responsabilité
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin responsus, de respondere, « répondre ».
Anthropologie, Morale, Philosophie du Droit
Faculté de répondre de soi-même, de ses actes, de ses dires.
Liée à la maturité, à la faculté de bien juger, la responsabilité n'a pas le même sens selon « devant qui » elle se place. L'éthique aiguise le sentiment d'une responsabilité infinie(1), qui porte toutes les dettes du passé, envisage les souffrances possibles jusque dans le lointain et le futur. Du côté juridique, le problème serait plutôt d'arrêter la responsabilité, de l'imputer, et de couper la chaîne des conséquences d'un acte passé, par la sanction (droit pénal) et par la réparation (droit civil).
Au sens du droit, la responsabilité concerne donc les conditions d'imputation de nos actes (ou de nos omissions, car il est des crimes par non-assistance délibérée à personne en danger) et les devoirs liés à un statut (parent, conducteur automobile). Or, cette responsabilité juridique oscille entre deux orientations qui révèlent aussi une structure intime de la responsabilité morale(2).
La première, plus téléologique, table sur la visée éthique que le sujet a d'une vie bonne, sur l'estime qu'il a de lui-même, pour le responsabiliser et le rendre capable (capacités cognitives, volitives) de contracter un engagement. Au pénal, cela suppose une individualisation des peines, un aménagement dont le sujet soit partenaire, où l'on prenne sa parole au sérieux, où chacun ait des droits et des devoirs. Le sens de la punition est alors préventif, et se fonde sur la capacité des sujets à mesurer ce qu'ils risquent, à calculer le coût de leurs actes – il y a chez Bentham une économie de la peine, et la punition doit être dissuasive sans faire plus de mal que ce qu'elle veut éviter(3).
La seconde, plus déontologique, insiste sur une Loi morale égale pour tous : pour Kant, la question de l'utilité de la punition pour le coupable ou pour la société instrumentaliserait les sujets(4). Les punir, c'est faire respecter en eux la liberté du sujet moral (responsable de soumettre ses intentions aux règles du devoir, sans entrer dans le calcul des conséquences). C'est respecter le sujet de droit (responsable de ses actes), même si le sujet de fait est abattu par ce qu'il a fait ou impuissant à faire autrement. Comme chez Lévinas, l'exigence de responsabilité est ici purement illocutoire, et ne se préoccupe pas des conditions perlocutoires de sa réception.
Ces deux orientations impliquent des anthropologies différentes. Le danger de la première, en dépit de son pragmatisme et de son parti pris de confiance, est de croire de manière « optimiste » (sans voir la spirale du malheur) qu'on peut tout contractualiser, alors que l'on a parfois affaire à un sujet désarmé, vulnérable, irresponsable. Celui de la seconde, qui sait mettre un écran, une distance, faire passer le sujet derrière un voile d'ignorance et lui donner sa chance, est de ne pas savoir comment passer de ce sujet fragile, dissocié, à un sujet capable, dans tous les sens du terme, de répondre de lui-même, de se déplacer pour dire : « Me voici. » En exagérant, on obtient, d'un côté, un excès de responsabilisation, caractéristique d'une société où il ne devrait y avoir que des individus majeurs et consentants, capables de passer librement des contrats et de tenir leurs promesses (mais on y voit beaucoup d'individus effondrés) ; et, de l'autre, un excès de victimisation, où il n'y a que des « petits », protégés par des institutions tutélaires, et finalement jamais responsables de rien. Il reste à trouver l'articulation entre la face passive et fragile de la vulnérabilité humaine, et la face active et capable de la responsabilité(5).
L'oscillation marquée plus haut, que l'on soit tous responsables de tout (H. Arendt a montré que le projet totalitaire du nazisme final a été d'effacer toute différence entre les criminels et les autres) ou que l'on impute toute la responsabilité à quelques individus (tandis que les autres se lavent les mains), marque aussi le problème de la responsabilité collective et politique. Qui est responsable, par exemple, des nuisances d'une civilisation de la voiture, de ses effets, en termes d'exténuation de ressources rares, de pollution, de laminage de l'espace urbain et des mœurs ? L'incontestable culpabilité des chauffards laisse intacts la responsabilité politique, les intérêts économiques et l'assentiment de tous. Ou bien peut-on imputer à une société pharmaceutique puissante, qui aurait breveté une manipulation du génome, les conséquences éventuellement catastrophiques de cette modification sur l'environnement ? La technique ayant bouleversé les modalités de l'agir humain, et parce qu'à puissance inédite responsabilité inédite, c'est à cette forme élargie de la responsabilité (on est responsable du fragile, du périssable) que nous appellent des travaux récents comme ceux de H. Jonas(6).
Olivier Abel
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Lévinas, E., Éthique et Infini, Fayard, Paris, 1982.
- 2 ↑ Ricœur, P., Soi-même comme un autre, Seuil, Paris, 1990.
- 3 ↑ Bentham, J., « Principles of Penal Law », in Works, t. I, 1859.
- 4 ↑ Kant, E., Métaphysique des mœurs (1797).
- 5 ↑ Ehrenberg, D., la Fatigue d'être soi, Odile Jacob, Paris, 1998.
- 6 ↑ Jonas, H., le Principe responsabilité (1979), Cerf, Paris, 1990.