Eduardo Mendoza

Écrivain espagnol (Barcelone 1943).

Un précurseur du postmodernisme espagnol

Eduardo Mendoza, fils d’un magistrat et d’une femme au foyer, grandit au milieu des livres, mais rêve de devenir toréador, explorateur ou capitaine de bateau. Il suit sa scolarité chez les frères maristes et entreprend des études de droit en 1960 à Barcelone, ville qui devient l’un des personnages principaux de ses œuvres à venir. À la fin de ses études, en 1965, il voyage en Europe, et obtient en 1966 une bourse pour étudier la sociologie à Londres. Là, il passe le plus clair de son temps à lire et à écrire. À son retour, il commence une carrière d’avocat, pratiquant avec délectation le langage juridique et bureaucratique qui lui inspirera de truculentes parodies. En 1973, engagé comme traducteur à l’ONU, il s’envole pour New York.

En 1975 paraît son premier ouvrage, la Vérité sur l'affaire Savolta (d’abord intitulé les Soldats de Cataluña), qui prend pour trame historique les attentats anarchistes de 1917-1919. L’ouvrage est censuré par le régime franquiste mais quelques mois plus tard après la mort de Franco en novembre 1975, le livre est considéré comme le premier roman marquant de la transition entre la dictature et la démocratie, et comme un ouvrage littéraire précurseur du changement qui s’opère alors dans la société espagnole. Aujourd’hui, la Vérité sur l'affaire Savolta est, selon les critiques, l’un des premiers romans du postmodernisme espagnol, qui veut en finir avec l’innovation à tout prix, en réhabilitant les grands courants littéraires, les mélangeant, les parodiant, afin d’affirmer la mort du roman et appeler, selon les propres mots de l’auteur, à un « suicide littéraire ». Le succès est immédiat et le roman reçoit en 1976 le prix de la Critique. Depuis 1982, Eduardo Mendoza vit, à Barcelone, de plusieurs missions de traductions simultanées, de cours de traduction et d’interprétariat ainsi que de sa plume.

Le bouleversement parodique des genres

L’originalité du style d’Eduardo Mendoza s’affirme dès son premier ouvrage, qui renouvelle le genre romanesque espagnol par des enchâssements et entremêlements de voix narratives, par une structure complexe et fracturée, par de nombreuses digressions, qui demandent au lecteur de reconstituer lui-même la trame diégétique. De plus l’auteur jongle avec les différents genres littéraires en les pervertissant et les mêlant à l’envi. Sous l’apparence du roman policier ou de science-fiction, ses ouvrages tiennent du roman historique (notamment l’histoire de la Catalogne et de Barcelone), de l’épique, du picaresque, du roman noir ou gothique, du roman sentimental ou du roman politique.

Son style varie également de l’emphase à la vulgarité, juxtaposant les registres de langue, du plus précieux au plus cru et au plus plat. Son œuvre, originale et souvent loufoque, est également caractérisée par un ton parodique où le grotesque et l’ironie se jouent des codes. Par exemple, la trilogie du détective « sans nom » sorti tout droit de l’asile de fous (le Mystère de la crypte ensorcelée, 1979 ; le Labyrinthe des olives, 1982 ; l’Artiste des dames, 2001, prix du meilleur livre à la foire du livre de Madrid en 2002) bouscule les genres (roman noir, gothique, historique), fait du narrateur un anti-héros (ou « anti-picaro ») et critique la société avec habileté et mordant.

Des petits destins au service de la critique du franquisme et des prémices de la démocratie espagnole

Eduardo Mendoza, entre sociologie et histoire, dépeint la société espagnole du xxe siècle. En 1986 paraît la Ville des prodiges (prix de la ville de Barcelone, 1987 ; prix du meilleur livre de l’année du magazine français Lire ; adapté au cinéma en 1999 par Mario Camus), roman ambitieux qui, du roman picaresque et initiatique au roman historique, du roman social au roman engagé, dénonce la dictature et les extrémismes, sans perdre le fil parodique propre à l’œuvre. Dans la même lignée que les autres ouvrages, l’Île enchantée (1989) mêle les genres (roman sentimental et récit de voyage) tout en les bousculant avec ironie. D’abord sous forme de feuilleton pour El País (1990), puis retravaillé pour une édition (1991), Sans nouvelles de Gurb est un ovni littéraire, comme d'ailleurs son personnage principal, un extra-terrestre commentant dans un long monologue son voyage sur Terre, près de Barcelone. Entre humour et dénonciation, Eduardo Mendoza y dépeint les travers de la société catalane.

Dans la même lignée de science-fiction paraît le Dernier Voyage d'Horatio II, également publié en feuilleton (1991) puis en livre (1992). L’Année du déluge (1992 ; prix littéraire des lectrices de Elle en 1993 ; adapté au cinéma par Jaime Chávarri en 1999) dénonce l’Église et le pouvoir dans une relecture audacieuse du mythe de Don Juan. Une légère comédie (1996, prix français du Meilleur livre étranger en 1998), d’un ton plus sérieux que les autres livres, décrit le quotidien de la société en 1948 et la machine implacable du régime franquiste. Mauricio ou les Élections sentimentales (2007, prix de la Fondation José Manuel Lara) traite quant à lui du destin d’un homme dans les années 1980 à Barcelone, entre politique, société, sexualité et sida. Avec les Aventures miraculeuses de Pomponius Flatus (2008), l’auteur s’inspire de l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien et nous emmène, le sourire aux lèvres, non plus à Barcelone mais à Nazareth, où un petit Jésus, enfant particulièrement précoce, demande à un certain Pomponius de mener une enquête pour disculper son père Joseph d’un meurtre qu’il n’a pas commis.

Eduardo Mendoza a également écrit des essais (Barcelona modernista, 1989 ; Baroja, la contradicción, 2002), des pièces de théâtre (Restauració, 1990 ; Gloria, 2008). Le journaliste Llàtzer Moix lui a consacré un ouvrage en 2006.