Gentile da Fabriano
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».
Peintre italien (Fabriano v. 1370 – Rome 1427).
Faute de documents, sa formation a suscité des hypothèses contradictoires ; l'opinion la plus vraisemblable porte à penser qu'il a été formé dans le milieu raffiné des peintres et des miniaturistes d'Orvieto. Ses premières œuvres connues proviennent de Fabriano, dans les Marches, sa ville natale ; elles présentent cependant certains éléments du Nord, et notamment lombards, qui laissent supposer un précédent séjour de Gentile en Lombardie vers la fin du xive s. Son œuvre la plus ancienne, la Madone avec saint Nicolas et sainte Catherine (musées de Berlin), conçue comme une " Sainte Conversation " où, dans les arbres d'un jardin, fleurissent en quelque sorte des anges musiciens, rappelle par bien des aspects, notamment la grâce aristocratique de sainte Catherine, certaines inventions de la miniature lombarde.
Un document de 1408 enregistre la présence de Gentile à Venise, où il peint un retable, auj. perdu ; en 1409, il exécute l'importante fresque, également perdue, de la salle du Grand Conseil au Palais ducal de Venise : cette décoration eut certainement une influence déterminante sur la formation des peintres de Vénétie, surtout Pisanello et Jacopo Bellini. Probablement v. 1410, il exécute le polyptyque de l'église des Mineurs observants de Valle Romita, près de Fabriano (auj. à la Brera). Le panneau central représente le Couronnement de la Vierge ; le groupe qui s'élève sur un fond d'or précieusement drapé dans les rythmes linéaires infiniment fluides des vêtements acquiert une signification héraldique. Dans les panneaux latéraux (les Saints Jérôme, François, Madeleine et Dominique ), le luxe du fond d'or semble se transmettre aux 4 figures de saints, théologiens mélancoliques ou sainte aristocratique, qui paraissent évoluer doucement sur les prés parsemés de fleurs, richement vêtues dans une gamme de teintes denses et hardiment mariées. De même, les 4 scènes (Saint Jean au désert ; Supplice de saint Pierre martyr ; Saint Thomas d'Aquin ; Saint François recevant les stigmates) du registre supérieur, qui se déroulent au milieu de jardins ceints de petits murs, offrent des descriptions d'un réalisme raffiné où se mêlent des jeux d'ombres portées et de lumière oblique. En haut du polyptyque se trouvait une Crucifixion, récemment acquise par la Brera. Entre 1414 et 1419, Gentile est à Brescia pour décorer une chapelle, auj. détruite, dans le palais médiéval du Broletto. Quelques fragments de ce cycle peint viennent d'être mis au jour.
Durant un séjour à Fabriano (1420), il a peut-être exécuté le Couronnement de la Vierge (Los Angeles), qui se trouvait au revers du précieux Saint François recevant les stigmates musée Getty). Gentile rejoint Florence l'année suivante. Il exécute, pour Palla Strozzi, la célèbre Adoration des mages (1423, Offices). Le commettant, l'homme le plus riche de la Florence d'alors, semble avoir eu l'intention d'offrir aux Florentins le retable le plus fastueux qu'ils aient jamais vu, dans lequel Gentile dispense largement des richesses décoratives et vestimentaires dans un réalisme passionné. La représentation des sujets dans un espace unifié n'est pas étagée en profondeur, mais traitée en oblique et dans le sens vertical. Le premier plan et le plan du fond ne sont rattachés entre eux que par le thème continu de la longue colonne des cavaliers qui part du mont où apparaît l'étoile pour s'arrêter aux pieds de la Vierge, comme pour un hommage féodal et chevaleresque.
