égalitarisme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la philosophie ».


Néologisme formé à partir d'« égalité », du latin aequalitas.


L'« isonomie » de la philosophie classique se résout, avec la modernité, dans un concept abstrait d'égalité qui tend à exiger l'égalité en toutes choses, pour tout homme. Le terme d'« égalitarisme » est alors employé avec une connotation péjorative.

Politique

Doctrine selon laquelle tous les hommes doivent être mis sur un pied d'absolue égalité et jouir des mêmes droits sur les plans civil, juridique, politique, social et économique.

« L'amour de l'égalité [...] est une inclination naturelle du cœur humain » qui alimente aussi bien des « rêves extravagants de partage ou de communauté des biens »(1), c'est-à-dire le désir d'égalité extrême que le souhait modéré et raisonnable d'une « égalité réelle, la seule à laquelle les hommes ont le droit de prétendre »(2), une égalité fondée par la loi.

L'égalitarisme comme identité de droit

L'isonomia, telle qu'elle est réalisée dans la Grèce antique athénienne, exprime cette identité fondamentale des citoyens devant la loi. Une telle égalité, qui est égalité des droits et des obligations politiques, capacité à engendrer la loi et à s'y soumettre, donne son sens à la notion de justice. Dès lors, il n'y a d'égalité entre les citoyens que dans le cadre politique de la cité : là où les lois s'appliquent, l'ordre de l'égalité règne.

Dans le cadre de ces lois se trouve déterminé ce qui est dû à chacun (c'est-à-dire les biens, les charges, le pouvoir, les honneurs, etc.)(3). La loi, consistant en « un certain ordre », réalise ainsi « une forme de communauté d'égaux en vue de mener une vie meilleure possible », selon la conception aristotélicienne de l'État(4).

Toutefois, cette égalité politique est une égalité entre égaux toujours relative à un critère, qu'il soit explicite ou non, de discrimination des individus, selon qu'ils méritent ou non de jouir de la pleine citoyenneté. Elle suppose donc une définition préalable de la communauté politique, de ses limites et de son extension.

L'égalité juridique et politique n'est étendue à tous les hommes qu'avec la modernité et sur le fondement d'une anthropologie renouvelée. Aussi divergentes soient les doctrines contractualistes de Grotius, Hobbes, Pufendorf, Spinoza, Locke, Rousseau, Kant, démontrant la nécessité d'un contrat entre les hommes, par lequel ils mettent fin à l'état de nature, toutes ont pour principe l'égalité. Que les hommes soient conçus comme « naturellement égaux »(5), en raison de leur capacité universelle à se nuire réciproquement, par Hobbes, ou comme inégaux en force et en « qualités de l'esprit, ou de l'âme »(6), par Rousseau, l'égalité politique fait nécessairement l'objet d'une institution dont la norme de validité ne peut être conférée par la nature. La tentation de fonder l'égalité politique sur une supposée égalité naturelle présente un danger, car si la nature a la valeur de norme et que les hommes s'avèrent n'être pas « naturellement » effectivement égaux, l'inégalité morale ou politique se trouverait justifiée. Par conséquent, l'institution d'une égalité en droit entre les hommes récuse l'hypothèse qui ferait de la nature la norme de l'égalité politique ou celle de l'inégalité sociale. L'égalité en droit des individus doit nécessairement faire l'objet d'une déclaration.

Ainsi, la Déclaration d'indépendance américaine prononce que « nous tenons pour évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : tous les hommes sont créés égaux ; ils sont doués par le Créateur de certains droits inaliénables »(7). De même, la Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen de 1789 s'ouvre par l'affirmation que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » (article premier). Les déclarations des droits de l'homme s'ordonnent donc autour du principe de l'égale liberté des individus, fondement de la modernité.

L'universalisme égalitariste

Cette tendance à considérer l'autre comme mon égal est, à l'origine, nourrie par le christianisme. Toutefois l'égalité entre les hommes est moins une origine qu'une destination. Elle relève de la convention et constitue une norme à laquelle mesurer la validité des lois positives. Tel est le sens de l'idée régulatrice de justice comme égalité.

Dès lors, l'égalitarisme se nourrit et se justifie du principe d'impartialité, aussi bien sur le plan pénal que dans le domaine politique et social. Elle consiste dans « l'exigence que les citoyens soient traités de manière impartiale, que la naissance, les liens familiaux ou la richesse n'aient aucune influence sur ceux qui font la loi. L'égalitarisme ne reconnaît aucune espèce de privilèges “naturels”, même si certains privilèges peuvent être conférés par les citoyens à ceux en qui ils ont confiance »(8). Ainsi, toute inégalité demande à être justifiée.

