Philoctète
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».
Chef thessalien, ami d'Héraclès.
Oh ! qui du sommet de ces rochers me précipitera dans les flots amers ? C'en est fait, je péris ; ma vie succombe à la violence de mon mal, à l'ardeur de ma plaie.
Fils de Poeas et de Démonassa, Philoctète, peut-être Argonaute, archer remarquable, est l'ami d'Héraclès ; celui-ci, près de mourir, lui fait don de son arc et de ses flèches empoisonnées, arme qui appartenait à Teutaros, le berger scythe maître du fils d'Alcmène, ou à Apollon ; en échange de quoi, Philoctète promet de ne jamais révéler l'endroit où repose le héros. Mais Philoctète manque à sa parole et il en est châtié, lors d'une escale, sur l'île de Ténédos, au cours du voyage vers Troie ; selon les uns, par la morsure d'un serpent, alors qu'il sacrifie à Athéna devant son temple à Chrysa, et ce serpent serait peut-être le gardien du sanctuaire de la nymphe Chrysé (ce qui explique que la nymphe soit aussi appelée Athéna) ; selon les autres, par l'une des ses propres flèches trempées dans le sang de l'Hydre. La blessure s'infecte et dégage une puanteur telle que ses compagnons grecs, à l'instigation d'Ulysse (ou d'Agamemnon), décident de l'abandonner sur l'île de Lemnos. Philoctète y demeure dix années, survivant grâce à son habileté à manier l'arc et les flèches d'Héraclès.
La dixième année, Hélénos, ou Calchas, le devin troyen, est capturé par les Grecs ; il révèle à ses ennemis que jamais ils ne renverseront les remparts de Troie s'il ne sont aidés par Philoctète.
Quelques hommes, dont Ulysse et Néoptolème, font donc route vers Lemnos, pour inciter leur ancien compagnon à se joindre à eux contre la cité d'Ilion. C'est à force de ruses, de fourberies et de mensonges (surtout chez Ulysse), et en lui faisant savoir que l'armée grecque dispose de bons médecins capables de guérir sa jambe gangrenée, qu'Ulysse et Néoptolème persuadent Philoctète. L'apparition d'Héraclès descendu tout exprès du ciel achève de le convaincre. Et c'est finalement Philoctète lui-même qui supplie Néoptolème de ne pas l'abandonner, une fois de plus, dans l'île.
À Troie, Philoctète est aussitôt confié aux bons soins de Machaon et de Podalirios, les fils d'Asclépios. Sa jambe est guérie. Il peut ainsi tuer de nombreux Troyens, parmi lesquels Pâris. Pour son aide, il reçoit de très riches présents. Après la guerre, il se fixe dans le sud de l'Italie, à Macalla, une ville qu'il fonde à peu de distance de Crotone, et où il consacre l'arc d'Héraclès à Apollon. Il meurt en combattant les Rhodiens guidé par Tlépolème, ou bien encore par les Ausones, peuple venu de Pellène, ville d'Achaïe ; il est enterré à Macalla.
Variantes
I. Philoctète est mordu à Chrysa (Crisa), par le serpent qui garde l'autel de la nymphe Chrysé, divinité tutélaire de l'île.
II. Le serpent est envoyé par Héra, irritée que Philoctète ait osé édifier le bûcher qui a permis à Héraclès de gagner l'éternité (on connaît les relations empoisonnées entre Héra et Héraclès).
III. Philoctète souffre de la morsure pendant neuf ans. Machaon le guérit en appliquant sur sa blessure une pierre aux propriétés magiques.
IV. Après la guerre de Troie, Philoctète, chassé de Mélibée à la suite d'une rébellion, se réfugie en Italie du sud, en Calabre, où il fonde Pétélie (Strongoli) ; il fonde également Crimisa, puis Chones, qui donnera son nom à ceux qui la peupleront. Une partie de ses compagnons, emmenés par le Troyen Égeste, fonde Égeste, dans la région d'Éryx, en Sicile.
V. On attribue également à Philoctète la fondation de la ville de Thurium – peut-être à la place de celle de Pétélie citée ci-dessus.