Ce n'est pas une procession religieuse, mais plutôt un fastueux cortège profane où courtisans, pages et chasseurs animent des scènes courtoises de tournois ou de chasse, accompagnés d'animaux (faucons, guépards, lévriers, singes). Cette foule grouillante et aux couleurs un peu fanées fait contraste avec les personnages richement habillés de brocart du premier plan et avec les reliefs d'or de l'ornementation. Le spectacle varié de la réalité est traduit méticuleusement jusqu'à l'extrême finesse de l'épiderme, obtenue grâce à une technique très précise, qui, par de légers coups de pinceau, atteint à un véritable " pointillisme ", dans une atmosphère crépusculaire et nocturne. Le luminisme domine aussi dans les merveilleuses scènes de la prédelle (la Présentation au Temple, se trouve au Louvre), dans la Fuite en Égypte (le paysage) et la Nativité (effets de lumière nocturne). Par l'effet d'une heureuse invention, les petits pilastres du polyptyque ont été transformés en espaliers couverts d'une profusion de fleurs dont l'exactitude descriptive représente une des premières interprétations de véritable " nature morte " et dont l'inspiration remonte probablement aux manuscrits lombards.
À Florence en 1425, Gentile signe et date une autre œuvre importante, le Polyptyque Quaratesi, peint pour l'église S. Niccolò Oltrarno, auj. réparti entre la coll. royale anglaise (la Madone avec des anges), les Offices (Sainte Madeleine, Saints Nicolas, Jean-Baptiste, Georges), le Vatican (la prédelle, avec 4 Scènes de la vie de saint Nicolas) et la N. G. de Washington (le 5e panneau de la prédelle). La Madone en trône, au centre, a une monumentalité très différente, presque déjà celle de la nouvelle forme florentine, telle que la laisse apparaître l'étonnant panneau avec la Madone et les saints Laurent et Julien (New York, Frick Coll.). Mais ces signes formels restent marginaux. Ce qui prévaut dans le Polyptyque Quaratesi, c'est l'exquise tapisserie du fond, la splendide dalmatique brodée de Saint Nicolas, l'élégance toute mondaine de Saint Georges chevalier (Offices) et surtout les surprenants détails descriptifs de la prédelle, que déjà Giorgio Vasari jugeait l'une des plus belles choses de Gentile : l'impression romantique offerte par la mer dans le Miracle de saint Nicolas (Vatican), la faible pénombre de l'église dans les Pèlerins sur la tombe de saint Nicolas (Washington, N. G.). Les Madones de la N. G. de Washington et du M. N. de Pise datent sans doute de cette période.
Les œuvres exécutées par Gentile entre 1425 et 1426 à Sienne (Madone de' Notai) sont perdues, ainsi que les fresques qu'il peint en 1427 à Rome, à Saint-Jean-de-Latran ; il ne reste rien de sa dernière activité, sauf la Madone (Velletri, cathédrale), très endommagée, provenant de Rome et exécutée en 1427. Mais la Madone à l'Enfant sur un trône, peinte à fresque à la cathédrale d'Orvieto (1425), témoigne d'une attention nouvelle aux effets de perspective. L'œuvre de Gentile compte parmi les plus hautes expressions du style gothique international, comparable par certains aspects à l'art des frères Limbourg et aux recherches de lumière de Van Eyck. Voyageur infatigable, expérimentateur passionné des différentes traditions picturales qu'il connut dans les plus grands centres italiens et qu'il assimila avec génie, Gentile da Fabriano reste le héraut de cette société aristocratique et cultivée, de cette civilité exquise et décadente de l'" automne du Moyen Âge ". Jusqu'à la fin de sa vie, il centre ses recherches sur son monde crépusculaire, non pas par esprit rétrograde, mais par choix conscient d'artiste. Certainement, cet univers qui lui était propre ne pouvait laisser une empreinte significative à Florence, qui ressentait déjà les effets novateurs de l'art de Masaccio. On ne peut pourtant pas oublier la très grande admiration dont Gentile fut l'objet dans les milieux florentins et siennois (Giovanni di Paolo). Un siècle plus tard, Michel-Ange, comme le rapporte Vasari, disait que " dans la peinture il avait eu la main semblable à son nom ". L'influence la plus forte de Gentile s'exerça dans le Nord, où la peinture de Pisanello, de Jacopo Bellini et de Giambono ne pourrait s'expliquer sans son exemple.