Ozu Yasujiro

Cinéaste japonais (Tokyo 1903-Tokyo 1963).

Méconnu de son vivant dans les pays occidentaux, Ozu Yazujiro ne fut découvert que vers la fin des années 1960 aux États-Unis et en Allemagne, et à la fin des années 1970 en France. Aux films d'époque, il préféra la peinture contemporaine d'un Japon divisé entre tradition et modernité.

Les comédies sociales douces-amères

Fils d'un marchand d'engrais, Ozu fait ses études universitaires à Tokyo. Engagé en 1922 aux studios Shochiku de Kamata (Tokyo), d'abord comme assistant opérateur, puis comme assistant réalisateur, il devient réalisateur en 1927 en tournant le Sabre de pénitence, le seul film historique de toute sa carrière (le sujet en est écrit par Noda Kogo [1893-1968], qui deviendra son scénariste attitré). Il tourne ensuite des comédies burlesques (la Citrouille, 1928 ; Un corps magnifique, id.), puis des films plus personnels (J'ai été diplômé, mais…, 1929 ; la Vie d'un employé de bureau, id.), représentatifs du genre populaire du shomin-geki, qui a pour sujet la vie quotidienne des petites gens.

À partir des années 1930, Ozu s'oriente vers la comédie sociale, où la contestation perce sous des dehors aimables (le Chœur de Tokyo, 1931). Dans Gosses de Tokyo (1932), il procède à une remise en question des valeurs morales de la société par le biais de la contestation enfantine. Fidèle à une thématique des rapports parents-enfants, il ne cesse d'en donner de subtiles variantes (Caprice passager, 1933 ; Histoire d'herbes flottantes, 1934). En 1936, il se résout à passer au cinéma parlant et signe Un fils unique.

Suit une période incertaine où Ozu, après avoir tourné une comédie satirique, Qu'est-ce que la dame a oublié ? (1937), passe deux ans dans l'armée impériale en Chine. De retour au Japon, il écrit un scénario qui, pour des raisons de censure, ne sera tourné, après modification, qu'en 1952 : le Goût du riz au thé vert. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il tourne les Frères et sœurs Toda (1941) et Il était un père (1942), film dans lequel l'acteur Chishu Ryu (1904-1993) tient un rôle essentiel pour la première fois depuis leur collaboration au temps du muet. Après avoir passé quelques années à Singapour, le cinéaste rentre au Japon en 1946 et y signe deux films mineurs : Récits d'un propriétaire (1947) et Une poule dans le vent (1948).

Une peinture subtile de la vie familiale

C'est en 1949 qu'Ozu entame réellement sa « renaissance » avec Printemps tardif, souvent considéré au Japon comme « le film le plus profondément japonais jamais réalisé » : à travers l'histoire d'une jeune femme qui consent à se marier pour ne pas déplaire à la volonté de son père veuf, l'auteur atteint à la quintessence de son art. Ce thème sera d'ailleurs repris en 1960 dans Fin d'automne, la mère s'y substituant au père. La description toute en nuances et « dédramatisée » de l'immuable famille japonaise, parfois menacée par la rapide évolution des mœurs qui suit la guerre, est menée à sa perfection dans Début d'été (1951), et surtout dans Voyage à Tokyo (1953), le film d'Ozu le plus célèbre à l'étranger.

Les dernières années de la carrière du cinéaste sont marquées par un très net ralentissement de son rythme de travail (un film par an, au mieux), par une sérénité mêlée d'amertume (Crépuscule à Tokyo, 1957), par la reprise de plusieurs succès antérieurs (Bonjour [1959] pour Gosses de Tokyo ; Herbes flottantes [id.] pour Histoire d'herbes flottantes ; Fin d'automne pour Printemps tardif), et par le passage à la couleur avec Fleurs d'équinoxe (1958), qui met encore l'accent sur les conflits de générations. Après une merveilleuse comédie satirique qui débouche pourtant sur la mort (l'Automne de la famille Kohayagawa, 1961), Ozu tourne le Goût du saké (1962), où, de nouveau, Chishu Ryu incarne un père veuf demeuré seul après le mariage de sa fille. Le cinéaste meurt le jour exact de son soixantième anniversaire, peu de temps après sa mère, avec qui il avait toujours vécu, ne s'étant jamais marié. Le public français devra attendre 1978 pour voir Voyage à Tokyo au cinéma. Wim Wenders, influencé par Ozu, lui consacrera un film en 1985, Tokyo-Ga.

Le maître du plan fixe

Dans la majeure partie de ses œuvres, Ozu usa de plans fixes pour filmer ses acteurs. Il plaçait pour cela sa caméra à hauteur d'homme accroupi sur un tatami. « Moi je n'aime pas regarder les gens d'en haut, disait-il. Ça revient à ça, quand on fait un plan en plongée. Voilà pourquoi il faut toujours que la caméra soit à l'horizontale. » Sans doute le cinéaste perfectionna-t-il cette technique pour traduire également l'humilité de personnages aux prises avec la réalité des contraintes familiales ou professionnelles.

Ozu concluait souvent ses plans fixes sur la vision d'un acteur immobile et muet. Ce faisant, non seulement il renforçait l'effet de lassitude ou de découragement, mais il matérialisait aussi le temps qui passe. Paradoxalement, c'est grâce à cette séquence silencieuse que le spectateur accédait à la vie intérieure du personnage.