Alceste
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de mythologie grecque et romaine ».
Fille de Pélias, roi de Phères en Thessalie, et d'Anaxibie, épouse d'Admète.
Alceste est d'une beauté rare, si bien que les prétendants se pressent à la cour. Incapable de choisir entre tant de candidats, son père la promet à l'homme qui réussira à atteler, au char nuptial, un lion et un sanglier. Avec l'aide d'Apollon, Admète surmonte l'épreuve, et épouse Alceste. Le jour des noces, cependant, ayant négligé d'offrir un sacrifice à Artémis, il encourt la colère de la déesse ; mais Apollon, qui éprouve beaucoup d'affection pour Admète, parvient à apaiser le courroux de sa sœur. Par ailleurs, les Moires, présentes au banquet royal, promettent sous l'effet du vin, de prolonger la vie brève d'Admète et, comme cadeau de mariage, elles s'engagent également à ce que, le jour de sa mort, le protégé d'Apollon pourra continuer à vivre, à condition que quelqu'un de sa famille (son père, sa mère, sa femme) accepte de mourir à sa place.
Le jour fatidique arrive. Admète sonde le cœur des siens. Mais ni son père ni sa mère, tous deux vieillards, ne se résignent à sacrifier le peu de vie qu'il leur reste pour sauver leur fils. Seule sa jeune et jolie femme s'offre de mourir pour lui. Ainsi Admète vivra, Alceste mourra. Et Alceste est si aimée que ses serviteurs en éprouvent un grand chagrin.
Après s'être faite belle, toute vêtue de blanc, Alceste implore Hestia : elle voudrait que la déesse du foyer veille sur ses enfants et accorde à son époux une compagne aimante. Elle fait le tour des autels du palais, puis s'étend sur son lit. C'est alors qu'elle fond en larmes. Sa mort prochaine arrache des plaintes poignantes à ses enfants et à ses serviteurs. Elle meurt.
Héraclès, qui se rend alors en Thrace pour voler les juments de Diomède, arrive au palais d'Admète. Celui-ci, par amitié, et en vertu des lois de l'hospitalité, lui cache le malheur qui le frappe. Héraclès apprend la vérité par un serviteur. Il se sent un peu coupable d'avoir mangé et bu avec une si belle humeur, sous le toit d'un ami qui vient de perdre un être cher. Il n'hésite plus un instant : il court provoquer la Mort, près du tombeau d'Alceste. Il étouffe la Mort puis ramène la jeune femme, vivante, auprès de son époux.
Variantes
I. Alceste est rendue à son mari par la volonté de Perséphone.
II. Héraclès descend aux Enfers chercher la jeune femme.
III. Héraclès, qui connaît la médecine, sauve Alceste d'une maladie incurable.
IV. Acaste, le fils de Pélias, poursuit ses sœurs qu'il considère comme des criminelles, puisqu'elles sont à l'origine de la mort de leur père, Si Hippothoé, Pélopia et Pisidicé sont rejointes, Alceste parvient à se réfugier à Phères, auprès d'Admète son cousin. Elle s'assoit comme suppliante devant le foyer, si bien qu'Admète, ne peut la remettre à Acaste qui la réclame. Acaste fait alors cerner la maison par ses hommes qui la bombardent de projectiles enflammés. Lors d'une sortie nocturne, Admète est capturé. Conduit devant le roi, il est sommé de livrer Alceste, en dépit des lois de l'hospitalité, ou bien de perdre la vie. La jeune femme apprend bientôt la menace qui pèse sur son protecteur : elle préfère se rendre. Acaste s'empare d'elle, et relâche Admète. C'est pourquoi les gens disent : « Courageuse Alceste ! Elle a choisi de mourir à la place d'Admète. » Là-dessus arrive Héraclès, avec les cavales de Diomède le Thrace. Admète le reçoit généreusement, et lui relate ses malheurs. Héraclès attaque donc Acaste, anéantit son armée, reprend la jeune femme et la donne à Admète. Ainsi dit-on qu'Héraclès a arraché Alceste à la mort.
Voir aussi : Admète
Adieux d'Alceste à son époux
Alceste sort du palais avec Admète et ses enfants ; des servantes la soutiennent. Elle fait, en chantant, ses adieux à la terre ; déjà elle aperçoit Charon et sa barque : il l'appelle, il l'entraîne ; elle se sent défaillir. Admète lui répond, d'abord sur le ton ordinaire, ensuite sur le ton du récitatif, qui marque un degré supérieur d'émotion. S'étant ressaisie, elle lui adresse, sous la forme habituelle du dialogue tragique, ses dernières recommandations.
