Rhône
Fleuve de Suisse et de France ; 812 km (dont 522 km en France).
GÉOGRAPHIE
Le parcours du fleuve
Malgré une longueur relativement faible qui ne dépasse que de peu celle de la Seine, le Rhône est un fleuve imposant, à la fois par son alimentation, qui, rapportée à l'étendue de son bassin, se compare à celle de l'Amazone, et par son caractère impétueux et longtemps dangereux qui persiste tout au long de son cours. Frère du Rhin, issu comme lui du massif du Saint-Gothard, il s'en différencie vite par son orientation méridionale, qui le dirige vers des régions géologiquement très tourmentées et des climats contrastés bien différents de ceux qui règnent sur l'Europe océanique du Nord-Ouest. Il se jette dans la Méditerranée par un delta amphibie et instable, en Camargue. Son tracé irrégulier présente une série de coudes, de gorges rocheuses, de plaines de remblaiement inondables, de ruptures de pente qui rendent son courant rapide et son tirant d'eau faible.
De la source à Lyon
Le Rhône prend sa source vers 1 900 m d'altitude, au glacier de la Furka, à l'extrémité inférieure du glacier du Rhône, sur les pentes du massif de l'Aar-Gothard, en Suisse, massif surnommé le « château d'eau » de l'Europe (le Rhin en est également issu, tout comme l'Inn, affluent du Danube, et le Tessin, affluent du Pô). Jusqu'à Martigny, le Rhône est un torrent qui se transforme peu à peu en une grosse rivière de montagne ; il coule vers le sud-ouest dans le couloir du Valais, une large vallée glaciaire, où il est alimenté par de grands glaciers. Il oblique ensuite vers le nord-ouest pour sortir des Alpes entre les massifs du Chablais et de l'Oberland bernois. Il pénètre dans le lac Léman – le second d'Europe par la superficie, après le lac Balaton –, où ses eaux se décantent. À la sortie du lac Léman, à Genève, il reçoit son premier affluent important, l'Arve (rive gauche). Il entre en France et s'oriente ensuite vers le sud-ouest, franchit le flanc oriental du Jura par la cluse de Bellegarde et s'insinue dans une vallée souvent étroite et encaissée, entre les Alpes et le sud du Jura. Il fait un petit crochet vers le nord pour contourner le plateau de l'île Crémieu. La confluence avec l'Ain (rive droite) s'effectue peu avant Lyon. Il se heurte, à Lyon, au Massif central et reçoit la Saône (rive droite).
En aval de Lyon
En aval de Lyon, grâce à la Saône, le Rhône devient un fleuve puissant et plus régulier. Sa large vallée prend une orientation nord-sud, au cours globalement rectiligne, malgré quelques coudes de faible ampleur. Il coule au pied du Massif central, tandis qu'il se trouve séparé des Alpes par une série de larges plaines et plateaux. Avant de parvenir aux vastes espaces des plaines du bas Rhône, c'est-à-dire en aval d'Avignon, le fleuve, entre Lyon et Valence, est contraint de franchir une série de défilés taillés depuis l'ère tertiaire dans le rebord du Massif central (Vienne), ou dans sa couverture calcaire (Tain-l'Hermitage). Il traverse ensuite une succession de plaines alluviales (Valence, Montélimar, Orange). Le lit du fleuve est toujours large de plusieurs centaines de mètres et comporte, par endroits, des bras morts (lônes, en lyonnais, dont certains, en aval du barrage de Pierre Bénite, comblés lors des aménagements pour les besoins de navigation et la prévention des inondations, ont été réhabilités en 2001), dans une plaine d'inondation large de 1 à 3 km. Si les affluents de rive droite, issus du Massif central, sont peu importants – à l'exception de l'Ardèche –, ceux de rive gauche, alimentés par les Alpes, apportent au fleuve des cours d'eau presque torrentiels, comme l'Isère et la Drôme et, plus au sud, l'Aigues et l'Ouvèze. Après la traversée du Comtat Venaissin (plaine d'Avignon), le Rhône reçoit la Durance (rive gauche) et le Gard, ses derniers affluents. Il se divise à Arles en deux bras – le Petit Rhône et le Grand Rhône – qui enserrent la Camargue, plaine deltaïque de 750 km2 (un centième de celle du Gange). Le Grand Rhône, qui coule à l'est, est le bras principal ; son embouchure avance sur la mer en faisant progresser les terres aux alentours de Port-Saint-Louis-du-Rhône.
