Étienne Bonnot de Condillac
Philosophe français (Grenoble 1714-abbaye de Flux 1780).
Partant de l’empirisme de Locke, Condillac fut l’un des adversaires du rationalisme hérité du xviie s. Il se fit spécifiquement le théoricien du sensualisme, en affirmant que toutes nos idées nous viennent des sensations et que de celles-ci dépend donc l’activité de notre entendement.
L'abbé académicien
Troisième des cinq enfants d’une famille de magistrats qui le destine à la vie religieuse, Condillac vient à Paris en compagnie de son frère, le futur abbé Mably. Entré au séminaire de Saint-Sulpice en 1733, il est ordonné prêtre en 1740. Sa vraie vocation étant d’être philosophe au siècle des Lumières, il fréquente Diderot et les Encyclopédistes, Rousseau, Voltaire. En 1758, il se rend à Parme où Louis XV l’envoie auprès de son petit-fils, le futur duc Ferdinand Ier (1751-1802), et publie à son retour le Cours d’études (1768-1775) qu’il a dispensé à l’infant. Élu en 1768 à l’Académie française, il n’y siège que rarement.
Auteur de deux ouvrages philosophiques importants, l’Essai sur l’origine des connaissances humaines (1746) et le Traité des sensations (1754), Condillac publie aussi un Traité des systèmes (1749), un Traité des animaux (1755) et un livre d’économiste intitulé le Commerce et le gouvernement considérés relativement l’un à l’autre (1776), dont l’intérêt sera redécouvert au xixe s. Il y développe l’idée que les besoins individuels sont à la source même de l’activité économique.
L'archéologie du savoir
Le rationalisme admet la raison comme une donnée innée. Or, écrit Condillac dans son Essai de 1746, « quand nous commençons à réfléchir, nous ne voyons pas comment les idées et maximes que nous trouvons en nous auraient pu s’y introduire ». Son projet est donc de découvrir la génération de ces idées, en procédant à une sorte d’« archéologie du savoir », et le but de sa recherche n’est pas purement spéculatif, mais avant tout critique. En effet, « nos erreurs viennent de ce que nos idées ont été mal faites […] ; le seul moyen de les corriger, c’est de les refaire ». Connaître l’origine de nos idées permet donc de reconstruire artificiellement la liaison des idées que la nature a spontanément mal faite. Toutefois, la principale source d’erreur est dans l’inadéquation des idées et des signes du langage (que Locke avait déjà mise en cause). L’Essai tente, pour cela, de retrouver une situation où l’homme n’inventerait des signes qu’au fur et à mesure qu’il éprouverait de nouvelles sensations.
Condillac partage le souci de son époque, qui fait de l’établissement d’une langue bien faite la condition d’une connaissance vraie : autrement dit, une science n’est qu’une langue bien faite. Mais cette langue bien faite ne peut pas être le langage technique des métaphysiciens, coupables d’apporter le trouble dans le bon sens des langues vulgaires. Deux ouvrages posthumes, la Logique (1780) et la Langue des calculs (1798), trouvent cette langue bien faite tout simplement dans la mathématique, à condition de partir du simple sensible et de la méthode « naturelle » de calcul : compter avec ses doigts...
La logique sensualiste
Partout on retrouve chez Condillac cette volonté, commune à Descartes, de partir du simple. Mais, alors que chez ce dernier le simple est un acte de pensée (le cogito), le simple chez Condillac est toujours la sensation. Cette exigence l’amène à tenter ce que Locke lui-même n’avait pas fait : ramener à la sensation les « idées de réflexion », c’est-à-dire les idées de nos facultés de penser, que Locke définissait comme premières. La logique sensualiste est ainsi conduite à son terme dans le Traité des sensations, où chaque faculté est dérivée d’une sensation transformée.
Dans un passage resté fameux, Condillac imagine une statue « organisée intérieurement comme nous et animée d’un esprit privé de toute espèce d’idées », mais qui les acquiert progressivement quand on lui accorde l’usage des différents sens. Il montre comment, à partir d’une simple odeur de rose, apparaissent successivement l’attention, la mémoire, le jugement, l’imagination, et, parallèlement, le besoin, le désir, la passion et le vouloir. Selon le Traité, ces facultés sont antérieures à l’emploi des signes qui ne servent ensuite qu’à les étendre à un plus grand nombre d’objets.