Pourtant, l'égalité, dans la pluralité de ses acceptions, est irréductible à l'égalité pure et simple. Elle concerne les droits, mais aussi les biens (pouvoirs, honneurs, richesses). Dans la répartition des richesses, l'égalitarisme défend la possession par chacun de la même quantité de biens (égalitarisme possessif radical), ou bien la possession, par chacun, de ce qui lui revient à proportion de ce qu'il fait (égalitarisme méritocratique). Il peut, enfin, revendiquer l'égalité des chances d'acquisition de ces richesses (égalité démocratique).

La logique de la revendication égalitaire, jointe à la difficile formulation des principes de justice, tendrait à suggérer que seule l'égalité totale, fondée sur l'identité logique, est véritablement juste. Entre les apories de l'égalitarisme radical et les sophismes de l'inégalitarisme, la notion de proportion a figure de moyen terme. « Donner à chacun ce qui lui revient », conformément à l'une des définitions traditionnelles de la justice, demeure un principe égalitaire, puisque chacun obtient une part égale à son mérite. L'inégalité se justifie, dans la mesure où il est juste de distribuer des parts inégales aux individus inégaux, c'est-à-dire inégalement méritants. La justice réside alors dans la proportion géométrique.

Ainsi, le libertarisme, dans ses formes les plus radicales, défend à la fois l'idée que le concept de justice consiste moins dans l'égalité que dans la distribution des ressources, en fonction du mérite de chacun, d'une part, et rejette, d'autre part, toute intervention de l'État au nom d'une opposition à l'égalitarisme, visant à garantir l'indépendance et l'initiative individuelles. Dès lors, il faut admettre comme une conséquence le développement de formes de dépendance personnelle et d'inégalité dans la valeur effective des droits détenus.

L'égalitarisme démocratique

À l'inverse, l'égalité des hommes, affirmée par l'égalitarisme démocratique – aussi nommé « égalitarisme libéral » – conjointement au principe de l'incommensurabilité des personnes, revendique un droit égal, pour toute personne, de participation au processus constitutionnel, établissant les lois auxquelles toute personne doit se conformer, ainsi qu'au résultat de ce processus. Cette affirmation de principe induit une revendication portant sur l'égalité des chances, en particulier celle d'un accès égal aux fonctions publiques, et sur l'égalité des résultats. De la sorte se trouvent atténuées les inégalités de répartition, liées aux contingences sociales et au hasard naturel. Une répartition de la richesse et des revenus, de l'autorité et de la responsabilité équitable, est alors possible(9).

Le principe de différence rawlsien consiste donc à admettre des inégalités et, par conséquent, à les tenir pour justes, dans la stricte mesure où la structure des avantages et des charges est disposée de telle sorte qu'elle favorise les plus désavantagés. Ainsi, une conception de la justice peut être dite égalitariste, alors même qu'elle autorise d'importantes inégalités. Ce principe formalise l'idée intuitive selon laquelle personne ne mérite la position dont il jouit dans la répartition des dons à la naissance, pas plus qu'il ne mérite la place initiale qu'il possède dans la société.

Caroline Guibet Lafaye

Notes bibliographiques

  • 1 ↑ Mounier, J.-J., De l'influence attribuée aux philosophes sur la révolution de France, Tübingen, 1801, p. 47.
  • 2 ↑ Holbach, P. H. (d'), Politique naturelle, Fayard, Paris, 1998, p. 280.
  • 3 ↑ Voir Aristote, Éthique à Nicomaque, V, 2, 1129 a 32-35.
  • 4 ↑ Aristote, Politique, VII, 8, 1328 a 36 et suiv.
  • 5 ↑ Hobbes, Th., De Cive, Garnier-Flammarion, section I, chap. I, § 3, Paris, 1982, p. 95.
  • 6 ↑ Rousseau, J.-J., Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, in Œuvres complètes, t. III, Gallimard, La Pléiade, Paris, 1964, p. 131.
  • 7 ↑ La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, no 7, Hachette, Paris, 1988, p. 492.
  • 8 ↑ Popper, K., The Open Society and its Enemies, RKP, 1962, t. I, chap. VI, p. 95.
  • 9 ↑ Rawls, J., Théorie de la justice, Seuil, Paris, 1971, pp. 97-98.

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