Variante générale
Protésilas, personnage des Héroïques, raconte : Philoctète, fils de Poeas, prend part à la phase finale de la guerre de Troie, mais il est le meilleur des mortels au tir à l'arc dont l'art lui a été enseigné par Héraclès, fils d'Alcmène. On dit qu'il reçoit de lui l'arc en héritage quand Héraclès, sur le point de mourir, l'appelle pour l'assister sur le bûcher de l'Œta. On dit que, déshonoré par les Achéens, il est abandonné à Lemnos parce qu'une hydre s'est ruée sur son pied ; à la suite de quoi il reste couché, souffrant, sur un rocher de la haute plage. Un oracle a été annoncé aux Achéens qu'ensuite Philoctète viendra combattre contre Pâris et, qu'après l'avoir tué, il conquerra Troie grâce à l'arc d'Héraclès. Lui-même guérira grâce aux fils d'Asclépios. Protésilas affirme que tout ceci n'est pas éloigné de la vérité. L'arc d'Héraclès est tel qu'il a été chanté ; Philoctète secourt le héros dans son épreuve sur le mont Œta et il s'éloigne avec l'arc ; il est le seul, entre tous les hommes, à savoir comment il faut le tendre et il obtient de splendides récompenses pour son courage lors de la prise de Troie. Mais Protésilas raconte différemment les événements relatifs à sa maladie et à ceux qui le guérissent. Oui, il est laissé à Lemnos, mais pas sans ceux qui le soignent, et il n'est pas non plus rejeté par les Achéens. De nombreux habitants de Mélibée demeurent avec lui (il est leur chef) et les Achéens se mettent à pleurer quand ce fort guerrier, digne de beaucoup d'estime, reste derrière eux ; très vite, il guérit grâce à la terre de Lemnos sur laquelle, dit-on, est tombé Héphaïstos. Cette terre, aux vertus thérapeutiques, éloigne les maladies de l'esprit, enraye les hémorragies et guérit, entre toutes les morsures de serpent, uniquement celle de l'hydre. Tandis que les Achéens se trouvent à Ilion, Philoctète, avec Eunée, le fils de Jason, s'empare des petites îles, en en chassant les Cariens qui les occupent et, comme récompense pour son aide, on lui donne une partie de Lemnos que Philoctète appelle « Guérisseuse » parce qu'il y a recouvré la santé. De là, Diomède et Néoptolème le reconduisent vers Troie de sa propre volonté, après qu'ils l'ont supplié de se décider pour le bien des Grecs et l'avoir instruit de l'oracle au sujet de l'arc, arrivé, dit-on, de Lesbos. Philoctète arrive à Troie non pas malade mais chenu à cause de son âge (il a environ soixante ans), quoique plein de vigueur comparé aux jeunes gens et avec un regard terrible comparé aux autres hommes ; il parle très peu, donne son assentiment à peu de décisions.
La prière de Philoctète
Néoptolème feint de vouloir reprendre la mer pour faire voile vers Scyros. Il dit adieu à Philoctète. Celui-ci le conjure de l'emmener.
Par ton père, par ta mère, ô mon fils, par ce que tu peux posséder de plus cher dans ta demeure, je t'en conjure en suppliant, ne me laisse pas seul ainsi, privé de tout, en proie aux tourments dont tu es témoin ou que tu m'as entendu décrire. Ne me néglige pas, dussé-je être au dernier rang de tes soucis. Il te sera pénible, je le sais, oui, il te sera pénible de me prendre avec toi ; ose-le pourtant : les âmes bien nées haïssent le mal et mettent leur gloire à faire le bien. Si tu m'abandonnes, le reproche et la honte s'attacheront à toi ; si tu écoutes ma prière, ô mon fils, quelle renommée sera ta récompense quand, vivant, j'aurai touché la terre de l'Œta ! Allons, la peine ne sera pas d'un jour entier. Courage, tu me jetteras, pour le trajet, où tu voudras, dans la sentine, à la proue, à la poupe, là où je pourrai le moins incommoder mes compagnons. Dis oui, par Zeus lui-même, le dieu des suppliants, mon fils ; laisse-toi fléchir. Je tombe à tes genoux, tout faible, tout boiteux que je suis, infortuné ! Non, ne m'abandonne pas dans cette île déserte, loin de tout pas humain ; sauve-moi, conduis-moi dans ma patrie ou sur les rivages de l'Eubée, où régna Chalcodon ; de là la route ne sera pas longue jusqu'à l'Œta jusqu'aux montagnes de Trachis, jusqu'au Sperchios aux belles eaux. Rends-moi à mon père chéri : hélas ! depuis longtemps je crains qu'il ne s'en soit allé, car souvent, par ceux qui abordaient ici, je l'ai appelé, lui adressant de suppliantes prières ; je l'ai conjuré d'armer lui-même un vaisseau pour me ramener dans ma patrie ; mais, ou il est mort, ou mes messagers, comme il est naturel, se souciaient peu de moi, je pense, et hâtaient leur course vers leur propre pays. Maintenant, c'est à toi que j'ai recours : charge-toi à la fois de la nouvelle de mon retour et de ma personne ; sauve-moi, aie pitié de moi ; songe à la vie humaine, traversée de tant d'épreuves, de tant de périls, et où règne tantôt le bonheur, tantôt son contraire. Il faut, quand on est hors de l'adversité, avoir l'œil sur elle ; un homme est-il heureux, c'est alors surtout qu'il doit veiller, de peur que sa prospérité ne s'évanouisse subitement.
Sophocle