même et autre
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Philosophie Générale
Partage fondamental de l'être qui, dans la doctrine platonicienne, joue un rôle fondateur dans la constitution du monde.
Pour créer un monde, le dieu thaumaturge du Timée de Platon(1) doit d'abord procéder à une modification significative du concept de matière(2) qui apparaît dans d'autres dialogues. La matière d'un monde, en effet, doit être faite de telle sorte qu'elle puisse s'accorder à l'existence, dans le monde, du retour périodique des mêmes choses. Dans un monde bien fait, certaines réalités particulières n'admettent que des propriétés qui relèvent de la nécessité : nul ne pourrait comprendre le fait que, dans sa structure même, le monde mis en branle par le démiurge ne soit pas conforme à l'expérience concrète du monde, qui n'est pas exclusivement faite d'une succession erratique d'instants et d'accidents. Dans le monde, il y a de l'ordre et des propriétés liées à une certaine permanence. Le Phédon avait déjà marqué la possession, par certaines choses sensibles, de telles propriétés permanentes, inhérentes à leur nature : ainsi la forme du chaud et du froid ne participe pas accidentellement à la réalité particulière du feu et de la neige(3). La perte de cette forme entraîne la perte de la réalité particulière elle-même et il faut alors penser que le feu, réalité particulière, ne peut être pensé comme le support de propriétés contraires, comme le sont en général les choses sensibles. Cette représentation de la chose sensible comme ce dont les propriétés ne sont qu'accidentelles est réaffirmée en un sens plus radical encore dans le Théétète par exemple. Mais dans le Timée, une instance tierce s'impose dans le jeu de la participation : la khora, ou « matériau », dont la fabrication repose sur un mixte du même (l'identité de l'Idée) et de l'autre. Entre les formes incorruptibles et leurs simples images inconsistantes soumises au devenir et au jeu incessant des accidents contradictoires, il y a le matériau, qui a une façon particulière, « déconcertante »(4), de participer à l'intelligible. De cette troisième voie ouverte dans l'ontologie platonicienne est issue la nécessité qui se produit dans la matière sous la forme d'une causalité libre avec laquelle le démiurge devra composer lorsqu'il en viendra à construire le corps du monde(5). Cette rencontre du Même et de l'Autre intervient aussi, dans le Timée, au moment où se conçoit l'âme du monde, c'est-à-dire tout à la fois son moteur et sa capacité intellective. Ici Platon ne fait que valider un certain nombre de données astronomiques évidentes : l'inclinaison de la Terre sur le plan de l'écliptique est représentée par un cercle, l'Autre, lui-même incliné. La rotation diurne du ciel en vingt-quatre heures est donnée comme le cercle du Même. Le mixte du Même et de l'Autre justifie en particulier l'alternance régulière des saisons.
C'est une autre médiation qui est assurée par le mélange du Même et de l'Autre : celle de l'éternité au temps, défini comme image mobile de l'éternité immobile(6) qui se déroule selon le nombre. Dans les termes du partage de l'être, le temps est le Même introduit dans l'Autre et qui lui donne une structure fondamentalement ordonnée, très différente en ce sens d'une simple image-reflet où aucune forme ne peut prétendre séjourner durablement.
Fabien Chareix
Notes bibliographiques
- 1 ↑ Platon, Timée, trad. L. Brisson, GF, Paris, 1996, 28 b-c, sur le démiurge.
- 2 ↑ Cf. Brisson, L., Le même et l'autre dans la structure ontologique du Timée de Platon, Klincksieck, Paris, 1974, passim.
- 3 ↑ Platon, Phédon, trad. L. Robin, Gallimard, Paris, 1950, 103e.
- 4 ↑ Platon, Timée, op. cit., 51a.
- 5 ↑ Ibidem, 53 a-b, avec l'instauration de l'ordre et de la mesure.
- 6 ↑ Ibidem, 37d. Voir Brague, R., Du Temps chez Platon et Aristote, PUF, Paris, 1982.
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