Jean Alexis Moncorgé, dit Jean Gabin
Acteur de cinéma français (Paris 1904-Neuilly-sur-Seine 1976).
Cabochard au grand cœur ou héros tragique, porte-parole des humbles ou meneur d'hommes, Jean Gabin travailla avec les meilleurs cinéastes et scénaristes de son époque, qui façonnèrent le « mythe Gabin » en jouant de son regard et de ses « coups de gueule ».
Le héros populaire
Enfant de la balle (ses parents sont des vedettes de café-concert), Jean Gabin exerce divers métiers (cimentier, vendeur de journaux) avant d'embrasser, à partir de 1922, la carrière théâtrale. Il fait ses débuts comme figurant aux Folies-Bergère et au Vaudeville, puis effectue un tour de chant en province et apparaît dans une opérette aux Bouffes-Parisiens, où il chante et danse avec Mistinguett la Java de Doudoune. Ses autres partenaires sont Dranem, Lucien Baroux (1888-1968) et le clown Raymond Dandy (1887-1953) : avec ce dernier, il paraît pour la première fois à l'écran, dans deux sketches muets. Mais c'est avec le parlant qu'il va s'affirmer, poussant parfois la chansonnette (Méphisto, Henri Debain [1886-1983], 1930), jouant des rôles de bon ou de mauvais garçon (Paris-Béguin, Augusto Genina [1892-1957], 1931 ; Cœur de lilas, Anatole Litvak [1902-1974], 1932), puis fixant progressivement un personnage, plus rude, dans la lignée de Spencer Tracy (la Bandera, Julien Duvivier, 1935 ; la Belle Équipe, id., 1936 ; Pépé le Moko, id., 1937). Charles Spaak (1903-1975), l'un de ses scénaristes, le décrit « à l'aise dans les bagarres, champion de tous ceux qui n'ont guère eu de chance et qui luttent pour des causes simples : la liberté, l'amour, l'amitié ».
C'est alors le temps du triomphe : Gabin tourne successivement dans la Grande Illusion (Jean Renoir, 1937), dans la Bête humaine (id., 1938), dans le Quai des brumes (Marcel Carné, id.) et dans Le jour se lève (id., 1939). Mais la Seconde Guerre mondiale va bouleverser cette carrière prestigieuse. L'acteur gagne en 1941 les États-Unis, où il interprète deux films médiocres (Moon tide et The Impostor). De retour en France en 1943, il intègre les Forces françaises libres et participe à la libération de Paris. Mais, au lendemain de la guerre, il ne retrouve pas de rôle à sa mesure. Renonçant à tourner les Portes de la nuit, le film que Jacques Prévert et Marcel Carné avaient conçu pour lui, il s'égare dans la convention et le mélodrame (Martin Roumagnac, Georges Lacombe [1902-1990], 1946 ; Miroir, Raymond Lamy [1903-1982], 1947), puis revient au théâtre (la Soif, de Bernstein), avant d'aller tenter sa chance en Italie (Au-delà des grilles, René Clément, 1949).
Le bon et le méchant
Il faut attendre 1952 pour assister à la renaissance cinématographique de Gabin. Elle est l'œuvre de Max Ophuls qui le fait tourner dans le Plaisir. Campant un paysan normand étonnant de naturel, l'acteur retrouve alors la faveur du public. Il joue ensuite le truand embourgeoisé de Touchez pas au grisbi (1954), sous la direction de Jacques Becker, que suivent French Cancan (id.), de Jean Renoir, et la Traversée de Paris (1956), de Claude Autant-Lara. C'est le point de départ d'une seconde carrière. Les tempes blanchies, la silhouette épaissie, il joue désormais les flics bonasses, les « présidents », les « pachas », voire les « vieux de la vieille » – des rôles sur mesure que lui façonnent les dialoguistes Michel Audiard et Pascal Jardin, et que dirigent Denys de La Patellière (Rue des prairies, 1959 ; Du rififi à Paname, 1966), Gilles Grangier (Le cave se rebiffe, 1961 ; Maigret voit rouge, 1963) ou Henri Verneuil (Un singe en hiver, 1962 ; le Clan des Siciliens, 1969). L'un de ses plus gros succès des années 1960 est d'ailleurs Mélodie en sous-sol (Verneuil, 1963), où il a pour partenaire Alain Delon.
Gabin se lance ensuite dans la production en fondant, avec Fernandel, la Gafer (de Gabin et Fernandel). Son chant du cygne sera le Chat (Pierre Granier-Deferre, 1971), d'après Georges Simenon, où il est un pathétique retraité de banlieue muré dans son silence et sa haine de l'autre. En 1973, il incarne le patriarche Gaston Dominici dans l'Affaire Dominici (Claude Bernard-Aubert). Il passe ses dernières années dans sa ferme et son haras de Normandie. Un ultime film, de routine, clôt sa carrière en 1976 : l'Année sainte, de Jean Girault. Mais, derrière le vieil homme bougon, Gabin est resté jusqu'à la fin celui dont Jacques Prévert a célébré « le regard toujours bleu et encore enfantin ».