Mizoguchi Kenji
Cinéaste japonais (Tokyo 1898-Kyoto 1956).
Universellement admiré, Mizoguchi Kenji réalisa près d'une centaine de films. Avec un grand sens esthétique de l'image et du décor, il expérimenta la technique du plan-séquence, qui contribua à sa renommée, et fut le principal artisan du renouveau du cinéma japonais.
Le nouveau maître du cinéma nippon
Fils de charpentier, Mizoguchi Kenji connaît une enfance difficile (sa sœur est vendue très jeune comme geisha, événement qui aura une énorme influence sur son œuvre). Après avoir pratiqué divers petits métiers, il quitte la maison paternelle à la suite du décès de sa mère (1915), puis trouve un emploi de dessinateur publicitaire à Kobe, où il s'installe en 1917. Rentré à Tokyo en 1920, il tente de devenir acteur, mais est bientôt contraint d'être assistant réalisateur. Trois ans plus tard, il débute dans la réalisation avec le Port aux brumes (d'après Eugene O'Neill) et 813. Une aventure d'Arsène Lupin (d'après Maurice Leblanc). Après le tremblement de terre du Kanto, en 1923, il s'installe à Kyoto, où il continue de tourner des adaptations littéraires, telle la Symphonie de la capitale, qui est mutilée par la censure gouvernementale, car s'y expriment des opinions progressistes.
Toutes les tendances de Mizoguchi – le réalisme social, l'onirisme, l'élaboration formelle, l'attention portée aux femmes – s'accentuent au début des années 1930. Le Fil blanc de la cascade (1933), Osen aux cigognes (1934) et Oyuki la Vierge (1935, adaptation de Boule de Suif de Maupassant) témoignent de la maturité de l'auteur et de la permanence de ses thèmes. Coup sur coup, en 1936, ce dernier tourne deux de ses films les plus importants : l'Élégie de Naniwa/l'Élégie d'Osaka et les Sœurs de Gion. Le sort cruel réservé aux prostituées par la société japonaise y est remarquablement analysé et filmé. Ces deux œuvres, plébiscitées par la critique et le public, sont pourtant condamnées par le régime militaire, et Mizoguchi se voit bientôt contraint de se « réfugier » dans le Japon du passé, tout en portant à la perfection son style et sa technique du plan-séquence (les Contes des chrysanthèmes tardifs, 1939). Mais c'est dans une superproduction historique, les 47 Ronin (1941-1942), que cette technique va triompher.
Un observateur du Japon contemporain
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Mizoguchi réalise quelques-uns de ses films les plus « engagés », socialement et politiquement. Sous sa direction, Tanaka Kinuyo (1909-1977) – qu'il a fait tourner en 1940 dans la Femme d'Osaka et qui deviendra son actrice fétiche – incarne la « nouvelle femme japonaise », volontaire et idéaliste, dans un pays démocratisé à l'américaine (la Victoire des femmes, 1946 ; l'Amour de l'actrice Sumako, 1947 ; Femmes de la nuit, 1948 ; Flamme de mon amour, 1949). Le cinéaste trouve ensuite un nouvel équilibre entre son art et ses préoccupations sociales, avec le Destin de Mme Yuki (1950), qui contient l'admirable séquence finale du suicide de l'héroïne.
Après deux adaptations notables de Tanizaki Junichiro, dans Mademoiselle Oyu (1951), et de Shohei Ooka (1909-1988), dans la Dame de Musashino (id.), Mizoguchi donne à Tanaka Kinuyo ce qui demeure sans doute son rôle le plus beau : celui d'Oharu dans la Vie d'Oharu femme galante (1952). Ce film est suivi des œuvres les plus connues du cinéaste : les Contes de la lune vague après la pluie (1953), l'Intendant Sansho (1954), les Amants crucifiés (id.) – ainsi que le Héros sacrilège (1955) et l'Impératrice Yang-Kwei-Fei (id.), ses deux seules réalisations en couleurs.
Dans tous ces films, sous les apparences chatoyantes de la reconstitution historique, l'auteur dénonce les prolongements du système féodal dans le Japon contemporain. Il procède d'ailleurs à la même critique, mais de manière encore plus directe, dans les Musiciens de Gion (1953), Une femme dont on parle (1954) et la Rue de la honte (1956), vision amère et pessimiste des ravages de la prostitution au moment où son abolition est discutée par le gouvernement. Miné par la leucémie, Mizoguchi meurt alors qu'il prépare Histoire d'Osaka, qui sera tournée en 1957 par son élève Kozaburo Yoshimura (1911-2000).