hérédité

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Du latin hereditas. « Hérédité » est un doublon de « héritage ».

Biologie, Histoire des Sciences, Philosophie des Sciences

L'histoire du mot est exemplaire. Sous l'Ancien Régime, le substantif « hérédité » est un terme de droit. Il est alors souvent synonyme d'« héritage » (« accepter » – ou refuser – l'hérédité de quelqu'un). Mais, depuis le xvie s., il tend à désigner plus spécifiquement la transmission des privilèges (hérédité des offices, hérédité de la Couronne de France, etc.). Simultanément, ce sont les médecins qui utilisent l'adjectif « héréditaire » au sens technique de transmission d'un caractère organique des parents aux enfants. Mais cette notion n'apparaît que dans le syntagme « maladies héréditaires ». Sous l'Ancien Régime, donc, le lexique de l'hérédité dénote toujours la transmission de quelque chose qui se distingue de l'ordinaire : soit les privilèges (dénoté par le substantif « hérédité »), soit les maladies et monstruosités (dénoté exclusivement par l'adjectif « héréditaire »). C'est peu après la période révolutionnaire que le substantif « hérédité » sera appliqué, d'abord aux maladies (« hérédité des maladies », et plus seulement « maladies héréditaires »), puis à l'ensemble des caractères, physiques ou mentaux, de chacun. Une telle hérédité, démocratisée, dépathologisée et généralisée, désigne alors une catégorie de causes spécifique et ayant un statut exceptionnel dans le champ des sciences biologiques. L'hérédité naturelle est, en effet, une dimension de description et d'explication de tous les caractères, dans toutes les espèces et chez tous les individus. On ne peut s'empêcher de penser que la Révolution a eu quelque chose à voir avec ce remarquable changement conceptuel. Il est à peine besoin de souligner, par ailleurs, ses enjeux dans la sphère sociale et politique. C'est, en fait, sur les terrains de la maladie mentale, de la misère, des nations et des races que le néologisme a d'abord et principalement été utilisé, avant de devenir un concept essentiel pour la biologie expérimentale. Quoi qu'il en soit, c'est sur ce socle conceptuel que se sont édifiées, d'une part, la science de l'hérédité (nommée « génétique », en 1905, par W. Bateson) et, d'autre part, les idéologies héréditaristes, dimension majeure et souvent dramatique de l'histoire contemporaine. L'eugénisme, mais aussi les théories raciales ont trouvé dans le vocabulaire et dans l'imaginaire de l'hérédité un facteur structurant de première importance.

Les rapports de la philosophie avec le concept d'hérédité demeurent à écrire. L'hérédité n'est pas, et n'a jamais été, un « concept philosophique ». Mais il ne serait pas difficile de montrer que de nombreux philosophes ont rencontré cette notion. Kant, dans ses écrits sur les races humaines, a beaucoup contribué à l'analyse du concept moderne, en distinguant soigneusement les caractères héréditaires accidentels (ou individuels : par exemple, la couleur des cheveux « des brunes et des blondes ») des caractères qu'il disait « infailliblement héréditaires ». Ceux-ci n'étaient autres que les caractères raciaux (par exemple, la couleur de la peau), qui laissent une emprise indélébile au-delà de tout croisement possible. Lorsqu'on lit aujourd'hui ces textes, on est frappé par l'intelligence que Kant met au service d'une entreprise de clarification scientifique, sur laquelle une bonne partie de la science du xviiie s. avait buté. Mais on est aussi impressionné par le caractère si banalement idéologique du discours sur les races humaines. Une histoire philosophique de l'hérédité s'attacherait à suivre, dans les marges des systèmes philosophiques, les contours sinueux d'un regard embarrassé des philosophes sur un fait de culture qui a le meilleur des sciences de la vie et le pire des idéologies naturalistes des modernes.

Jean Gayon

Notes bibliographiques

  • Kant, E., « Des différentes races humaines » (1777) et « Définition du concept de concept de race humaine » (1785), trad. S. Piobetta, dans la Philosophie de l'histoire, Denoël, Paris, 1965.
  • López, B. C., Human Heredity 1750-1870 ; The Construction of a Domain (1992), PhD Dissertation, Université de Londres, Londres.