Colère d'Achille

La colère d'Achille qui veut percer Agamemnon de son épée ; Athéna arrête son courroux.
La colère d'Achille qui veut percer Agamemnon de son épée ; Athéna arrête son courroux.

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».

Moteur principal de l'Iliade.

L'Iliade, et plus généralement la guerre de Troie telle que nous la connaissons, c'est la « colère d'Achille » et, plus précisément, les « colères d'Achille ». Colère envers Agamemnon qui vient lui enlever Briséis ; colère contre Hector après la mort de Patrocle ; colère contre Apollon, ce qui vaudra au héros d'y laisser la vie.

Sommé par les dieux de rendre à son père Chryséis, Agamemnon se fait fort de remplacer sa favorite par celle d'Achille. Après cet affront, Achille refuse de combattre et se retire sous sa tente. Son ami Patrocle lui demande de mener les Myrmidons au combat. Il meurt, tué par Hector. C'est sa mort qui décide Achille à reprendre les armes. Sa colère est grande contre le fils de Priam.

Si Achille a pu se dresser impunément contre deux mortels, si prestigieux soient-ils, il n'en n'est pas de même lorsqu'il défie le dieu Apollon : cette colère, sacrilège, sera sa dernière.

Colère d'Achille contre Agamemnon (1)

Et Achille aux pieds rapides, le regardant d'un œil sombre, parla ainsi :

— Ah ! revêtu d'impudence, âpre au gain ! Comment un seul d'entre les Achéens se hâterait-il de t'obéir, soit qu'il faille tendre une embuscade, soit qu'on doive combattre courageusement contre les hommes ? Je ne suis point venu pour ma propre cause attaquer les Troyens armés de lances, car ils ne m'ont jamais nui. Jamais ils ne m'ont enlevé ni mes bœufs ni mes chevaux ; jamais, dans la fructueuse Phthie, ils n'ont ravagé mes moissons : car un grand nombre de montagnes ombragées et la mer sonnante nous séparent. Mais nous t'avons suivi pour te plaire, impudent ! pour venger Ménélas et toi, œil de chien ! Et tu ne t'en soucies ni ne t'en souviens, et tu me menaces de m'enlever la récompense pour laquelle j'ai tant travaillé et que m'ont donnée les fils des Achéens ! Certes, je n'ai jamais une part égale à la tienne quand on saccage une ville troyenne bien peuplée ; et cependant mes mains portent le plus lourd fardeau de la guerre impétueuse. Et, quand vient l'heure du partage, la meilleure part est pour toi ; et, ployant sous la fatigue du combat, je retourne vers mes nefs, satisfait d'une récompense modique. Aujourd'hui, je pars pour la Phthie, car mieux vaut regagner ma demeure sur mes nefs éperonnées. Et je ne pense point qu'après m'avoir outragé tu recueilles ici des dépouilles et des richesses.

Et le roi des hommes, Agamemnon, lui répondit :

— Fuis, si ton cœur t'y pousse. Je ne te demande point de rester pour ma cause. Mille autres seront avec moi, surtout le très sage Zeus. Tu m'es le plus odieux des rois nourris par le Cronide. Tu ne te plais que dans la dissension, la guerre et le combat. Si tu es brave, c'est que les dieux l'ont voulu sans doute. Retourne dans ta demeure avec tes nefs et tes compagnons ; commande aux Myrmidons ; je n'ai nul souci de ta colère, mais je te préviens de ceci : puisque Phoibos Apollon m'enlève Chryséis, je la renverrai sur une de mes nefs avec mes compagnons, et moi-même j'irai sous ta tente et j'en entraînerai Briséis aux belles joues, qui fut ton partage, afin que tu comprennes que je suis plus puissant que toi, et que chacun redoute de se dire mon égal en face.

Il parla ainsi, et le Péléide fut rempli d'angoisse, et son cœur, dans sa mâle poitrine, délibéra si, prenant l'épée aiguë sur sa cuisse, il écarterait la foule et tuerait l'Atride, ou s'il apaiserait sa colère et refrénerait sa fureur.

Homère

Colère d'Achille contre Hector (2)

— Hector, tu pensais peut-être, après avoir tué Patrocle, n'avoir plus rien à craindre ? Tu ne songeais point à moi qui étais absent. Insensé ! un vengeur plus fort lui restait sur les nefs creuses, et c'était moi qui ai rompu tes genoux ! Va ! les chiens et les oiseaux te déchireront honteusement, et les Achéens enseveliront Patrocle !

Et Hector au casque mouvant lui répondit, parlant à peine :

— Je te supplie par ton âme, par tes genoux, par tes parents, ne laisse pas les chiens me déchirer auprès des nefs Achéennes. Accepte l'or et l'airain que te donneront mon père et ma mère vénérable. Renvoie mon corps dans mes demeures, afin que les Troyens et les Troyennes me déposent avec honneur sur le bûcher.

