Daniel Spoerri
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la peinture ».
Artiste suisse (Galati, Roumanie, 1930).
Installé en Suisse dès 1942, Spoerri, après une carrière de danseur puis de metteur en scène de pièces d'avant-garde à Berne, fonde en 1959 à Darmstadt la revue de poésie concrète et idéogrammatique Material et réalise la même année à Anvers, avec Jean Tinguely, l'" autothéâtre ", où le spectateur, placé devant des miroirs, devient à la fois acteur et spectateur de lui-même. Installé en 1960 à Paris, il fonde les éditions M.A.T. (Multiplication d'art transformable) qui proposent des multiplications d'œuvres, particulièrement d'artistes cinétiques. Signataire du manifeste des Nouveaux Réalistes en 1960, Spoerri présente pour la première fois ses tableaux-pièges (reliefs de repas) au Festival d'Art d'avant-garde à Paris : " Des situations trouvées par hasard en ordre ou en désordre sont fixées (piégées) telles quelles sur leur support du moment (chaise, table, boîte, etc.). Seul le plan, par rapport au spectateur, est changé. " Spoerri développe alors ce mode de composition fondée sur le hasard dans plusieurs séries : les " tableaux piégés au carré ", intégrant deux temps successifs (les Montres, 1961, où une caisse au contenu fixé est fixée à son tour sur une table elle-même piégée) ou simultanés (intégration des outils qui ont servi à la réalisation du piégeage) ; les " collections ", présentant l'évolution et la transformation d'un objet dans des temps et des lieux différents (l'Optique moderne, 1961-1962, Vienne), Museum Moderner Künste ; le " détrompe-l'œil ", dans lequel le support, un tableau réaliste, est mis en cause par l'objet piégé (une douche sur un paysage avec un ruisseau). Ces remises en cause de la valeur des objets et du sens de la vision trouvent leur équivalent dans le domaine du goût, par l'ouverture, en 1963, du restaurant de la galerie J., où 10 tableaux formés de 723 ustensiles de cuisine sont exposés et où Spoerri prépare chaque soir des menus dont les reliefs sont fixés quotidiennement à la table où ils ont été consommés. Les multiples expositions de variations sur le repas (New York, 1964 ; Anvers, 1965) trouvent leur aboutissement dans l'ouverture en 1968, à Düsseldorf, d'un restaurant qui sera doublé, en 1970, par la Eat Art Gallery, où de nombreux artistes viendront créer d'éphémères œuvres comestibles : Arman, César, Ben. Parallèlement, à partir de 1968, année où il expose à Düsseldorf les " conserves de magie à la noix ", objets fétichisés, Spoerri présente des séries d'œuvres où le caractère morbide de la sacralisation des objets est mis en évidence : les " dangers de la multiplication " proposent des souliers d'enfants pris dans des pièges à rats (Amsterdam, 1971) ; les " Tiroirs " et " Têtes " (Paris, 1982) et les " Guerriers de la nuit " (1983) sont réalisés à l'aide de casques et de formes à chapeaux placés sur des moulinettes. Ce même esprit anime les œuvres plus récentes (Tableau piège phallique, assemblage d'objets, 1989). En 1983, Spoerri est nommé professeur à la Kunstakademie de Munich.
Son œuvre a fait l'objet de plusieurs rétrospectives : Amsterdam, Stedelijk Museum, 1971 ; Paris, C. N. A. C., 1972 ; Reutlingen, 1985 ; Paris, Centre Pompidou, 1990. Elle est représentée dans de nombreux musées en France : Paris, M. N. A. M. (le Marché aux puces, 1961) ; Antibes, musée Picasso ; Grenoble ; Nîmes ; Saint-Étienne (Jeter l'enfant avec l'eau du bain, 1967) et à l'étranger : New York, M. O. M. A. ; Cologne, musée Ludwig ; Mönchengladbach. Le M. N. A. M. (Paris) lui a consacré une rétrospective en 1993 ; la même année, il s'est vu honoré du Grand Prix National de sculpture.