Jacob Jordaens
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».
Peintre flamand (Anvers 1593 – id. 1678).
Toute sa carrière se déroula à Anvers, où son succès fut tel qu'il recevait des commandes de l'Europe entière. À la mort de Rubens (1640) et de Van Dyck (1641), Jordaens fut considéré comme le premier peintre de sa ville natale.
Élève, en 1607, d'Adam Van Noor, dont il deviendra le gendre en 1616, le jeune homme est reçu franc maître de la gilde d'Anvers en qualité de peintre à la détrempe (1615). Les diverses influences qui participent alors à la formation de son art persistèrent curieusement jusque dans les dernières œuvres de sa carrière. Jordaens, qui n'ira jamais en Italie, s'intéressa aux recherches d'éclairage de Bassano et d'Adam Elsheimer, comme on peut le constater dans la Sainte Famille avec sainte Anne (v. 1615-1617, Detroit, Inst. of Arts).
1. Première période
Jordaens acquit très vite un style personnel, mais revint sans cesse sur quelques modèles de ses glorieux aînés, Rubens et Caravage surtout. Dans le Caravagisme, il trouva des correspondances très étroites avec sa propre sensibilité : un réalisme âpre, vigoureux, d'amples formes rebondies et un éclairage qui exalte les couleurs vives (Sainte Famille, 1616, Metropolitan Museum ; Adoration des bergers, v. 1617, musée de Grenoble ; les Filles de Cécrops, musée d'Anvers ; Allégorie de la Fécondité, Munich, Alte Pin. ; la Crucifixion, musée de Rennes ; la Tentation de la Madeleine, musée de Lille). Dans ces mêmes tableaux, il subit aussi l'ascendant de Rubens, dont les thèmes et les compositions l'inspirèrent longtemps. Il demeura beaucoup plus italianisant que lui et, selon Charles Sterling, se montra le disciple de Caravage le plus personnel peut-être des Pays-Bas. Son œuvre oscillera toujours entre ces deux tendances.
2. Jordaens dans l'atelier de Rubens (1620-1640)
Jordaens fut plus un collaborateur qu'un élève du maître et travailla durant vingt ans à ses côtés. Vers 1620, il participe avec Van Dyck aux grandes compositions que peignait alors Rubens : le Christ chez Simon (Ermitage). Van Dyck étant parti pour l'Italie en 1622, il devint le premier assistant de Rubens. En 1634-35, il participe aux grandes décorations pour la Joyeuse Entrée du Cardinal-Infant Ferdinand à Anvers ainsi qu'à des compositions mythologiques destinées à Philippe IV d'Espagne pour la Torre della Parada (la Chute des Titans, v. 1636-1638, Prado, signée de sa main, mais composée d'après une esquisse de Rubens, conservée au M. R. B. A. de Bruxelles).
À la mort de Rubens, en 1640, ses héritiers confièrent à Jordaens l'achèvement de 2 œuvres, un Hercule et une Andromède, pour Philippe iv, ainsi que la vaste commande destinée à Charles Ier d'Angleterre : l'Histoire de Psyché, en 7 tableaux. Il apparut alors comme le " successeur spirituel " de Rubens.
3. La période 1620-1630
Collaborateur de Rubens, il n'en poursuivit pas moins sa propre carrière. Avec des œuvres telles que Pan et Syrinx (Bruxelles, M. R. B. A.), le Satyre et le paysan (musée de Kassel), l'Adoration des bergers (Stockholm, Nm ; autres versions aux musées de La Haye et de Brunswick) ou les Portraits de famille de l'Ermitage et du musée de Brunswick, il atteint sa parfaite maturité ; son style trouve alors sa plus heureuse expression à ce moment et durant la décennie 1620-1630. Dans l'Adoration des bergers (Mayence, Mittelrheinisches Landesmuseum), le groupe de la Vierge, plein de grâce et d'idéalisation, et celui des bergers, vigoureux et réaliste, juxtaposent deux traditions, l'italienne et la flamande. Dans l'Allégorie de la Fécondité (v. 1622, Bruxelles, M. R. B. A.), les formes sont souples, la couleur est très claire, la facture moins lisse qu'à ses débuts. Les Quatre Évangélistes (Louvre, v. 1622-23), chef-d'œuvre d'art religieux baroque, opposent idéalisme mystique et réalisme humain dans une synthèse très inspirée. Le Martyre de sainte Apolline (1628, église Saint-Augustin d'Anvers ; esquisse à Paris, Petit Palais) est un grand tableau d'église dominé par l'influence de Rubens. Jésus chassant les marchands du Temple (Louvre), grand et joyeux tohu-bohu de personnages et d'animaux, atteste la vigoureuse santé picturale de l'artiste et sa stupéfiante aisance en même temps que son humour.