Et Achille aux pieds rapides, le regardant d'un œil sombre, lui dit :

— Chien ! ne me supplie ni par mes genoux, ni par mes parents. Plût aux dieux que j'eusse la force de manger ta chair crue, pour le mal que tu m'as fait ! Rien ne sauvera ta tête des chiens, quand même on m'apporterait dix et vingt fois ton prix, et mille autres présents ; quand même le Dardanide Priam voudrait te racheter ton poids d'or ! Jamais la mère vénérable qui t'a enfanté ne te pleurera couché sur un lit funèbre. Les chiens et les oiseaux te déchireront tout entier !

Et Hector au casque mouvant lui répondit en mourant :

— Certes, je prévoyais, te connaissant bien, que je ne te fléchirais point, car ton cœur est de fer. Souviens-toi que les dieux me vengeront le jour où Pâris et Phoibos Apollon te tueront, malgré ton courage, devant les portes Scées.

Et la mort l'ayant interrompu, son âme s'envola de son corps chez Hadès, pleurant sa destinée mauvaise, sa vigueur et sa jeunesse.

Et Achille dit à son cadavre :

Meurs ! Je subirai ma destinée quand Zeus et les autres dieux le voudront.

Homère

Colère d'Achille contre Apollon (3)

On en vient aux mains. Les deux nations ennemies combattent avec une rage égale. Le fils de Pélée, à la tête des siens, massacre un nombre infini de soldats. Sur ses pas le sang ruisselle de tous côtés. Le rivage regorge de corps étendus sans vie. Le Xanthe et le Simoïs gémissent de voir rougir leurs ondes. Le héros implacable poursuit jusqu'à leurs remparts les Troyens épouvantés. Il était sur le point de renverser les portes, en les arrachant de leurs gonds, ou, se courbant avec effort, d'en rompre les barrières. Par là il eût ouvert à toute l'armée un passage facile ; et c'en était fait de la riche cité de Priam, si Apollon, irrité de la mort de tant de braves guerriers, ne fût promptement descendu de l'Olympe. Armé de ses traits victorieux, il se place au-devant d'Achille ; il offre à ses regards tout l'appareil de la fureur. Son arc et son carquois résonnent au loin, le feu étincelle dans ses yeux, la terre tremble sous ses pieds.

« Arrête, dit-il d'une voix de tonnerre, arrête, fils de Pélée, abandonne la poursuite des Troyens, si tu ne veux encourir l'indignation des Immortels. »

Ni la présence du dieu ni ses menaces ne peuvent retenir Achille ; sa témérité l'aveugle et les Génies acharnés à le perdre lui dictent cette réponse impie :

« Pourquoi soutiens-tu toi-même la race orgueilleuse de Priam ; veux-tu donc me forcer à combattre les dieux ? Qu'il te suffise d'avoir une fois arraché de mes mains Hector, et de lui avoir prolongé des jours aussi utiles à sa patrie que funestes aux Argiens. Ah ! c'est trop éprouver ma constance ; si tu ne disparais, crains tout de ma colère ; mon bras peut frapper un Immortel. »

Il finit, et laissant le dieu étonné de son audace, il retourne à la poursuite des fuyards.

« Quoi, dit alors Apollon courroucé, Jupiter souffrira qu'un homme se révolte contre les dieux ! »

Aussitôt, s'enveloppant d'un nuage pour se dérober à la vue du héros, il le perce au pied d'un trait fatal qui lui fait sentir une douleur profonde et le renverse par terre. Telle une haute tour, ébranlée dans ses fondements par les secousses violentes de Typhon, s'écroule et porte au loin ses débris, tel le corps du puissant Éacide couvre dans sa chute un long espace du champ de bataille.

Mais bientôt, reprenant ses forces et tournant de tous côtés des yeux égarés par la fureur, Achille vomit contre le dieu de Délos des injures et des blasphèmes :

« Quel est, dit-il, le traître qui m'a frappé ? Qu'il approche, et ma lance fumante de son sang attaquera jusque dans ses entrailles le principe de la vie ; je peux vaincre à force ouverte le plus robuste et le plus courageux des mortels ; mais un lâche me tend de secrètes embûches. Le dieu ennemi des Grecs a recours à l'artifice pour signaler sa haine. À ces traits je ne puis méconnaître Apollon : Thétis m'avait prédit qu'auprès des portes Scéennes je périrais par une de ses flèches. »

En achevant ces mots, il arrache avec violence le trait meurtrier qu'il jette loin de lui ; un sang noir coule en bouillonnant de sa blessure et les cruelles souffrances pénètrent son âme affligée.

Quintus de Smyrne

La colère d'Achille qui veut percer Agamemnon de son épée ; Athéna arrête son courroux.
La colère d'Achille qui veut percer Agamemnon de son épée ; Athéna arrête son courroux.