Jean-Antoine Houdon
Sculpteur français (Versailles 1741-Paris 1828).
La vie
S'il était besoin de prouver que l'on peut être un artiste de génie en menant une existence parfaitement rangée, en défendant âprement ses intérêts matériels et en manifestant un opportunisme tempéré d'indifférence à l'égard des événements politiques de son temps, la vie de Jean Antoine Houdon suffirait à en apporter la preuve.
Le fait que son père ait occupé l'emploi modeste de concierge à l'École royale des élèves protégés facilita sans doute ses débuts : élève de l'Académie royale avant d'avoir quinze ans, pensionnaire de l'École des élèves protégés (1761-1764), puis de l'Académie de France à Rome (1764-1768), agréé à l'Académie royale en 1769, il fut reçu membre de cette dernière en 1777 sur présentation de son Morphée (Louvre). Si, en 1793, il fut parmi les premiers à renoncer spontanément à son titre et à ses privilèges académiques, il fut élu membre du nouvel Institut dès 1795 et présenta avec succès sa candidature à l'ordre de la Légion d'honneur dès 1803. Ni ses deux voyages en Allemagne (1771 et 1773), ni son voyage aux États-Unis (1785), ni son mariage (1786), ni même la tourmente révolutionnaire ne perturbèrent son activité créatrice, dont la manifestation la plus visible fut la régularité avec laquelle il exposa aux Salons : de 1769 à 1795 il présenta tous les deux ans un nombre assez important de sculptures. Par la suite, ses envois, moins considérables, furent aussi moins réguliers et cessèrent après 1814 : une certaine incompréhension de la part du public, dont les goûts avaient changé, une fortune amplement suffisante et surtout la fatigue de l'âge le firent peu à peu renoncer à toute activité.
L'œuvre
Houdon est essentiellement connu comme portraitiste, et il est vrai que certains de ses bustes occupent une place éminente dans l'histoire de la sculpture universelle. Il est probable, cependant, que l'artiste, lorsqu'il revint, tout jeune encore, de son séjour à Rome, avait de tout autres ambitions : il en rapportait le modèle du célèbre Saint Bruno (Rome, Santa Maria degli Angeli), qui marquait une véritable rupture dans la conception de la sculpture religieuse, et le non moins célèbre Écorché (musée Bouchard, Paris), où se manifestait clairement un désir de prendre ses distances avec la grâce facile de la sculpture rocaille. Et, dans un certain nombre d'œuvres, Houdon s'affirme clairement comme le champion précoce d'un néoclassicisme tempéré : ainsi dans ses monuments funéraires (monuments Galitzine, 1773, Moscou, monastère de l'Épiphanie ; mausolée du Comte d'Ennery, 1777, Louvre) ou dans certaines statues comme la Vestale (New York, Metropolitan Museum) et surtout la Diane chasseresse (marbre, 1781, Lisbonne, fondation Gulbenkian ; bronzes : 1782, San Marino, Californie, et 1784, Louvre).
Houdon ne bénéficia guère du mécénat royal : en dehors de la statue du Maréchal de Tourville (1781, Versailles) et du buste du Prince Henri de Prusse (bronze, 1789, Potsdam), on ne peut guère citer que quelques commandes mineures émanant de l'administration des Menus Plaisirs. C'est pourquoi Houdon rechercha la clientèle de riches particuliers (l'Été et l'Hiver, dit aussi la Frileuse, commandés par M. de Saint-Waast, marbres, 1781, Montpellier) et, de même qu'à Rome il s'était fait sculpteur religieux, il devint à Paris portraitiste : tout ce que la société parisienne de la fin du xviiie s. compta comme célébrités fut immortalisé par ses soins ; on trouve dans cette galerie le roi et plusieurs membres de la famille royale (Madame Adélaïde, Madame Victoire ; mais, contrairement à une légende tenace, il n'existe pas de buste de Marie-Antoinette par Houdon), des membres de la noblesse (le duc de Choiseul, le duc de Nivernais, le bailli de Suffren), des femmes du monde (la comtesse de Sabran, la comtesse de Jaucourt), des « philosophes » (Diderot, d'Alembert, Voltaire, Rousseau, Buffon, Condorcet), des hommes politiques (Necker, La Fayette), des gens de théâtre (Gluck, l'acteur de Larive, Sophie Arnould, Mlle Olivier) et un grand nombre d'étrangers qui séjournèrent à Paris, tel B. Franklin. Il faut noter que beaucoup de ces bustes sont connus en plusieurs exemplaires, correspondant aux différentes étapes de la création : terres cuites modelées ; plâtres originaux ; plâtres et terres cuites d'atelier ; marbres, dont beaucoup exécutés par des praticiens travaillant sous la direction de Houdon ; bronzes enfin, dont les plus beaux furent fondus dans la fonderie personnelle de l'artiste, à l'ancienne « barrière du Roule ». Dans certains cas, Houdon proposait à sa clientèle deux versions d'un même buste, l'une en costume moderne, l'autre à l'antique. Et l'on retrouve dans cette pratique l'opportunisme inhérent à la personnalité du sculpteur : il joua à la fois la carte de la tradition française et celle du style néoclassique, comme il n'hésita pas, sous la Révolution, à transformer en Philosophie une Sainte Eustochie commandée pour le dôme des Invalides et, en 1815, à donner des conseils pour le rétablissement de la statue d'Henri IV sur le Pont-Neuf, au moment même où Louis XVIII faisait abattre sa dernière œuvre importante, la statue de l'Empereur, placée sur la colonne de la Grande Armée à Boulogne.
En fait, et quoiqu'il ait affirmé avoir surtout étudié l'anatomie et la technique de la fonte, Houdon s'est essentiellement attaché aux problèmes posés par le rendu du visage humain, dans toute la subtilité de son regard et de son expression. Cette vérité dans le portrait psychologique lui valut les succès les plus flatteurs : ainsi le célèbre Voltaire assis (Paris, Comédie-Française), dont Catherine II voulut avoir une réplique, ou la statue pédestre de George Washington (Richmond, Capitole). Mais peut-être ce don est-il plus sensible encore dans des effigies plus familières : celle de sa femme (Louvre), de ses trois filles ou des enfants de son ami Alexandre Brongniart (terres cuites, Louvre ; marbres, Washington). Dans ces œuvres, au-delà de toute convention et sans autre moyen que la perfection du modelé, la matière semble s'animer et capter la vie même du modèle.