corpuscule
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».
Du latin corpus, « corps », avec suffixe diminutif.
Physique
Corps matériel microscopique.
Un corpuscule se voit classiquement attribuer toutes les propriétés définissant les corps matériels : l'extension spatiale, l'impénétrabilité, la capacité à exercer des forces répulsives et / ou attractives, et enfin la masse. S'ajoute à cela une considération d'échelle évolutive : à la fin du xviie s. et au xviiie s., le corpuscule était défini comme un petit corps matériel invisible à l'œil nu mais visible au microscope. Dans la physique du tournant des xixe et xxe s., un corpuscule pouvait tantôt être un corps matériel d'assez petite taille constitué d'une multiplicité de molécules (c'était le cas des corpuscules polliniques soumis à un mouvement brownien), tantôt un corps d'échelle subatomique (c'était en particulier le cas de l'électron).
« Corpuscule » intervient en physique classique comme substitut du mot « atome » lorsque la question de l'indivisibilité est laissée en suspens. L'un des auteurs qui en ont le plus systématiquement fait usage est sans doute R. Boyle, dans les ouvrages où il expose sa « philosophie corpusculaire » inspirée par Épicure, Galilée et Gassendi. Selon Boyle, les qualités des corps étudiés par le chimiste ne s'expliquent pas par la possession d'une forme substantielle, mais comme effet à grande échelle de la combinaison de corpuscules ayant des dimensions, des formes, des positions et des vitesses variées. La théorie corpusculaire de la lumière proposée par Newton dans son Opticks vise pour sa part à expliquer la couleur, la réflexion et la réfraction par des modèles mécaniques.
La théorie quantique a suscité une réflexion renouvelée sur le concept de corpuscule. Alors que la théorie ondulatoire de la lumière, proposée par Huygens et développée par Fresnel, s'était imposée au xixe s., Einstein formula en 1905 une théorie selon laquelle le rayonnement électromagnétique est constitué de quanta d'énergie localisés, en mouvement dans le vide. Ces quanta, ultérieurement nommés « photons », ont été qualifiés par Einstein de nouveaux corpuscules de lumière. Sa théorie permettait d'une part de dériver la loi de rayonnement du corps noir de Planck, et d'autre part de rendre compte de l'effet photoélectrique. Einstein n'ignorait cependant pas que certains aspects des phénomènes optiques (comme les effets d'interférence) ne pouvaient être pris en compte que par le biais d'une théorie ondulatoire. Entre 1909 et 1911, il élabora alors l'idée d'une dualité onde-corpuscule des processus électromagnétiques. En 1923, L. de Broglie étendit cette idée à la matière.
Vers 1926, le concept de corpuscule subit une déconstruction phénoméniste, lorsque Bohr proposa de remplacer la dualité onde-corpuscule par la complémentarité onde-corpuscule. Chez ce dernier, ondes et corpuscules n'étaient plus deux constituants intrinsèquement associés dans les objets atomiques, mais (1) deux aspects complémentaires des phénomènes se manifestant dans des configurations expérimentales distinctes, et (2) deux images classiques mutuellement exclusives, mais conjointement indispensables pour appréhender par esquisses les processus échappant aux lois de la physique classique. La nature, désormais, ne devait plus être considérée comme composée de corpuscules et / ou d'ondes, mais de processus prenant alternativement une apparence ondulatoire ou une apparence corpusculaire selon le type d'expérimentation.
En physique contemporaine, le concept de corpuscule n'occupe plus qu'une place modeste. Initialement coextensif à celui de particule, il s'en est séparé : le concept de corpuscule est resté un quasi-invariant historique, alors que celui de particule a dérivé. Les deux seules fonctions que remplit encore le concept de corpuscule en physique quantique sont (1) celle, bohrienne, de désignation de l'aspect discontinu de certains phénomènes expérimentaux, (2) celle qui résulte d'une réactualisation de la dualité onde-corpuscule de Broglie, par des interprètes minoritaires des théories quantiques. Ainsi, la théorie à variables cachées proposée par D. Bohm en 1952 postule des corpuscules dotés d'une trajectoire, mais pilotés par une onde véhiculant instantanément des influences provenant d'objets distants.
Michel Bitbol