Dmitri Dmitrievitch Chostakovitch
Compositeur soviétique (Saint-Pétersbourg 1906-Moscou 1975).
Révélant toute la puissance de sa musique dans la symphonie et le quatuor, Dmitri Chostakovitch régénéra la tradition classique russe tout en offrant l'exemple même du génie créateur pris en otage par l'idéologie.
Les affres du musicien « officiel »
Dmitri Chostakovitch appartient à une famille originaire de Sibérie, où son grand-père paternel, révolutionnaire polonais, avait été déporté. Son père, collaborateur du chimiste Mendeleïev, est aussi chanteur ; sa mère, pianiste professionnelle, veille à l'éducation musicale de ses trois enfants. Dmitri entre à 13 ans au conservatoire de sa ville natale devenue Petrograd. En 1922, il y obtiendra la note maximale en épreuve de composition de la part du directeur de l'établissement, Aleksandr Glazounov. Ses Danses fantastiques pour piano (1922), puis sa Symphonie n° 1 (1925) attestent la précocité de son talent.
Au pays des soviets, les jeunes compositeurs se partagent entre un courant « prolétaire » et un courant qui se veut proche de l'avant-garde occidentale. Chostakovitch, qui aime par-dessus tout Bach et Beethoven, admire aussi Berg, Schoenberg et Stravinsky ou Hindemith. Œuvres de circonstance, sa Symphonie n° 2, dite « Octobre » (1927), et sa Symphonie n° 3, dite « le 1er Mai » (1930), vont faire de lui l'un des musiciens officiels du régime. C'est aussi l'époque où il se met à la musique de scène (notamment pour Maïakovski) et à la musique de film. Son rêve est de donner vie à une nouvelle forme de spectacle : le « ciné-opéra ». En fait, il en reste à l'opéra et fait représenter Lady Macbeth de Mzensk, qui va déclencher les foudres staliniennes.
Accusé de « modernisme », Chostakovitch est également frappé de disgrâce à cause de sa Symphonie n° 4 (1935-1936), alors que l'on encense sa Symphonie n° 5 (1937) et surtout sa Symphonie n° 7, dite « Leningrad » (1941) – dont lui-même dira : « J'ai voulu traduire la signification profonde des événements dont j'ai été le témoin ». De nouveau condamné au moment de sa Symphonie n° 9 (1945), qui s'écarte des normes du « réalisme socialiste », il devra à plusieurs reprises faire son autocritique. Sa Symphonie n° 13 (1962) lui permettra de régler ses comptes avec le totalitarisme par le biais de poèmes de Evgueni Aleksandrovitch Evtouchenko et, en même temps, de dénoncer la condition faite aux Juifs d'URSS. La déstalinisation aidant, on lui décernera, en 1966, le titre devenu ambigu de « héros du travail socialiste ».
Les composantes de l'œuvre
L'essentiel de l'œuvre comprend : les 15 symphonies (le projet de Chostakovitch ayant été d'en écrire 24) et les 6 concertos (2 pour violon, 2 pour violoncelle, 2 pour piano [dont un avec trompette]) ; les 15 quatuors à cordes et les 5 sonates – parmi de nombreuses pièces de musique de chambre ; les 3 opéras (le Nez, d'après Gogol, 1928 ; Lady Macbeth de Mzensk ou Katerina Izmaïlova, d'après Leskov, créé en 1934 et révisé en 1962 ; les Joueurs, d'après Gogol, 1941 [inachevé]), les 3 ballets (l'Âge d'or, 1929-1930 ; le Boulon, 1930-1931 ; le Clair-Ruisseau, 1934-1935), l'oratorio le Chant des forêts (1949) et plusieurs cycles mélodiques (1960-1975). Chostakovitch a également travaillé sur l'orchestration des opéras de Moussorgski Boris Godounov(1940) et la Khovanchtchina (1959).
Cette œuvre est, fondamentalement, celle d'un musicien résolu à n'écouter que les voix de la Russie éternelle, élaborant un langage très personnel qui reste fidèle, dans l'ensemble, au système tonal. Surtout dramatique et solennel, son art peut aussi se faire satirique (nombreux scherzos, ballet l'Âge d'or). Dans sa Symphonie n° 14 (1969), Chostakovitch nous fait partager son questionnement philosophique sur la vie, la solitude, la mort, par le truchement de grands poètes (García Lorca, Apollinaire, Rilke…). Dans sa Symphonie n° 15 (1971), il exprime la sérénité à laquelle est parvenu un homme cependant miné par une maladie cardiaque. C'est peu de jours avant sa mort qu'il achève sa Sonate pour alto et piano.
Les mauvais sujets du stalinisme
Époque noire pour l’art que celle où il devient affaire de ligne politique ! Ce fut le cas en URSS, où Jdanov, l’âme damnée de Staline, était à la fois ministre de la Police et de la Culture. Après avoir mis au pas peintres et écrivains, il s’attaqua aux musiciens en 1948. Dmitri Chostakovitch et Sergueï Prokofiev, l’un et l’autre artistes novateurs, partagèrent alors le même sort : accusés d’avoir donné dans le formalisme, ils furent mis à l’index. En cette époque de purges qui menaient directement au goulag, Chostakovitch échappa de peu à la déportation en 1936. Traité d’« ennemi du peuple » au lendemain d’une représentation, en présence de Staline, de son opéra Lady Macbeth de Mzensk, il dut son salut au fait que l’officier chargé d’instruire son dossier avait été exécuté avant de procéder à son deuxième interrogatoire…