zarzuela
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».
Forme particulière à l'Espagne de théâtre populaire accompagné de musique et de chant.
Aux xvie et xviie siècles déjà, bien des pièces de Lope de Vega puis de Calderón (jouées au palais de la Zarzuela, près de Madrid, d'où le nom laissé au genre) s'inspirèrent d'événements de l'actualité et furent entrecoupées de chansons et de ballets.
Longtemps subalterne, voire oubliée, cette tradition prit soudain un essor foudroyant aux alentours de 1860. La zarzuela s'apparente alors au théâtre satirique, voire chansonnier, et va chercher sa musique dans les fredons populaires qui courent les rues et qu'elle prolonge, enrobe, enrichit.
C'est par cette dépendance étroite de l'actualité mondaine, politique, voire artistique, et par son peu de scrupules à réutiliser des motifs connus de tous (plaza de toros, folklore urbain de toute provenance, de la danse faubourienne à la chanson et au cante jondo) que la zarzuela se distingue radicalement de l'« opérette » telle qu'elle est conçue dans le reste de l'Europe : par sa perméabilité même, la zarzuela se veut locale, anecdotique, mais d'autant plus proche du quotidien spécifiquement espagnol. Portée par une musique caractéristique, elle se rapproche ainsi de la grande tradition ibérique du roman picaresque.
Sa qualité même est garantie par ses auteurs les plus connus, tous musiciens de premier ordre et fort estimés dans les domaines les plus divers : Jerónimo Gimenez était un homme politique ; Amadeo Vives fut à la fois un fervent wagnérien et un folkloriste passionné ; Tomas Bretón, chef d'orchestre et professeur renommé, fut notamment le maître de Pablo Casals ; Ruperto Chapi, ancien chef d'une harmonie militaire, travailla à Rome sur les anciens polyphonistes espagnols et contribua à la résurrection de Victoria ; Francesco Barbieri, enfin, un homme de science doublé d'un chanteur, était lui aussi passionné découvreur des musiques des xve et xvie siècles, fervent wagnérien et même traducteur d'Ésope en vers castillans.
Parodiant volontiers les grands compositeurs du siècle (notamment Wagner et Verdi), mêlant le burlesque et le sentimental, la zarzuela apparaît ainsi comme une forme d'expression à mi-chemin entre le théâtre et la musique, abordant aussi bien les « problèmes de l'heure » (racisme, suffrage universel, liberté des femmes) que les contes traditionnels, voire des canevas empruntés au théâtre classique. Sa vitalité musicale se nourrit d'une extraordinaire accumulation de clichés ibériques, qui, de cette juxtaposition, tirent un caractère auto-parodique.
Or, traditionnellement, la parodie de l'Espagne par les Espagnols (Cervantès, Quevedo, Moratín, etc.) est toujours riche de prolongations et de finesses, les mêmes tournures, depuis Don Quichotte au moins, pouvant servir à peindre les profondeurs de l'âme ou à les tourner en ridicule. C'est dans cet esprit que les plus grands, Albéniz, Granados et même l'austère Manuel de Falla, se risquèrent à la zarzuela.
Après le tournant du xxe siècle, abordé par des artistes ne parvenant plus à renouer avec l'ironie désinvolte de leurs prédécesseurs, la zarzuela va péricliter, de même qu'actuellement trop de chefs et de chanteurs espagnols abordent ce répertoire virulent dans un esprit beaucoup trop solennel pour lui restituer son cachet. Paradoxalement, l'esprit de la zarzuela s'est perpétué dans la comédie musicale américaine, elle aussi soucieuse d'efficacité, d'actualité, de vigueur et de sentimentalité populaire, elle aussi réutilisant volontiers les airs accueillis par le folklore citadin, elle aussi sans équivalent dans le panthéon musical.