Admète, tu vois où j'en suis ; je veux ; avant de mourir, te dire ce que je souhaite. C'est pour t'honorer et te laisser, au prix de ma vie, voir la lumière, que je meurs. Je pouvais, au lieu de mourir pour toi, me choisir un époux parmi les Thessaliens et habiter ce palais en reine, au sein du bonheur : je n'ai pas voulu vivre séparée de toi, avec mes enfants orphelins ; je me suis sacrifiée, malgré ces dons de la jeunesse qui faisaient ma joie. Toi, cependant, ton père et celle qui t'a donné l'être t'ont trahi, bien que parvenus à un âge où il sied de quitter la vie, où il eût été beau pour eux de sauver un fils en s'offrant à une mort glorieuse. Car tu étais leur unique enfant, et ils ne pouvaient espérer, toi mort, d'en avoir d'autres. Et moi, j'aurais vécu, ainsi que toi, de longs jours, et, privé de ta compagne, tu n'aurais point gémi en élevant des orphelins. Mais un dieu a voulu qu'il en fût autrement. Eh bien, donne-moi maintenant une preuve de ta reconnaissance ; la grâce que je sollicite n'égale pas ce que je fais pour toi, car nul bien n'est plus précieux que la vie, mais ma prière est légitime, tu le reconnaîtras toi-même. Tu aimes ces enfants aussi tendrement que moi, si tu es sensé : souffre qu'ils soient les maîtres dans notre demeure ; ne leur donne pas une marâtre qui ne me vaudra pas et dont l'envie s'appesantirait sur eux, qui sont tes enfants comme les miens. Non, ne fais pas cela, je t'en supplie. Car c'est une ennemie qu'une marâtre pour les enfants de la première épouse ; elle ne le cède point en cruauté à la vipère. Un fils a dans son père un solide appui... ; mais toi, ma fille, quelle existence serait la tienne ? En quelles mains tomberais-tu, si ton père prenait une nouvelle compagne ? Ah ! qu'elle n'aille pas, faisant peser sur toi une injurieuse renommée, flétrir, à la fleur de ton âge, l'espoir de ton hymen ! Hélas ! ta mère ne sera pas là pour te marier, ma fille, pour t'assister dans les douleurs de l'enfantement, où rien n'est plus doux que les encouragements d'une mère. Il me faut mourir, et ce n'est ni demain ni après-demain que ce malheur me menace : c'est tout de suite que je vais être comptée parmi ceux qui ne sont plus. Adieu, vivez heureux ! Toi, cher époux, tu peux te vanter d'avoir eu la meilleure des femmes, et vous, mes enfants, d'être nés de la meilleure des mères.
le coryphée. Aie confiance, car je n'hésite pas à répondre pour lui ; il fera ce que tu lui demandes, s'il n'a pas perdu la raison.
admète. Je le ferai, oui, je le ferai, sois sans crainte. Vivante, tu étais ma femme ; morte, toi seule porteras encore ce nom, et, après toi, nulle vierge thessalienne ne m'appellera son époux, fût-elle de la plus noble origine et supérieure à toutes les autres en beauté. J'ai assez d'enfants ; puissent les dieux me conserver ceux-ci, s'ils n'ont pas conservé leur mère ! Je pleurerai ta mort, non pas une année, mais toute ma vie, femme, détestant celle qui m'a donné le jour et maudissant mon père, car leur tendresse pour moi n'était, je le vois, qu'un mot. C'est toi qui m'as sauvé en sacrifiant à mon existence ce que tu avais de plus cher. Ne dois-je pas gémir quand je perds une épouse telle que toi ? Je renonce aux festins, aux réunions joyeuses, aux couronnes, aux Muses, qui régnaient dans ma demeure. Je ne saurais désormais toucher une lyre ni me plaire à chanter aux sons de la flûte libyenne, car tu m'as ôté la joie de vivre. Modelé par la main d'un habile artiste, ton corps reposera sur ma couche ; étendu à ses côtés, l'enserrant de mes bras, je t'appellerai par ton nom et croirai posséder mon épouse chérie, mais ce ne sera qu'une ombre, froide volupté, qui allégera pourtant le poids de ma douleur. Tu m'apparaîtras en songe, et ta vue me réjouira, car il est doux, la nuit, de voir ceux qu'on aime, même sous l'apparence d'une vaine image. Si j'avais la langue et le talent d'Orphée, si je pouvais, par mes hymnes, séduire la fille de Déméter ou son époux, et te tirer de l'Hadès, je descendrais dans les Enfers, et ni le chien de Pluton ni le vieillard qui manie la rame, le passeur des âmes, ne m'empêcheraient de te ramener vivante à la lumière. Du moins, attends-moi là-bas, quand je mourrai ; prépare la demeure que nous habiterons tous deux. Car je recommanderai à ces enfants de me placer auprès de toi, dans le même coffre de cèdre, et de m'étendre à tes côtés : ainsi, même dans la mort, je ne serai pas séparé de toi, qui seule m'as été fidèle.
Euripide