À la recherche du temps perdu
Titre général de l'ensemble romanesque de Marcel Proust, formé par Du côté de chez Swann (1913), À l'ombre des jeunes filles en fleurs (1918), le Côté de Guermantes (1920), Sodome et Gomorrhe (1922), la Prisonnière (1923), Albertine disparue ou la Fugitive (1925), le Temps retrouvé (1927).
Échapper à l’érosion du temps
L'œuvre se présente comme le récit d'un « Narrateur » qui relate l'expérience humaine et la découverte esthétique qui sont à la source du roman. En quête d'un bonheur absolu qui échappe à l'érosion du temps, le Narrateur le poursuit vainement dans la vie des salons, l'amour, la contemplation des œuvres d'art, illustrant ainsi une loi fondamentale de l'univers social et romanesque moderne : l'impossibilité du désir spontané et authentique ; la nécessité, pour la conscience aliénée, d'un modèle, d'un médiateur, qui lui désigne l'objet à désirer et en même temps lui interdit de l'atteindre. Mais le Narrateur va trouver le salut dans le pouvoir d'évocation de la mémoire instinctive : la saveur de la madeleine trempée par hasard dans sa tasse de thé ressuscite le rituel du petit déjeuner de sa tante, lorsqu'il était enfant ; le glissement de son pied sur les pavés inégaux de l'hôtel de Guermantes fait renaître le dallage du baptistère de Saint-Marc à Venise. La superposition fulgurante de deux moments distincts (passé/présent) en une même sensation retrouvée fait à la fois échapper au temps et atteindre l'essence même du temps : le Narrateur vit l'événement sous l'aspect de l'éternité qui est aussi celui de l'art. Il va donc triompher du temps en le fixant dans l'écriture, et le roman s'achève au moment même où le Narrateur a compris qu'il peut l'écrire et comment l'écrire.
L'architecture de l'œuvre
Cette architecture n'est pas à chercher dans le découpage linéaire des romans qui la composent. Plus proche de la structure hiérarchisée et symétrique d'une cathédrale ou du réseau de correspondances d'une œuvre musicale, elle est symbolisée, dans le récit même, par le style de l'écrivain Bergotte, le septuor de Vinteuil, la peinture d'Elstir, le bœuf à la gelée de Françoise, les robes du couturier Fortuny, mais surtout par la figure fondamentale de l'église de Combray, dont les strates de pierre révèlent les perspectives à la fois spatiales et temporelles du roman (en avançant dans la nef ou en montant dans le clocher de l'église, on parcourt non seulement un espace, mais les siècles qu'on a mis à l'élever). Proust, qui reprend dans son roman des thèmes présents dans ses œuvres antérieures, et même dès ses écrits de jeunesse, y ajoute cependant une dimension capitale : la découverte qu'il faut relier les moments précieux de résurrection du passé par la continuité du récit, qui traduit exactement le vide de la vie quotidienne. Ainsi la chronique de la vie mondaine entre 1880 et 1914 que tisse le roman n'est nullement une copie de l'entreprise balzacienne : elle est un élément nécessaire de la structure de l'œuvre, l'inverse de la vie réelle, qui n'existe que dans l'art.