Ludwig Boltzmann
Physicien et philosophe des sciences autrichien (Vienne 1844-Duino, près de Trieste, 1906).
Créateur, avec James Clerk Maxwell, de la théorie cinétique des gaz, il a été à la fois l'un des derniers représentants de la physique classique et l'un des pionniers de la physique moderne, ouvrant la voie aux travaux de Planck sur les quanta, et à ceux d'Einstein sur le mouvement brownien.
Probabilités et thermodynamique
Fils d'un percepteur, Ludwig Boltzmann passe une enfance et une adolescence sans souci. Particulièrement intéressé par la nature, il collectionne les papillons et les plantes. À l'université de Vienne, où il entre en 1863 pour étudier la physique, il est l'élève de Josef Stefan et rencontre Joseph Loschmidt, qui, tous deux, influenceront beaucoup ses premiers travaux. Après son doctorat (1867), il est pendant deux ans l'assistant de Stefan. Puis il embrasse une carrière de professeur de physique et de mathématiques qui le conduira de l'université de Graz à celles de Munich, Leipzig et Vienne. Parallèlement, ses travaux de recherche l'amènent à rapprocher probabilités et thermodynamique. À l'époque, un abîme sépare la mécanique classique de la thermodynamique, dont le deuxième principe met en jeu des transformations irréversibles. Pour le combler, Boltzmann introduit une conception statistique des phénomènes naturels, qui le conduit à édifier la théorie cinétique des gaz.
Boltzmann étudie aussi le problème de l'évolution des gaz vers l'état d'équilibre. Il tente de montrer, grâce à la théorie cinétique, qu'un gaz évolue spontanément vers cet état d'équilibre. En s'appuyant sur les travaux de Rudolf Clausius et de James Clerk Maxwell, il établit, en 1871, la répartition statistique de l'énergie dans un système à l'équilibre : il définit une fonction, dite H, caractéristique de l'état d'un gaz enfermé dans un récipient fixe à un instant donné, et montre que cette fonction est décroissante avec un minimum correspondant à l'équilibre statistique. On lui objecte alors ce paradoxe : comment des calculs fondés sur des phénomènes réversibles de la mécanique newtonienne peuvent-ils conduire à une évolution irréversible en thermodynamique ? Pour résoudre le problème, Boltzmann commence par soutenir que l'évolution inverse est si peu probable qu'elle devient pratiquement impossible. Puis, en 1877, il propose une interprétation probabiliste de l'entropie, montrant qu'une entropie croissante correspond au passage d'un état initial improbable à un état final plus probable. Cette théorie se traduit par la formule S = k log Ω (gravée sur sa tombe), qui exprime l'entropie S en fonction du nombre Ω des états d'énergie équiprobables possibles ; k est un facteur de proportionnalité que Max Planck nommera constante de Boltzmann. C'est l'une des constantes fondamentales de la physique ; elle intervient dans les formulations statistiques de la physique tant classique que quantique ; elle est égale au quotient de la constante des gaz parfaits par le nombre d'Avogadro. À l'actif de Boltzmann figure encore, en 1884, la démonstration théorique de la loi du rayonnement du corps noir (reliant la puissance rayonnée à la température) établie empiriquement quelques années plus tôt par J. Stefan.
Sous le feu de la critique
À l'aube du xxe s., Boltzmann, convaincu de la validité de l'hypothèse de l'existence des atomes, doit affronter les critiques virulentes des opposants à cette théorie et des partisans du phénoménisme, tels le physicien Ernst Mach ou le chimiste Wilhelm Ostwald. Très affecté par ces controverses et le rejet de ses idées scientifiques, il traverse des crises de dépression. Cinq ans après une première tentative de suicide, en 1901, à Leipzig, il se pend lors de vacances avec sa famille, près de Trieste. Par une cruelle ironie du sort, les conceptions qu'il a défendues sans parvenir à les imposer vont triompher dans les années qui suivent immédiatement sa mort.
Boltzmann philosophe
Bien que Boltzmann ne se soit jamais considéré comme philosophe, il faut mentionner sa contribution à la philosophie des sciences, qu'il enseigna à Vienne à partir de 1902, en remplacement d'Ernst Mach, avec un grand succès public. Rejetant la métaphysique de Hegel ou de Schopenhauer, qu'il jugeait stérile, il estimait que la philosophie doit permettre d'élaborer concrètement de nouvelles voies d'investigation du savoir, en particulier du savoir scientifique.
On admet généralement qu'il a anticipé à la fois certaines des idées de base de l'épistémologie de Karl Popper – en particulier la conception évolutionniste de la théorie de la connaissance, appuyée sur le darwinisme, dont il était un adepte fervent – et certains aspects de la théorie des révolutions scientifiques de Thomas Kuhn.