Pierre Bourdieu

Sociologue français (Denguin, Pyrénées-Atlantiques, 1930-Paris 2002).

Auteur d’une des œuvres théoriques les plus importantes du XXe s., Pierre Bourdieu a contribué à renouveler entièrement la sociologie et l’ethnologie tant françaises que mondiales. Il fut aussi un intellectuel très engagé auprès des mouvements sociaux.

Du Béarn au Collège de France

Pierre Bourdieu passe son enfance et son adolescence dans le Béarn. Malgré des origines sociales fort modestes, il poursuit des études brillantes et entre, en 1951, à l’École normale supérieure. Il étudie alors la philosophie, et obtient l’agrégation en 1954. Après avoir accompli son service militaire en Algérie pendant la guerre (1955-1958), puis occupé un poste d’assistant à la faculté d’Alger (1958-1960), il rentre en France et devient l’assistant de Raymond Aron à la faculté des Lettres de Paris. En 1964, il est élu directeur d’études à l’École pratique des hautes études, et, en 1981, il devient titulaire de la chaire de sociologie au Collège de France ; il l’occupera jusqu’à sa retraite, en 2001.

La sociologie critique

Rares sont les domaines de la vie sociale qui ont échappé à l’attention de Bourdieu. Son œuvre, composée de presque quarante ouvrages traduits dans le monde entier, aborde un nombre extrêmement important de sujets, dont elle a, à chaque fois, renouvelé l’interprétation. Sont notamment analysés les pratiques culturelles et leurs déterminations sociales (la Distinction, 1979), les échanges linguistiques et leurs enjeux (Ce que parler veut dire, 1982), l’université et son fonctionnement (Homo academicus, 1984), le champ littéraire et la création artistique (les Règles de l’art, 1992), la domination masculine et la sexualité (la Domination masculine, 1998), l’activité scientifique et son déroulement (Science de la science et réflexivité, 2001).

Mais ce sont ses études sur le système scolaire qui comptent parmi les plus célèbres. Des livres comme les Héritiers (1964) ou la Reproduction (1970), signés avec Jean-Claude Passeron (né en 1930), ont contribué à modifier radicalement la perception des fonctions de l’école, en mettant en évidence que, loin d’être une instance libératrice, celle-là joue un rôle essentiel dans la perpétuation, la reproduction et la légitimation des inégalités. « Si le sociologue a un rôle, ce serait plutôt de donner des armes que de donner des leçons » (Questions de sociologie).

Le « structuralisme génétique »

L’œuvre de Bourdieu est animée d’une profonde unité. Car chaque étude particulière porte la marque de la théorie générale du monde social qu’il a voulu élaborer. Son système, construit dans une discussion permanente avec les œuvres de Karl Marx, Émile Durkheim, Max Weber, ou, celles, plus récentes, de Claude Lévi-Strauss et Jean-Paul Sartre, est exposé dans des livres comme le Sens pratique (1980) et Méditations pascaliennes (1997). Il s’articule autour de deux concepts clés, celui de champ et celui d’habitus, que Bourdieu a forgés afin de sortir des oppositions entre société et individu, structuralisme et existentialisme, déterminisme et liberté.

Si le « champ » renvoie aux structures objectives du monde social, l’« habitus » désigne les structures corporelles et psychiques des individus. Selon Bourdieu, la sociologie doit étudier les interactions entre ces deux réalités, c’est-à-dire la manière dont les individus contribuent à façonner et à déterminer les structures matérielles qui contribuent elles-mêmes à les façonner et à les déterminer. C’est pourquoi Bourdieu préfère à la notion de « règle » celle de « stratégie », qui, selon lui, permet mieux de rendre compte du fait que les agents sociaux ne se contentent pas d’appliquer des règles préétablies et d’adopter des comportements prescrits, mais que, au contraire, ils travaillent activement à changer les règles du jeu social.

Insistant sur le fait qu’il porte une attention toute particulière à la façon dont les structures sociales se constituent et se transforment, Bourdieu affirme que c’est l’étiquette de « structuralisme génétique » qui convient le mieux pour désigner sa démarche (Choses dites, 1987).

L'implication scientifique et politique

Tout au long de sa vie, Bourdieu s’attelle à une politique scientifique dont le but est d’assurer la publication, la circulation et la diffusion de travaux français ou étrangers. Ainsi, il est éditeur : il fonde et dirige, de 1964 à 1992 aux Éditions de Minuit, la collection « Le sens commun », puis, de 1997 à 2002 aux Éditions du Seuil, la collection « Liber » ; en 1996, il crée la maison d’édition Raisons d’agir. Fondateur, en 1975, de la revue Actes de la recherche en sciences sociales, il en restera le directeur jusqu’à sa mort. Il animera également le Centre de sociologie européenne.

S’il manifeste parfois une certaine antipathie à l’égard de la figure de l’intellectuel engagé telle que Sartre l’incarne, Bourdieu n’en met pas moins, très souvent, son autorité et son prestige au service des causes et des luttes dont il se sent proche. Le volume Interventions, science sociale et action politique (2002) rassemble ses textes politiques écrits entre 1961 et 2001 en faveur, notamment, des sans-papiers, des homosexuels ou de la lutte contre le néolibéralisme.

Bourdieu ethnologue

On oublie souvent que Pierre Bourdieu ne fut pas seulement sociologue, mais aussi ethnologue et anthropologue. Son article de 1962, « Célibat et condition paysanne », puis ses Trois essais d’ethnologie kabyle (1972), qui analysent les relations de parenté et les stratégies matrimoniales respectivement dans son Béarn natal et en Kabylie, constituent des temps forts de sa carrière. C’est au cours de ces recherches, en effet, qu’il a construit ses principaux concepts, qu’il n’a cessé, par la suite, d’utiliser et de remanier. Ses travaux d’anthropologue sont célèbres dans le monde entier. C'est pourquoi, en 2000, Bourdieu a reçu la Huxley Memorial Medal du Royal Institute of Anthropology de Londres.