Johann Heinrich Füssli ou Johann Heinrich Fuseli
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».
Peintre suisse (Zurich 1741 – Londres 1825).
Par son père, Johann Kaspar Füssli, peintre, auteur d'une Histoire des meilleurs peintres en Suisse et possesseur d'une collection de dessins allemands et suisses, le jeune Füssli est introduit dans le milieu littéraire et artistique de Zurich. Il se lie avec Bodmer, qui lui fait découvrir Shakespeare, Milton, les Nibelungen de Wieland, et il fait la connaissance de Winckelmann et de Lavater. Sa carrière artistique débute par des dessins exécutés d'après les œuvres de la collection de son père ; il illustre un Till Eulenspiegel qui révèle son goût pour la caricature et l'outrance.
En 1764, il part pour Londres et devient l'ami de Reynolds. De ce séjour, il retient deux influences : l'une, classique, issue de Winckelmann, dont il traduit les Pensées sur l'imitation, et l'autre, romantique, acquise au contact des œuvres poétiques, de Milton en particulier. Sur les conseils de Reynolds, il se rend à Rome en 1770. Les fresques de Michel-Ange l'enthousiasment plus que l'étude des antiques, et il copie deux prophètes de la Sixtine (Album romain, British Museum). C'est en voyant le plafond de la Sixtine qu'il conçoit le projet de peindre un cycle de Shakespeare, qu'il réalisera plus tard. Toutefois, 16 tableaux d'après Shakespeare, aujourd'hui disparus, dataient de cette période romaine. Il rencontre le peintre danois Abildgaard et le sculpteur suédois Sergel ; son influence sur ces deux artistes aura un retentissement considérable sur le développement de l'art néo-classique scandinave. De retour à Zurich, il peint Füssli en conversation avec Bodmer (1779, Zurich, Kunsthaus), où son talent de portraitiste s'apparente à celui de Reynolds.
En 1779, il se rend pour la seconde fois à Londres et y restera jusqu'à sa mort. Avec le Cauchemar de 1781 (Detroit, Inst. of Arts ; autres versions : Stafford, coll. du comte d'Harrowby, et Francfort, musée Goethe), Füssli, avant la publication des eaux-fortes de Goya, ouvre la voie au rêve et au fantastique et devient le précurseur du Surréalisme. De 1786 à 1800, il réalise deux cycles de tableaux d'après Shakespeare et Milton, inaugurant la peinture d'histoire en Angleterre. Il illustre, pour la Shakespeare Gallery de Boydell, en une série de 9 toiles, des épisodes sublimes et dramatiques de Macbeth, de la Tempête et du Roi Lear qui annoncent le Romantisme. La Milton Gallery de Londres s'ouvre en 1799 en présentant 40 de ses œuvres d'inspiration tragique et pessimiste (Solitude à l'aube, 1794-1796), ces thèmes macabres étant aussi dans le droit fil de l'héritage suisse d'Urs Graf. Malgré le peu de succès que remporte cette manifestation, Füssli peint encore 7 tableaux en 1800. À partir de 1799, il est nommé professeur de peinture à la Royal Academy, où il avait été reçu en 1790 (Thor luttant contre le serpent Midgard, Londres, Royal Academy) et où il enseigne pendant plus de vingt ans et publie ses conférences sur la peinture. Il exécute, en 1814, 1817 et 1820, des tableaux du Chant des Nibelungen et participe aux expositions de l'Académie. Les dernières œuvres de sa vie sont surtout des tableaux mythologiques, d'inspiration romantique. Son influence sur William Blake fut déterminante pour la formation du peintre anglais, qui devint son ami dès 1787. Les deux artistes respectent dans leurs dessins les principes classiques de composition, mais les effets de clair-obscur sont plus marqués chez Füssli ; ils partagent le même goût pour le fantastique et l'irréel. Leurs héros semblent évoluer dans un monde chaotique animé par le rêve et se distinguent par la violence de leurs mouvements et la fureur de leurs élans. Les sources d'inspiration de Füssli remontent aux poètes antiques, à Dante et aux grands dramaturges allemands et anglais. La femme y tient une place considérable : elle apparaît soit sous les traits d'une magicienne ou d'un être fantastique, soit sous la forme séduisante d'une actrice de théâtre un peu sophistiquée. Et le génie de Füssli réside moins dans la composition un peu froide ou dans la couleur de ses tableaux que dans cette imagination picturale d'une liberté absolue dont se sont réclamés les romantiques et, plus tard, les surréalistes. Son art se caractérise par des motifs dynamiques, une composition en diagonale, des contrastes frappants, des formules qui tendent au pathos et une représentation irréelle de l'espace. Sa gamme est généralement monochrome, avec quelques valeurs claires, surtout dans ses œuvres tardives. Ses dessins apparaissent souvent parmi ses meilleures réalisations (Falaises près de Devyl's Dyke, Essex, v. 1790, Bâle, Kunstmuseum ; Edgar et le roi Lear, 1815, Zurich, Kunsthaus). Sa virtuosité et ses possibilités expressives y paraissent illimitées. Füssli est particulièrement bien représenté à la Tate Gal. de Londres, dans les musées de Bâle, de Lucerne, de Winterthur et surtout au Kunsthaus de Zurich, qui conserve un ensemble considérable de tableaux et de dessins.
Parmi les autres musées conservant de ses peintures, citons le Louvre (Lady Macbeth somnambule, 1784), le musée Goethe à Francfort (le Cauchemar, 1790-91) et la Gg de Dresde (Béatrice, Héro et Ursula). L'inspiration de Füssli est, presque sans exception, littéraire. Plus que celle d'aucun autre de ses contemporains, sa production est sous-tendue d'œuvres modernes ou plus anciennes. En cela, il est le peintre le plus représentatif du Sturm und Drang.