Lester Willis Young
surnommé Prez (« le Président »)
Saxophoniste ténor clarinettiste et compositeur de jazz américain (Woodville 1909-New York 1959).
De 1936 à 1940, improvisateur totalement neuf, il annonça la révolution bop à venir et symbolisa le passage du jazz classique au jazz moderne. Son influence auprès des saxophonistes (de Charlie Parker à Stan Getz) fut immense. Parmi ses enregistrements, citons : Every Tub (avec Count Basie, 1937), These Foolish Things (1945), Jumpin'with Symphony Kid (1947), L. Y. in Paris (1959).
Plus que tout autre, Lester Young aura apporté au jazz « une totale décontraction dans l'acte de création spontanée ; cette décontraction a pu être parfois plus apparente que réelle ; quelques-uns pensent qu'en certaines occasions, dans les dernières années de sa vie, elle a pu se muer en résignation » ; c'est ainsi que le critique Nat Hentoff définit une des caractéristiques essentielles de cet initiateur du jazz cool (on le crédite de l'expression), stylistiquement en opposition à celui pratiqué par les saxophonistes des années 1930, et dont Coleman Hawkins représente l'archétype.
Solitaire, au comportement bizarre (l'instrument tenu à quarante-cinq degrés, sa prédilection pour un chapeau plat à large bord, la parcimonie et l'originalité du langage parlé), il fut celui par qui le jazz moderne se profila, puisque, d'une certaine manière, Charlie Parker et certains boppers ne furent pas insensibles à son discours (celui de la période 1935-1940) et qu'ensuite toute une génération de musiciens en réaction contre le be-bop reconnut en lui le précurseur du mouvement cool et du jazz West Coast.
Alternant de différentes manières des phrases gorgées de notes et des passages dépouillés, bouleversant les conceptions rythmiques et les notions de swing en estompant les différences entre temps forts et faibles, débarrassant la mélodie de la tyrannie de l'accord, il entretient des rapports nouveaux avec les thèmes dont il aime « raconter l'histoire ». Il n'en prend pas moins une certaine distance avec l'émotion, alors que transparaissent délicatement son lyrisme intérieur, sa conception intimiste de la musique comme s'il était étranger à sa propre création. Aux antipodes du « gros son » à la mode, il propose une sonorité détimbrée et un vibrato parfois imperceptible en donnant l'impression de jouer du bout des lèvres.
Entre 1936 et 1940, les disques enregistrés avec l'orchestre de Count Basie (Tickle Toe, Every Tub, One O'Clock Jump …) consacrent sa réputation. Mobilisé en 1944, il ne se remettra jamais de son séjour à l'armée. Au cours des sessions Aladin (1945-1948), il grave quelques-unes de ses plus belles interprétations et élargit ensuite son auditoire au cours des tournées du JATP (1946-1950), puis joue en free-lance, tout en venant souvent en Europe à partir de 1952. Il mourra quelques jours après son dernier engagement au Blue Note à Paris, après avoir enregistré des disques d'une infinie et insoutenable tristesse. Le film de Bertrand Tavernier Autour de minuit (1986) retrace la fin de la vie d'un musicien inspirée par la sienne et celle de Bud Powell.