Luca Signorelli
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».
Peintre italien (Cortona v. 1445 – id. v. 1523).
Formé à l'école de Piero della Francesca, il en hérite le sens de la construction rigoureuse des volumes et le goût pour le monumental, qui ne l'abandonnera jamais jusqu'à la fin de sa vie. Il ne nous reste, de ses débuts, que quelques fragments des fresques qu'il peignit en 1474 sur la tour de l'évêché de Città di Castello. Les liens avec l'art de Piero y sont si forts que l'on a même proposé de regrouper autour de ces fresques quelques œuvres (Vierges du M. F. A. de Boston, du Christ Church College d'Oxford et de la coll. Cini de Venise) dont la conception, sinon l'exécution, revient directement au maître de Borgo San Sepolcro. En fait, l'état de conservation des fragments est si mauvais qu'il est impossible de les considérer comme une référence sûre. La période de formation de Luca reste ainsi assez obscure. En travaillant, à partir de 1479, à la décoration à fresque de la sacristie de la cure de la Santa Casa de Lorette, son langage s'est déjà enrichi d'expériences nouvelles, de la connaissance, notamment, de la peinture florentine contemporaine, dominée à cette époque par des problèmes de ligne et de mouvement foncièrement opposés à la poétique de Piero della Francesca. Il semblerait, mais la question est loin d'avoir trouvé une réponse définitive, que le premier intermédiaire de cette culture, dont le rôle sera fondamental dans l'orientation postérieure de l'artiste, ait été Bartolomeo della Gatta, collaborateur de Luca à la Santa Casa. Ce sont en tout cas les recherches de Verrocchio et de Pollaiolo qui marquent le style des anges musiciens de la voûte ainsi que celui, synthétique et dramatique, de la Conversion de saint Paul sur un des murs de la sacristie. On a fixé à une date à peu près contemporaine les 2 panneaux de la Brera représentant la Flagellation et la Vierge à l'Enfant, qui offrent les mêmes caractéristiques de vitalité linéaire et sont pourtant encore liés, dans leur conception, à l'enseignement de Piero. Dans la grande fresque que Luca exécuta en 1480-81 à la chapelle Sixtine à Rome (Testament et mort de Moïse), le problème de la collaboration avec Bartolomeo della Gatta se pose de nouveau et de façon plus nette, car, bien que l'on ne reconnaisse pas ici l'influence de Pérugin, qui a été condisciple de Luca à l'école de Piero della Francesca, l'intervention d'une autre main est sensible dans le groupe de droite de la composition. Le contact avec Bartolomeo della Gatta est encore visible dans le tableau d'autel de la cathédrale de Pérouse (Vierge en trône parmi des saints, 1484), où, d'autre part, le langage de Luca s'achemine vers sa pleine maturation, dans son attention de plus en plus vive à la définition anatomique des nus par une ligne tendue et vibrante à laquelle s'associe un clair-obscur puissamment plastique. C'est en effet dans le domaine du nu, ressenti, sur les traces de Pollaiolo, comme le moyen le plus efficace d'exaltation de la forme, mais aussi, plus personnellement, comme la manière la plus directe d'atteindre picturalement cette harmonie miraculeuse qui fait de l'homme le protagoniste de l'univers, que Luca va obtenir ses résultats les plus hauts. La critique actuelle a tendance à diminuer la portée de son art et sans doute a-t-elle raison de vouloir atténuer l'opinion traditionnelle selon laquelle l'artiste cortonais serait le précurseur direct de Michel-Ange. Néanmoins, dans la renonciation consciente à toutes ces possibilités de raffinement formel que lui offrait son adhésion à la culture florentine, dans le dépouillement austère de ses compositions, qui s'articulent concrètement sur des masses monumentales, Luca a trouvé indubitablement des accents novateurs qui dépassent en quelque sorte la tradition du xve s. Cela était particulièrement vrai pour le tableau détruit du musée de Berlin, l'Éducation de Pan (v. 1490), qui, en raison de la sévère autorité avec laquelle était traité le thème mythologique, a été considéré, à tort, comme l'affirmation d'une poétique antibotticellienne. À la même lignée appartiennent de nombreuses peintures exécutées entre cette période et la fin du siècle, qui fut le moment le plus heureux de la production de l'artiste. Des œuvres comme le tondo de la Vierge à l'Enfant (Offices), la Vierge en trône parmi des saints (musée de Volterra), le tondo de la Sainte Famille (Offices) anticipent réellement des solutions du premier cinquecento. Bien qu'elles soient affaiblies par la collaboration d'aides, les fresques pour le cloître de Monte Oliveto Maggiore, représentant des scènes de la vie de saint Benoît, sont encore un témoignage remarquable des capacités de synthèse et de puissance plastique de Luca (restauration en cours, 1996). Avec la décoration à fresque de la chapelle S. Brizio dans la cathédrale d'Orvieto, les recherches du peintre sont portées à leur extrême accomplissement, mais elles annoncent déjà les premiers symptômes d'une régression stylistique. Exécuté entre 1499 et 1504, ce cycle, considéré traditionnellement comme l'œuvre maîtresse de Luca, souffre dans son ensemble d'un certain déséquilibre dans la composition et, par son audace de conception, trahit par moments l'embarras du peintre lors de l'exécution. Le programme iconographique établi par Fra Angelico, qui avait commencé la décoration de la voûte, prévoyait, pour la partie murale, la représentation des Damnés et des Bienheureux, sur l'exemple de la chapelle Strozzi à S. Maria Novella. Signorelli y ajouta les deux scènes de la Fin du monde et de l'Antéchrist, cette dernière en hommage, semble-t-il, à la doctrine de Savonarole. Sur le socle sont illustrés, en camaïeu, les onze premiers chants du " Purgatoire " de Dante. Malgré ses faiblesses dans la réalisation, ce monument pictural qui inspirera Michel-Ange révèle une haute spiritualité qui traduit bien les exigences et l'esprit de la culture italienne du xve s.
L'alourdissement des formes, l'insistance dans l'analyse anatomique, qui ont déjà fait leur apparition dans les fresques d'Orvieto, compromettent de plus en plus la production du peintre. Et s'il trouve encore des accents grandioses dans la Déposition de la cathédrale de Cortone (1502), en cédant ensuite à des suggestions d'origine raphaélesque qui l'amènent à adoucir les tons de sa palette, Signorelli ne fait qu'accentuer le contraste, toujours inhérent à son style, entre la définition linéaire et les effets chromatiques.
Bien que son atelier eût été très fréquenté et très actif, il ne laissa aucun successeur remarquable ; il était devenu à la fin de sa vie le représentant d'une tradition conservatrice et provinciale, qui fut submergée par les grands événements dont l'Italie centrale fut le théâtre dès le début du xvie s.