Charles Mingus

Contrebassiste, pianiste, compositeur et chef d'orchestre de jazz (Nogales, Arizona, 1922-Cuernavaca, Mexique, 1979).

Il travailla avec Art Tatum, Louis Armstrong, Lionel Hampton, et participa activement à la révolution du bop. En 1956, il forma son premier « Jazz Workshop », un atelier musical qui vit éclore une multitude de jeunes talents. Sa période la plus féconde (1959-1965) culmina en 1960 grâce, notamment, à sa rencontre avec le saxophoniste Eric Dolphy. Parmi ses enregistrements, citons : Pithecanthropus Erectus (1956), Blues and Roots (1959), Ah Hum (1959), The Black Saint and The Sinner Lady (1963), The Great Concert of Charles Mingus (Paris, 1964).

Son apport considérable en tant que compositeur et chef d'orchestre a un peu éclipsé le formidable contrebassiste qu'a été Mingus dès les premières années de la révolution be-bop.

Nombreuses sont les innovations techniques qu'il a apportées à l'instrument : trémolos, traits de flamenco, une façon unique de pincer la corde en la malaxant…

Sa sonorité énorme et agressive, son jeu « slappé », ultrasyncopé et presque rageur sont comme un écho symbolique de sa révolte radicale contre le racisme. Le choix même de son instrument est le résultat de cette « condition inhumaine » qui est encore celle des Noirs américains de sa génération, et que dénoncera son autobiographie sous le titre Moins qu'un chien (Beneath the Underdog). En effet, bien qu'il ait déjà une solide formation de violoncelliste, son ami le tromboniste Britt Woodman lui fait comprendre que sa couleur n'est guère appréciée dans les orchestres classiques, et, un peu à contrecœur, il opte pour la contrebasse, qu'il étudie avec Red Callender.

Son enfance dans le bouillant ghetto de Watts (Los Angeles) lui a déjà valu les trois coups de foudre musicaux qui, ensemble, vont déterminer son destin : au collège, il découvre la musique de chambre romantique et surtout Bela Bartók ; à l'église (la Holiness Church), sa belle-mère l'initie aux formes les plus authentiques et cathartiques du gospel ; à la radio, il n'a pas dix ans lorsqu'émerveillé il entend pour la première fois Ellington.

Peu après ses débuts avec Buddy Collette et Lee Young (le frère de Lester), Mingus devient le bassiste d'Armstrong (1941-1943), qui le renverra pour ses propos anti-ségrégationnistes au cours d'une tournée dans le Sud. Il joue avec Kid Ory, puis entre dans le big band de Hampton (1946-1948), pour qui il signe ses premiers arrangements (Mingus Fingers).

Entre-temps, il suit passionnément l'évolution d'Ellington et de ses bassistes successifs, Blanton et Pettiford. Il joue occasionnellement avec Art Tatum, Fats Navarro- qui lui fait découvrir la musique afro-cubaine-, Charlie Parker- qui le dissuade de quitter la musique pour un emploi de postier- et son ami Max Roach, avec qui il fonde la marque de disques Debut.

Il quitte au bout d'un an le populaire trio de Red Norvo et Tal Farlow, indigné d'avoir été remplacé par un Blanc lors d'une émission télévisée. C'est alors sa consécration historique, le légendaire concert au Massey Hall de Toronto (1953), puis la fondation d'une coopérative de musiciens, le Jazz Composers'Workshop, suivie de la formation de son propre quintette, le Jazz Workshop (1955).

Mingus s'affirme, en tant que leader, comme le disciple le plus créatif d'Ellington, chez qui il a passé quelques mois en 1953, avec qui il gravera en trio le formidable Money Jungle (1962, avec Max Roach) et dont il radicalise les conceptions orchestrales : à l'instar de ce maître vénéré, il conçoit des œuvres ouvertes, où chaque partie magnifie la personnalité du soliste ; mais, en même temps, il y aménage de longues transitions où la polyphonie spontanée se donne libre cours, un peu comme chez Jelly Roll Morton, mais avec une nette tendance atonale.

Sa prédilection pour les variations inattendues de tempo, les alternances de mesures paires et impaires, les passages a-rythmiques et presque cacophoniques coupés courts par une brusque et impeccable reprise du thème et du tempo : tout est chez lui déconcertant, et pourtant magnifiquement concertant.

À partir de la fin des années 1950, le nom de Mingus incarne dans le jazz moderne un courant de plus en plus distinct du mainstream représenté par les Jazz Messengers ou Miles Davis, et qui débouchera sur le free jazz tout en mobilisant une part du « troisième courant ».

L'univers mingusien intègre parfaitement les plus fortes personnalités : Dannie Richmond (son batteur inamovible dès 1957), Roland Kirk, Jackie McLean, John Handy, Jimmy Knepper, Eric Dolphy, George Adams… L'instrumentation y est très diversifiée, du solo de piano (que Mingus pratique en maître) au big band incluant jusqu'à trois batteurs, six saxophones, des bois, etc., en passant par toute la gamme des « combos ». De Pithecanthropus Erectus (1956) à Goodbye Porkpie Hat (1974) en passant par les Fables of Faubus (1960), « dédiées » au sénateur raciste de l'Arkansas et longtemps censurées par CBS, ses disques reconstituent la houleuse ambiance de ses concerts/happenings, et exaltent le continuum de la culture afro-américaine, du blues au free jazz.

Après des années d'ostracisme, le créateur du festival « off » de Newport (1960) finira par mériter, un an avant sa mort, un hommage officiel, présidé par Jimmy Carter. Ses cendres seront dispersées dans le Gange, mais son œuvre sera perpétuée par le groupe Mingus Dynasty, qui réunit la plupart des survivants de sa fabuleuse équipée.

  • 1956 Pithecanthropus Erectus, morceau de C. Mingus.
  • 1974 Changes, œuvre de jazz de Ch. Mingus.