Bertrand Tavernier
Cinéaste français (Lyon 1941-Sainte-Maxime 2021).
L’influence américaine
Fils de l'écrivain René Tavernier (1915-1989), il abandonne des études de droit pour se consacrer à la critique de cinéma et œuvre en particulier pour célébrer le talent de cinéastes américains : Losey, Boetticher, Walsh, Ulmer ou Parrish (Amis américains : entretiens avec les grands auteurs d’Hollywood, 1993, 2008). Chargé de presse de Georges de Beauregard, il se voit offrir par celui-ci l'opportunité de réaliser deux sketches pour des films à sketches : Baiser de Judas dans les Baisers (en collaboration avec Bernard T. Michel, C. Berri, Jean-François Hauduroy, Charles Bitsch, 1963) et Une chance explosive dans la Chance et l'Amour (en collaboration avec Berri, Bitsch, Éric Schlumberger, 1964), où il essaie de retrouver le ton et la facture du cinéma américain.
Attaché de presse indépendant jusqu'en 1972, il accomplit un grand travail pour faire mieux connaître des réalisateurs de qualité, participe à plusieurs ouvrages collectifs, dont le fameux Trente Ans de cinéma américain (en collaboration avec J.-P. Coursodon, puis 50 ans de cinéma américain, id., 1991), et aux scénarios de deux films d'action : Coplan ouvre le feu à Mexico (R. Freda, 1967) et Capitaine Singrid (Jean Leduc, 1968).
Un cinéaste socialement engagé
Son premier long métrage, adapté de Simenon, l'Horloger de Saint-Paul (1974), témoigne d'une attention très sûre aux lieux où il situe son action (Lyon et sa banlieue) et d'une grande finesse dans la peinture des rapports complexes entre les personnages ; d'un schématisme démonstratif aussi, dont il ne se départira jamais tout à fait. Que la fête commence (1975) est une œuvre foisonnante et ambitieuse, une des plus passionnantes réflexions sur l'histoire et les forces qui la parcourent. L'année suivante, un nouveau film historique : le Juge et l'Assassin, s'appuie sur un cas clinique de folie criminelle au xixe siècle pour explorer ce qui semble bien constituer la préoccupation majeure de Tavernier : la fascination réciproque de personnages que tout oppose et l'irréductibilité des barrières sociales.
Des enfants gâtés (1977), situé de nouveau dans la France contemporaine, tente de renouveler cette thématique en réconciliant structures commerciales et cinéma « d'intervention sociale ». Après la Mort en direct (1980), passionnante réflexion sur le cinéma et le voyeurisme qui utilise remarquablement le décor naturel de Glasgow, il revient à Lyon pour Une semaine de vacances (id.) avant de retrouver Jean Aurenche et Philippe Noiret, respectivement scénariste et interprète principal de ses trois premiers films, dans Coup de torchon (1981), où il se réfère avec affection au cinéma français des années 1930 pour développer de façon surprenante et pleine d'humour une composante mystique qui affleurait déjà dans les films précédents.
Un dimanche à la campagne (1984) est un film où le climat psychologique et la force des regards jouent le rôle essentiel. S'inspirant des vies de Bud Powell et de Lester Young, il réalise en 1986 Autour de minuit, film crépusculaire sur l'amitié d'un vieux jazzman fatigué et d'un jeune Français, hommage au jazz et aux jazzmen. La Passion Béatrice (1987), à travers les réactions violentes d'une famille déchirée par les drames intimes, les trahisons, la perte du sens de l'honneur, décrit les décadences d'une époque, celle d'un Moyen Âge de moins en moins chevaleresque. Mais le film est incompris et s'avère un échec.
Tavernier retrouve son inspiration – et son public – en signant la Vie et rien d'autre (1989), brûlot contre l'absurdité de la guerre. L'auteur, qui situe son action en 1920, brosse le portrait de trois destins qui se croisent : un commandant méticuleux (Philippe Noiret) chargé de recenser les tués et les disparus de la guerre de 14-18 et deux femmes à la recherche l'une de son fiancé, l'autre de son mari, l'un et l'autre emportés par la tourmente. Après un documentaire sur sa ville natale (Lyon, le regard intérieur, TV, 1990), il réunit Dick Bogarde et Jane Birkin dans un film tendre (Daddy nostalgie, id.), évoquant les relations intimes d'une famille qui tente d'exorciser le fantôme de la mort prochaine du père en donnant un sens et une valeur à la précarité quotidienne des gestes et des choses.
Éclectique mais toujours lucide et passionné, Tavernier revient au documentaire en 1992 avec la Guerre sans nom (sur la guerre d'Algérie), puis analyse sans concession la vie quotidienne d'un inspecteur de police confronté aux problèmes de la délinquance et de la toxicomanie dans L 627, avant de rejoindre la fresque romanesque (la Fille de d'Artagnan, 1994). Dans l'Appât (1995), qui remporte l'Ours d'or au festival de Berlin, Tavernier revient au sujet de société à travers une intrigue criminelle empruntée à un authentique fait divers (une fille et deux garçons, mus par la seule passion de l'argent et privés de tout sens moral, se transforment en meurtriers quasi inconscients des conséquences de leurs gestes. Il réalise ensuite Capitaine Conan (1996), d'après le roman de Roger Vercel, puis De l'autre côté du périphérique (en collaboration avec son fils Nils Tavernier, 1997), documentaire sur la vie d'un grand ensemble de banlieue. Toujours soucieux de témoignage engagé dans le social, il signe encore notamment Ça commence aujourd'hui (1999), sur la question du chômage et la détresse sociale, Laissez-Passer (2002), sur l’industrie cinématographique française durant l’Occupation, Holy Lola (2004), sur les difficultés de l’adoption.