L'embouchure
Composée de marais, de plaines inondables et de grands étangs (Vaccarès), la Camargue juxtapose des réserves naturelles, refuges d'espèces rares (oiseaux migrateurs), des activités traditionnelles (élevage de taureaux et de chevaux), des zones touristiques et des espaces voués aux industries, aux salins ou à l'agriculture intensive (riziculture). Milieu très fragile, le delta, qui recule depuis quelques années, est menacé par la surexploitation humaine et la pollution (captage des eaux de la Durance, zone industrielle de Fos-sur-Mer).
La formation du Rhône
La formation du Rhône est récente. Le Rhône alpin, établi dans une zone synclinale qui est à l'origine du fossé valaisan, s'est écoulé vers les mers sarmatiques, situées à l'emplacement de la plaine hongroise, par l'Aar et le Danube moyen jusqu'au Pliocène supérieur, c'est-à-dire à la fin de l'ère tertiaire, époque où le renversement de pente dû aux mouvements alpins l'a conduit vers le sud.
Il s'est trouvé ensuite écarté du lac bressan, devenu la plaine de la Saône, par les glaciers quaternaires qui se sont étendus jusqu'à Lyon et l'ont forcé à se frayer un passage difficile à sa sortie du lac Léman à travers les plis du Jura méridional. En aval de Lyon, le Rhône s'est installé à l'emplacement d'une ria marine remontant de la Méditerranée jusqu'à Givors, marquée par une zone de failles résultant du contact des poussées alpines avec le rebord oriental du Massif central et où les variations du niveau marin, qui a atteint – 70 m, se sont poursuivies au rythme des glaciations jusqu'à des périodes relativement proches de nous ; ces variations ont provoqué de nombreuses reprises d'érosion succédant à autant de périodes de remblaiement, marquées par de nombreuses terrasses alluviales. Enfin, le delta n'a guère plus de 5 000 ans et s'est constitué sur la Crau, ancien cône d'alluvions de la Durance qui, avant de se jeter dans le Rhône, gagnait directement la mer dans le golfe de Fos par le pertuis de Lamanon.
Cette histoire mouvementée explique les coudes brusques du tracé, l'irrégularité d'un cours où les étroits et les gorges creusés dans les passages rocheux alternent avec des champs d'inondation souvent très étendus ; les ruptures de pente sont nombreuses, multipliant les secteurs où la vitesse du courant et la faiblesse des fonds ont rendu très difficiles les conditions de navigation jusqu'à la récente canalisation du fleuve.
Le débit
La diversité des zones climatiques traversées donne à celui-ci un régime hydrologique compensé qui assure des débits minimaux toujours abondants. Le Rhône valaisan, alimenté par le plus puissant système de glaciers européens et par un bassin de haute altitude, a un régime nivo-glaciaire avec hautes eaux de juin à août, liées aux périodes de fonte des glaces et des neiges, et minimum de février dû à la rétention hivernale des précipitations sous forme de neige ; l'écart entre les deux extrêmes est de 1 à 9,5 et est réduit à 3,6 par la régularisation qu'effectue le lac Léman. Les influences océaniques, marquées par d'abondantes précipitations de saison froide, se font ensuite sentir par l'intermédiaire de l'Ain et des affluents jurassiens, et surtout de la Saône, dont le débit annuel moyen est de 400 m3s alors que celui du Rhône à l'amont du confluent n'est encore que de 600 m3s.
