distance esthétique

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».

Esthétique

Pour certains, l'attitude esthétique elle-même, en tant que forme d'attention désintéressée. À distinguer de la distanciation brechtienne, qui implique un intérêt critique et politique. Elle appelle néanmoins des objections quant à sa validité pour représenter l'expérience esthétique ou quant aux valeurs qu'elle véhicule dans la culture.

Dickie distingue deux approches de l'esthétique, non exclusives l'une de l'autre : par l'attitude ou par l'expérience. Dans la première catégorie se rangent les théories de la distance esthétique. La seconde représente ce que l'auteur nomme « une conception causale de l'expérience esthétique »(1). La notion brechtienne de « distanciation », que l'on pourrait confondre avec celle de « distance esthétique » appartient plutôt à la seconde approche de l'esthétique. En effet, la distanciation (Verfremdung) part des dispositifs mis en place par l'auteur ou le metteur en scène (mais aussi le peintre) au sein de son œuvre afin de produire un « effet d'étrangeté » qui oriente le récepteur vers une attitude critique vis-à-vis de la représentation, de son rapport à la réalité et de son interprétation politique (au théâtre, par exemple, le jeu de l'acteur, les chansons, la narration, le décor, etc.).

Le fait que la distanciation provoque la prise de distance critique du récepteur avec une finalité de prise de conscience politique ne permet pas de la considérer comme une attitude caractéristique de toute expérience esthétique, ni même comme une variété de distance esthétique. D'autant plus que la finalité politique introduit un intérêt extrinsèque contredisant la théorie de la distance en général comme état psychologique particulier qui se caractérise par la mise entre parenthèses de la vie pratique, l'attention exclusive à l'objet considéré comme esthétique et une totale réceptivité à ses qualités propres(2). De même qu'ils caractérisent négativement la distance, les auteurs qui défendent cette idée utilisent volontiers le contre-exemple, celui, par exemple, du mari jaloux dont l'esprit est accaparé par les frasques de sa femme tandis qu'il assiste à Othello (l'exemple, cité par Dickie, est de Bullough). La distance consiste à accéder à un état de conscience dans lequel ces tracas ou toute sorte de préoccupations et d'idées étrangères sont suspendus au profit d'une attention volontaire et exclusive envers un objet susceptible d'être appréhendé en tant qu'esthétique. Dans le domaine anglo-saxon, on peut rattacher au même thème les théories rénovées du désintéressement (Stolnitz) ou de l'intransitivité (Vivas).

Outre les critiques en provenance de l'esthétique elle-même (Dickie), la distance a fait l'objet d'une critique sociologique. Bourdieu(3) oppose à l'esthétique populaire le détachement de l'esthète qui, motivé par le dégoût du vulgaire, du sensible et du facile, recherche le goût pur, préconise un récepteur libre vis-à-vis de l'objet et la difficulté des œuvres. Quoi qu'il en soit, il ne semble pas qu'on puisse le suivre lorsqu'il identifie cette version du désintéressement à la distanciation (à moins d'oublier le sens brechtien du terme pour en faire un synonyme inutile de distance).

Dominique Château

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Dickie, G., « Beardsley et le fantôme de l'expérience esthétique » (1969), trad. in Lories, D. (éd.), Philosophie analytique et esthétique, Méridiens Klincksieck, Paris, 1988, p. 135.
  • 2 ↑ Cf. Bullough, E., « Psychical distance » as a Factor in Art and an Aesthetic Principle » (1912), in Aesthetics : Lectures and Essays, 1957 ; Dawson, S., « Distancing » as an Aesthetic Principle », Australasian Journal of Philosophy, vol. 56, 1959.
  • 3 ↑ Bourdieu, P., la Distinction, critique sociale du jugement, Minuit, Paris, 1979.

→ attitude esthétique, désintéressement