système
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du grec sustema, pour « composition, assemblage ».
Philosophie Générale, Philosophie Cognitive, Philosophie des Sciences
Assemblage de principes et de conclusions ou encore ensemble théorique dont les différentes parties, liées entre elles, forment un tout et dépendent des principes du système.
Le système est d'autant plus parfait que les principes auxquels toutes les autres parties du système sont subordonnées sont en petit nombre. C'est dans ce sens général qu'on parle de système de philosophie, de système métaphysique, de système d'astronomie, de système du monde, etc.
Locke, dans son Essai philosophique concernant l'entendement humain, par sa critique des idées innées et du système cartésien, est le premier à jeter une pierre dans la mare des systèmes(1). Il compare les faiseurs de système à des hommes qui, sans argent et sans espèces courantes, compteraient de grosses sommes avec des jetons qu'ils appelleraient louis, livres, écus. De même que, malgré tous leurs calculs, leurs sommes ne seraient jamais que des jetons, de même, malgré tous leurs raisonnements, les conclusions des philosophes ne sont jamais que des mots. En d'autres termes, les systèmes des philosophes, loin de clarifier la métaphysique, ne servent qu'à frapper l'imagination par le détail ou par l'audace des conclusions auxquelles ils conduisent. Ils séduisent l'esprit par de fausses lueurs d'évidence, et contribuent à maintenir les hommes et leurs disputes métaphysiques dans la violence et dans la passion.
Avec les Lumières, la critique des systèmes et de l'esprit de système se développe de manière radicale et atteint son acmé dans le Traité des systèmes, de Condillac, paru en 1749(2). Il y distingue trois sorte de systèmes : les systèmes qui ont pour principes des maximes générales et abstraites telles : « Le tout est plus grand que la partie » ou « Une proposition et son contraire ne peuvent être vraies en même temps » ; ceux qui ont pour principes des suppositions ; et, enfin, ceux qui ont pour principes des faits bien constatés. Seuls les systèmes de cette troisième sorte ont une légitimité. Quant aux systèmes abstraits, leur défaut est de reposer sur des principes si évidents qu'ils peuvent fonder n'importe quel raisonnement. Du reste, Condillac remarque que la valeur que les philosophes attribuent à ces principes est si grande qu'ils se sont attachés a les multiplier et à multiplier les systèmes qu'ils permettaient de construire. Les métaphysiciens se sont particulièrement distingués en ce point : Descartes, Spinoza, Leibniz, Malebranche ont bâti, chacun à l'envi, des systèmes. Ces penseurs représentent, pour les Lumières, la figure du philosophe métaphysicien qui prétend, en mettant en œuvre un appareil démonstratif, réduire l'univers à un système et en fournir les principes explicatifs. Ils incarnent l'esprit de système qui emprunte la langue des géomètres pour garantir, du sceau de la certitude, des propositions indécidables (l'Éthique de Spinoza, écrite more geometrico, est une des cibles privilégiées de cette critique). L'esprit de système est aussi répudié dans son objet : la notion de système avait déjà été fortement ébranlée par Locke, Bayle et par tout un mouvement de pensée émanant des milieux scientifiques de la Société royale de Londres et de l'Académie royale des sciences de Paris (Fontenelle considère, par exemple, que toute construction de système en physique est prématurée) ; Condillac lui assène le dernier coup. Tout système n'est pas rejeté, mais les bons systèmes ne sont pas encore construits, ce sont ceux qui substitueront aux hypothèses et aux conjectures des faits et des observations. Cependant, une figure d'exception échappe à cette critique : c'est Newton. Son système du monde est le paradigme des bons systèmes, car Newton a pour mérite de ne reconnaître comme vraie physique que celle qui s'appuie sur les expériences et qui les éclaire par des raisonnements exacts et précis, et non par des explications vagues. À l'encontre de Descartes, figure de l'esprit de système, qui construit un roman de la nature, il symbolise le nouvel esprit scientifique que les Lumières appellent l'« esprit systématique » ou l'« esprit philosophique ». Dans l'article « Système » de l'Encyclopédie, d'Alembert reconnaît ce sens positif au système du monde de Newton, et développe le sens également positif du terme dans le domaine de l'astronomie(3). Il définit le système comme la supposition d'un certain arrangement des différentes parties qui composent l'Univers, d'après laquelle les astronomes expliquent tous les phénomènes ou apparences des corps célestes, et décrit les trois systèmes principaux qui ont partagé les philosophes dans l'astronomie, à savoir le système de Ptolémée, le système de Brahe et le système de Copernic. D'Alembert conclut en disant que les lois de Kepler, unifiées par Newton dans son système du monde, renversent définitivement le système de Brahe et confirment celui de Copernic.
Au xxe s., les mathématiciens font du système formel un concept essentiel de l'axiomatisation. Cavaillès(4) et Tarski définissent le système formel comme un groupement hiérarchique d'assemblage de signes ou de formules complètes tel qu'à partir de certaines d'entre elles (en nombre fini ou infini) considérées comme valables on en puisse obtenir d'autres, grâce à des procédés fixés une fois pour toutes. Le xxe s., avec l'essor de la cybernétique et des neurosciences, a aussi vu apparaître une nouvelle science qu'on appelle la « systémique » et qui est la théorie des systèmes complexes.
Véronique Le Ru
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Locke, J., An Essay concerning Human Understanding (1690), trad. de la 4e édition anglaise par Pierre Coste (« Essai philosophique concernant l'entendement humain »), Amsterdam, chez Henri Schelte, 1700, repris par Vrin, Paris, 1983.
- 2 ↑ Condillac, É. (de), Traité des systèmes, Paris, 1749, rééd., Fayard, 1990.
- 3 ↑ Alembert, J. (d'), « Système » (1765), in Encyclopédie des sciences, des arts et des métiers (t. XV), éditée par d'Alembert et Diderot, Paris, Briasson, David, Le Breton et Durand, 35 vol., 1751-1780.
- 4 ↑ Cavaillès, J., Méthode axiomatique et formalisme, Hermann, Paris, 1981.