En aval de Lyon, les maximums passent en février-mars. L'Isère alpestre renforce les apports d'été, les affluents méditerranéens, les hautes eaux du printemps et de la fin de l'automne, de sorte que le Rhône, dans son cours inférieur, a des débits soutenus jusqu'en juin ainsi qu'en novembre et décembre, avec des basses eaux d'août à octobre sous l'effet de la coïncidence des maigres des affluents océaniques et méditerranéens avec la décrue des apports alpins issus de la fonte des neiges et des glaces.
L'écart entre les débits maximaux et minimaux moyens, qui est de 1,7 en amont de Lyon, reste de l'ordre de 1,6 en aval. Cette régularité exprime en réalité une situation moyenne fréquemment affectée par des accidents hydrologiques qui rendent dangereux le Rhône et la plupart de ses affluents : les crues torrentielles de montagne du Rhône valaisan ont nécessité un endiguement, puis une régularisation du fleuve, qui ont permis de faire du Valais central une sorte de « jardin » à culture intensive irriguée ; en amont et en aval de Lyon, les crues océaniques de saison froide de l'Ain, de la Saône et des autres affluents jurassiens ou préalpins provoquent des montées brutales du flot, qui peut passer de 1 000 à 6 000 m3s au confluent de la seconde ; en aval de Valence, les crues méditerranéennes ou celles des affluents cévenols, généralement asséchés mais qui peuvent rouler en quelques heures des débits considérables allant jusqu'à 5 000 et 6 000 m3s sur l'Ardèche, se situent le plus souvent en automne.
Au total, le Rhône, à Beaucaire, soit juste avant le delta, écoule en année moyenne des débits compris entre 1 000 et 2 000 m3s. Des événements météorologiques exceptionnels y expliquent des valeurs beaucoup plus contrastées : 500 m3s lors des étiages et 8 200 m3s pour les crues décennales (le débit de la crue millénaire à Beaucaire est estimé à 14 000 m3s). Les crues de 1840 et de 1856 avaient atteint 12 000 m3s. Les deux dernières grandes crues, à la suite desquelles le fleuve a dépassé sa cote d'alerte (plus de 9 500 m3s à Beaucaire), remontent à 1957 et 1993-1994. Au plus fort de cette dernière, en janvier 1994, le débit à Beaucaire a atteint 11 000 m3s, ce qui correspond au passage de 40 000 000 m3 d'eau en une heure.
Le fleuve dans l'histoire
Bien que très anciennement fréquenté, l'axe rhodanien devient l'élément essentiel d'une organisation régionale avec les Romains. Jalonné de cités prospères, le fleuve est un axe de navigation majeur et la vallée une voie de passage fondamentale pour la maîtrise de la Gaule et de tout l'Occident romain. Cette fonction subsistera malgré le rôle de frontière qui apparaît à partir des grandes invasions, opposant, jusque très tard dans l'histoire, la rive du « royaume » et celle de « l'empire ». C'est encore autour de l'axe rhodanien et en valorisant ses deux extrémités : Marseille et Lyon, que la monarchie va progressivement rassembler (du xiie s. au xviie s.) les provinces qui constituent, aujourd'hui, tout le sud-est de la France (Provence, Languedoc, Dauphiné, Bugey, Bresse). Puis s'articulera, autour du fleuve, tout un système de complémentarités économiques, tant agricoles que manufacturières (textile lyonnais et magnaneries cévenoles, charbon de Saint-Étienne et des Cévennes, matières premières coloniales arrivant à Marseille, etc.). Au xixe s., le trafic fluvial, s'adaptant aux technologies nouvelles (vapeur), passe de 280 000 t/an vers 1825 à 630 000 en 1855. Mais la concurrence des chemins de fer, face à une navigation incommode, est irrésistible, tandis que le déclin relatif de certaines prééminences économiques locales au profit de la grande révolution industrielle du nord et de l'est du pays et l'isolement de l'axe rhodanien, par rapport à une Europe du Nord-Ouest devenue désormais le centre de gravité économique du continent, expliquent la crise profonde du système rhodanien jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. En 1937, le trafic sur le Rhin est de 90 Mt, et sur le Rhône, de 935 000 t. La régénérescence de l'axe rhodanien impliquait son aménagement complet.
