Antoinette Fouque
Psychanalyste, philosophe et politologue française (Marseille 1936-Paris 2014).
Universitaire, docteur en sciences politiques, et cofondatrice du Mouvement de libération des femmes (MLF) en 1968, Antoinette Fouque a également été députée au Parlement européen de 1994 à 1999 (élue au nom des radicaux de gauche). Elle a publié deux ouvrages clés de la pensée contemporaine : Il y a deux sexes – Féminologie I (1995) et Gravidanza – Féminologie II (2007).
Psychanalyse et politique
Pionnière d’un post-féminisme anticipant les débats quant à la nature de la démocratie sur fond de mondialisation, éloquente face aux défis du monde, à la tribune du Parlement européen ou au sein d’ONG, la théoricienne Antoinette Fouque tient une place singulière dans le paysage intellectuel français par la multiplicité de ses apports. Psychanalyse, politique, philosophie, écriture, édition (Éditions des Femmes) sont autant de champs pour son engagement encyclopédique – et non pas simplement éclectique –, dans sa volonté de tisser un nouveau contexte pour l’action en théorisant sur le vif, en alliant distance conceptuelle et immédiateté de la prise de conscience, temps long de la réflexion et temps court de l’actualité mouvante.
À la psychanalyse, Antoinette Fouque a posé une question décisive, jusqu’alors éludée : qu’est-ce qu’une femme ? Ce point d’interrogation rouvrait la forclusion du point final illustrée par l’affirmation de Jacques Lacan : « La femme, ça n’existe pas. Il n’y a qu’une libido et elle est phallique. » À demande iconoclaste, réponse innovante, grâce à une œuvre montrant qu’il existe une libido utérine – véritable libido creandi – ; une œuvre démontrant que la procréation, loin de s’opposer à la création, est le modèle d’une véritable « géni(t)alité » en même temps que le ressort caché de la misogynie à travers le concept de l’« envie d’utérus » – processus consistant à dénigrer ce (celle) qu’en réalité on envie.
À la politique, Antoinette Fouque a donné un nouvel éclairage par la mise en lumière des rapports entretenus par des notions apparemment contradictoires : intime et collectif ; mouvement et institutionnalisation ; action et pensée ; local et international. En créant, en 1968, le groupe de réflexion Psychanalyse et Politique, creuset du MLF – « chacune dans sa singularité et ensemble dans un mouvement universel » –, elle entendait articuler libération personnelle et libération historique, inconscient et civilisation, et mettre au jour les rouages de la réaction psychique et de la politique réactionnaire : transformer les entraves en puissance d’affirmation ; incarner le mouvement, plutôt que le dogme, mais sans se déliter dans l’effervescence ; épouser un élan qui ne soit pas sporadique, mais s’inscrire dans la continuité et donc prendre part aux responsabilités publiques.
En intervenant auprès de la secrétaire d’État chargée des droits des femmes, ou en tant que vice-présidente de la commission des droits de la femme au Parlement européen, en participant activement à plusieurs conférences des Nations unies, attestant qu’ici est comme ailleurs, et en s’engageant dans des actions de solidarité en faveur de femmes menacées (anonymes, car les génocides sont souvent des « gynocides », ou figures emblématiques, telles que Taslima Nasreen et Aung San Suu Kyi), Antoinette Fouque, tout au long des années 1990, a instillé dans les structures politiques le vif-argent de la pensée. Elle a donc donné toute leur ampleur aux débats de la décennie 2000 sur l’égalité, la parité, l’identité femme. Dépasser les clivages tels que condition féminine (être femme en vertu d’une essence)/devenir femme (« On ne naît pas femme, on le devient », selon Simone de Beauvoir), tota mulier in utero (modèle nataliste : ne pas se concevoir sans enfanter, renoncer à faire carrière)/tota mulier sine utero (modèle malthusien : pour progresser socialement, renoncer à enfanter), impose de trouver un nouveau fil conducteur vers une égalité hommes/femmes qui ne soit pas une parité arithmétique, mais un « nouveau contrat humain », une approche se distinguant de l’impératif d’imitation sommant les femmes d’être « comme » des hommes pour avoir leur place dans la cité. Il y a deux sexes, intitulé révélateur, montre que l’un ne peut se poser en modèle de l’autre et ouvre la voie à une véritable hétérosexualité.
L'invention de la « féminologie »
Antoinette Fouque a théorisé la différence des sexes au-delà des acquis psychanalytiques classiques. D’une question marginale elle a fait la question centrale qui oriente celles qui sont posées dans les autres disciplines, dont la prétendue neutralité objective dissimule souvent des biais conceptuels. C’est l’objet de la féminologie, néologisme forgé par l’auteure, qui lui a donné ses lettres de noblesse. C’est plus qu’un mot invitant à dépasser le féminisme ; c’est une approche conceptuelle qui a permis de fonder un institut de recherche en science des femmes. La féminologie est solidaire d’un travail philosophique pour examiner les fondements de la démocratie, pour marquer le passage d’un mode de pensée idéaliste à un mode de pensée matérialiste, avec, pour fil conducteur, une pensée de la « génésique » qui tient compte du temps réel de la gestation, plutôt que du temps virtuel d’un univers dématérialisé. Les débats sur l’utérus artificiel ou sur le vivant susceptible de marchandisation (avec la gestation pour autrui) illustrent la modernité de cet angle théorique.
Modernité mais aussi fécondité, puisqu’il y a des développements tant dans la sphère universitaire – Antoinette Fouque ayant dirigé des recherches – que dans celle de l’écriture, grâce à son œuvre et aux commentaires qu’elle inspire. Distinguant les différentes nuances du « matricide », elle s’est employée à dégager la portée du « matriciel », jusqu’en littérature. Elle a ainsi créé des lieux d'expression (avec plusieurs journaux conçus pour préserver une forme de jaillissement oral) et une maison d’édition qui donne la parole au sens propre (« Bibliothèque des voix »), où elle fait dialoguer, dans une même ferveur littéraire, essais, romans, poèmes.
Soucieuse d’unir conviction et création, échappant au dilemme du militantisme créatif et de la création militante, conférant à la gestation la portée d’un paradigme pour l’éthique, Antoinette Fouque a, par un véritable mouvement de pensée, fait passer les femmes de la condition féminine à la condition historique.