Portraitiste, Jordaens fait preuve d'une autorité et d'une distinction proches de celles de Van Dyck dans le Jeune Homme et son épouse de Boston (M. F. A.) et dans le Portrait d'homme de Washington (N. G.).
4. Maturité et dernières années
La maturité (1630-1635) et les dernières années de Jordaens furent souvent, et bien à tort, critiquées. Pourtant, jusqu'à la fin de sa carrière, l'artiste réalisa des tableaux de la plus grande qualité. Le Piqueur et sa meute (1635, musée de Lille) reste l'un de ses plus beaux paysages, à la fois rubénien et italianisant. Le plafond avec les Signes du zodiaque, peint v. 1640 pour sa propre maison et auj. remonté au palais du Luxembourg à Paris, montre sa virtuosité dans les effets de perspective, typiques de l'illusionnisme baroque, les plus audacieux et les plus surprenants. L'Éducation de Jupiter (1635-1640, Louvre) est plus une scène de genre qu'une allégorie ; si les chairs y sont lourdes et les formes rebondies comme dans Suzanne et les vieillards (Bruxelles, M. R. B. A.), l'artiste évite toute rudesse de facture et les teintes un peu crues auxquelles il se complaît alors. Ces " défauts ", joints à un réalisme brutal, sont plus fréquents dans les deux thèmes chers au peintre, celui du Satyre et du paysan (musées de Bruxelles, de Budapest, de Saint-Pétersbourg, de Munich) et celui du Roi boit (v. 1638-1640, Louvre). Dans des thèmes analogues, comme le Concert de famille (musée d'Anvers) ou Les jeunes piaillent comme chantent les vieux (musée de Valenciennes), Jordaens finit par céder à la vulgarité, de même que dans Le roi boit (Vienne, K. M.).
Son art religieux, débordant de mouvement et de vie, aux multiples points de vue perspectifs, assigne ses limites à l'esthétique religieuse baroque, comme en témoignent le tumultueux Jugement dernier (1653, peint pour l'hôtel de ville de Furnes, auj. au Louvre) ou Jésus parmi les docteurs (1663, Mayence, Mittelrheinisches Landesmuseum). De 1650 à la fin, il reste constamment sollicité entre l'équilibre, la grâce italienne (Marsyas châtié par les Muses, Mauritshuis ; le Sommeil d'Antiope, 1650, musée de Grenoble) et l'emphase des figures colossales (Neptune enlevant Amphitrite, Anvers, maison de Rubens) ou l'aspect conventionnel (la Paix de Münster, 1654, Oslo, Ng). Son chromatisme reste très clair et léger dans le Saint Yves, patron des avocats (1645, Bruxelles, M. R. B. A.). Le Triomphe du prince Frédéric Henri de Nassau pour la Huis ten Bosch de La Haye (1652, esquisses aux musées d'Anvers, de Bruxelles, de Varsovie) constitue la preuve de sa tendance finale à la démesure, typiquement baroque, et à une véhémence pathétique dans l'expression, qui apparaît dans ses dernières compositions religieuses : Montée au Calvaire (Amsterdam, église Saint-François-Xavier), le Christ chassant les marchands du Temple (1657, La Haye, Mobilier national). On se prend à regretter qu'il n'ait pas été plus vivement sollicité pour de grands décors, en voyant ces toiles dont l'animation, œuvre d'un grand décorateur, rappelle mais dans un autre ton celle de Rubens.
5. Dessins et cartons de tapisseries
Jordaens dessinateur reste célèbre autant par ses copies (de 1630 à 1640) des peintures ou des dessins de Rubens que par ses propres dessins. Éloigné du raffinement graphique et valoriste de Rubens, il pose rapidement de larges taches de blanc et de noir et trace d'abord, d'une ligne épaisse et d'un pinceau chargé d'encre, le contour extérieur des formes. Il pratique souvent le lavis et utilise plus le pinceau que la plume : Moïse faisant jaillir l'eau du rocher (v. 1617, Anvers, cabinet des Estampes). De nombreuses études de visages aux craies de couleur sont conservées au musée de Besançon ainsi qu'au Louvre et à la bibliothèque de l'E. N. B. A. à Paris. Jordaens utilise aussi l'aquarelle et la gouache (Scènes de la vie champêtre, British Museum).
Peintre à la détrempe, il est l'auteur de nombreux cartons de tapisseries, dont l'Histoire d'Alexandre, une Suite de proverbes flamands et l'Histoire de Charlemagne, plusieurs fois tissées aux xviie et xviiie s. Le Louvre possède quatre des cartons peints originaux et le musée de Besançon plusieurs fragments. Une rétrospective a été consacrée à l'artiste (Anvers, M. R. B. A.) en 1993.