour dix ans et, à partir de 1975, la vigogne fut inscrite en Annexe I ou II de la Cites (Convention sur le commerce international des espèces menacées d'extinction) [commerce interdit pour certaines populations, réglementé pour d'autres]. En 1982, les effectifs dépassaient 100 000 têtes. Aujourd'hui, on estime sa population à 125 000 individus, dont plus de la moitié dans la Réserve nationale de Pampas Galeras créée en 1967 au Pérou.
Actuellement, les vigognes de Bolivie, d'Argentine et de certaines populations du Chili et du Pérou sont toujours totalement protégées. Le commerce international de laine de vigognes tondues vivantes est autorisé. Les tissus portent obligatoirement le logo adopté par les États signataires de la « Convention pour la conservation et l'utilisation de la vigogne ». Les lisières des étoffes de laine doivent également porter la mention « Vicunandes-Chili » ou « Vicunandes-Pérou ».
L'alpaca supplante peu à peu le lama
Toute l'économie de l'Empire inca reposait sur le lama. Capable de parcourir de 20 à 30 km par jour et de transporter des charges de 50 à 60 kg, il devint la bête de somme idéale de ces pays au relief difficile. Employés par milliers, les lamas permirent les transactions commerciales, l'expansion militaire, la construction des temples et l'exploitation des mines d'or et d'argent.
Le lama était aussi le symbole du pouvoir souverain. L'Inca recevait en cadeau le « napa », un lama blanc revêtu d'une chemise écarlate, orné de boucles d'oreilles en or et d'un collier de coquillages rouges. À l'occasion des quatre grandes fêtes incas, célébrées aux solstices et aux équinoxes, des milliers de lamas blancs étaient sacrifiés au dieu Soleil. Trait significatif de l'importance du lama pour cette civilisation, les limites de l'Empire inca correspondaient aux limites d'extension du lama. À leur arrivée, les Espagnols trouvèrent des hardes de plusieurs millions de lamas et d'alpacas.
Progressivement, le développement des infrastructures routières et ferroviaires a destitué le lama de ses fonctions. Les deux espèces domestiques continuent néanmoins à jouer un grand rôle dans l'économie de subsistance des villages reculés des Andes. Ils y sont élevés pour leur laine, leur viande et leur peau. Leur chair est découpée en fines lamelles et mise à sécher au soleil. Leurs déjections sont très précieuses dans ces déserts, où elles servent d'engrais. On les utilise comme combustible partout où le bois est rare.
Aujourd'hui, l'alpaca laineux est en passe de remplacer le lama, et de devenir le camélidé domestique le plus important d'Amérique du Sud. Sa laine représente une valeur commerciale appréciable pour le Pérou comme pour la Bolivie. Certaines fermes gèrent maintenant des troupeaux de 30 000 têtes. Chaque alpaca peut produire de 1,7 à 2,3 kg de laine par an. Le Pérou en exporte plus de 3 millions de kilos chaque année, pour alimenter le marché mondial sur lequel elle est très recherchée. Le Pérou et la Bolivie, qui ont compris l'importance de l'industrie de la laine, tiennent à garder le monopole de la production et ont interdit l'exportation d'alpacas vivants.
Les lamas crachent pour se défendre
Inféodés aux milieux d'altitude froids et secs, les lamas s'adaptent mal en dehors de leur pays d'origine. De nombreuses tentatives pour les introduire dans différents pays ont échoué à cause des conditions d'humidité des pays tempérés et des maladies ; néanmoins, on peut maintenant les observer souvent dans les zoos. Aux États-Unis, la population de lamas s'accroît. Les propriétaires les utilisent pour la laine, mais aussi comme animal de compagnie. Le lama est en effet très docile, contrairement à l'alpaca qui est réputé capricieux et, pour cette raison, dispensé de porter des charges et de s'éloigner de son pâturage. Mais il faut bien connaître ses réactions de défense. L'une des plus spectaculaires est l'émission d'un crachat nauséeux et acide composé de substances en partie digérées par l'estomac. L'agresseur ainsi inondé doit encore s'estimer heureux s'il n'a rien reçu dans les yeux. Hergé, dans les aventures de Tintin au Pérou, a rendu célèbre ce comportement de défense bien particulier, mais qui est en fait partagé par tous les camélidés sud-américains.
La vigogne n'est pas un mouton
La domestication de la vigogne ressemble à un vieux rêve et les richesses qu'elle porte sur son dos ont inspiré de nombreuses tentatives. Les Anciens, qui ont domestiqué le lama et l'alpaca, ont probablement fait les mêmes essais avec la vigogne. Mais celle-ci, de nature nerveuse, reste sauvage et farouche, même après plusieurs générations en captivité. Capturée très jeune, la vigogne devient difficile à contrôler lorsqu'elle arrive à maturité. En environnement trop confiné, les mâles se battent entre eux et agressent les femelles. Seule la castration permet alors d'éviter les combats. Parqués dans des enclos comme des moutons, les vigognes peuvent se tuer en se précipitant contre les murs les nuits d'orages.
Peu après l'installation des Espagnols, des Jésuites avaient réussi à constituer un troupeau domestique de 600 vigognes. L'élevage fut abandonné lorsque cet ordre religieux fut expulsé. En 1951, un élevage du sud du Pérou comprenait 400 têtes, mais il cessa lui aussi au profit de l'élevage de moutons, plus rentable.