Une grande artère fluviale et énergétique
L'aménagement du Rhône a été conçu comme une opération d'ensemble largement étalée dans le temps et traitant de tous les problèmes simultanément : grands travaux, navigation, aménagement énergétique, irrigation, restructuration du parcellaire agricole, axes de circulation terrestres, équipements industriels. Le contenu de la loi de 1921 était vaste ; l'outil, mis en place en 1934 et rassemblant tous les partenaires, la Compagnie nationale du Rhône (C.N.R.), très efficace. Conçu selon la technique des « opérations-tiroirs », l'aménagement a commencé par les équipements les plus rentables, afin de dégager les ressources nécessaires au financement des équipements ultérieurs. Alors que l'équipement de Génissiat-Seyssel s'échelonne de 1936 à 1948, celui du Rhône moyen (où la forte déclivité assure le potentiel le plus intéressant et représente l'obstacle le plus grave à la navigation) se déploie de 1952 à 1968 (Donzère, Montélimar, Baix-le-Logis-Neuf, Beauchastel, Bourg-lès-Valence) ; la même phase comprend l'unité de Pierre-Bénite, essentielle à la cohérence des navigations sur le Rhône et la Saône, au développement de la fonction portuaire de Lyon et à l'expansion de la plate-forme industrielle pétrochimique du sud de la ville. Avec les unités de Vaugris, Péage-de-Roussillon, Saint-Vallier, Caderousse, Avignon et Vallabrègues (1968-1978), l'axe rhodanien est totalement maîtrisé à la fois quant à la navigation (biefs à faible pente, débit régularisé, écluses à grand gabarit) et à l'équipement énergétique (17 TWh/an), imputable aux centrales hydroélectriques. L'eau maîtrisée et abondante est devenue disponible pour l'irrigation, soit directement à partir du fleuve (40 000 ha couverts partiellement ou totalement), soit indirectement, par le canal du Bas-Rhône (200 000 ha). C'est encore cette abondance de l'eau, utilisée comme fluide de refroidissement, qui a fait du Rhône une « artère électronucléaire ». Si les implantations initiales (expérimentales, puis semi-industrielles) de l'ensemble Marcoule-Pierrelatte sont déjà anciennes, le programme électronucléaire français a complété le puissant équipement hydroélectrique avec les unités de Bugey, Tricastin (centrale et usine d'enrichissement), Saint-Maurice-l'Exil (centrale de Saint-Alban) et Cruas, alors que la centrale de Creys-Malville, équipée du surgénérateur Super-Phénix, a été arrêtée. La vallée, quant à elle, a vu se renforcer sa fonction de voie de passage essentielle (routes, autoroute, voies ferrées, avec le T.G.V., oléoducs) reliant le monde méditerranéen, dans lequel la France a conçu de nouveau de grands desseins (expansion de la métropole marseillaise, zone industrialo-portuaire de Fos), et l'Europe du Nord et du Nord-Ouest, qui reste le centre de gravité économique de l'Ancien Monde.
Bien que seul passage à joindre à aussi basse altitude les plaines du nord-ouest de l'Europe aux côtes méditerranéennes, le sillon rhodanien – marécageux, soumis aux crues des affluents dans son état naturel et débouchant sur une côte lagunaire inhospitalière et longtemps paludéenne – est cependant loin d'avoir l'exclusivité de ces liaisons, qui peuvent emprunter le sillon alpin ou les cols, ou encore la vallée de l'Allier et les cols des monts Lozère; en particulier, les liaisons entre la France et l’Italie lui échappent totalement, et les cols alpins, dont certains intéressent le Valais, assurent l’essentiel des relations entre l’Allemagne et l’Italie du Nord.
Pour assurer la cohérence totale de ce système de circulation, pour soutenir la croissance de Marseille et de Lyon – et même si les idées d'« Europort du Sud » ou de « Grand Delta » sont aujourd'hui devenues quelque peu mythiques –, s'impose plus que jamais l'urgence de la liaison, toujours ajournée, entre Rhin et Rhône, mais que peut laisser espérer l'aménagement lent, mais réel, de la Saône.