Roumanie

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».

La musique roumaine a involontairement ignoré pendant des siècles les institutions d'enseignement et de concerts typiques de l'Occident. La musique populaire, celle jouée dans les cours princières et le chant religieux de tradition byzantine constituèrent longtemps les principales manifestations musicales des trois principautés roumaines, Moldavie, Valachie et Transylvanie. Peuple latin, les Roumains ont subi de multiples influences, grecques, turques, slaves, magyares ou saxonnes (ces deux dernières limitées à la Transylvanie), ce qui a rendu difficile l'essor d'une identité culturelle propre. La culture byzantine pénètre par l'intermédiaire du culte orthodoxe. La musique liée au service divin reste très fidèle à la tradition instituée à Constantinople jusque vers le milieu du xixe siècle (réforme de Macarie, introduction progressive de l'harmonisation tonale). Elle connaît trois étapes, dont la deuxième ­ illustrée notamment par l'école de Putna (monastère de la Moldavie du Nord fondé par Étienne le Grand au xve siècle) et son représentant le plus connu, Eustatie ­ se caractérise par l'équilibre entre l'ornementation de la monodie vocale et la clarté du contour mélodique. En Transylvanie, dans la seconde moitié du xviiie siècle et la première moitié du xviie, la musique religieuse de style occidental conserve le nom de ses auteurs, comme Daniel Croner ou Gabriel Reilich, tandis que Ioan Caioni (1629-1687) s'intéresse au folklore, dont il transpose certaines mélodies ­ réunies dans le Codex Caioni ­ dans un langage musical de circulation internationale. La vie artistique de cette province doit aussi beaucoup aux musiciens autrichiens (dont Michael Haydn et Dittersdorf) qui s'y établissent pour une période. C'est au début du xixesiècle que des troupes, italiennes ou allemandes notamment, commencent à y faire des tournées, ainsi que dans les autres provinces roumaines. Des compositeurs étrangers commencent à s'installer, en Moldavie surtout. Parmi eux, I. A. Wachmann (1807-1863) et L. A. Wiest (1819-1889). La musique roumaine échappe de plus en plus à l'influence orientale, des institutions sont créées selon le modèle occidental, tels les conservatoires de Cluj (1852), de Iasi (1860) et de Bucarest (1864), sous l'influence des événements politiques marquants que sont la révolution de 1848, l'unification de la Valachie et de la Moldavie (1859) et la guerre d'indépendance contre les Ottomans (1877). Dans ces conditions, Eduard Wachmann (1836-1908) fonde la Société philharmonique roumaine (1868) à Bucarest, Eduard Caudella (1841-1924) compose le premier opéra véritablement roumain, Petru Rares (1889), Alexandru Flechtenmacher (1823-1898) écrit la première œuvre orchestrale d'une certaine ampleur, l'Ouverture nationale moldave, et Georges Stephanescu (1843-1932) écrit la première symphonie roumaine et crée, en 1885, la première troupe permanente d'opéra puis l'Opéra national de Bucarest (1921). La musique de chambre se développe aussi, grâce surtout à l'activité de Constantin Dimitrescu (1847-1925), violoncelliste et auteur de quatuors à cordes. Mais c'est la musique chorale, dans laquelle se combinent et s'épanouissent la tradition byzantine et celle de la musique populaire, qui constitue, à cette époque, l'expression musicale la plus intéressante en Roumanie, notamment dans les œuvres de Ion Vidu (1847-1931), Gheorghe Dima (1847-1925), D. G. Kiriac (1866-1928) et Gheorghe Cucu (1882-1932).

La musique roumaine, dans la première moitié du xxe siècle, est dominée par la portée exceptionnelle et la multiplicité des dons de Georges Enesco. C'est le moment du raccordement définitif de la composition et de la vie musicale roumaines à l'évolution stylistique et à la problématique musicale européenne : les compositeurs contemporains d'Enesco ont d'ailleurs presque tous étudié dans les grandes capitales de la musique. L'importance de cette génération, dont les membres les plus éminents s'appellent Dimitrie Cuclin (1885-1978), Mihail Jora (1891-1971), Martian Negrea (1893-1973), Alfred Alessandrescu (1893-1959), Sabin Dragoi (1894-1968), Filip Lazar (1894-1936), Mihail Andricu (1894-1974), Paul Constantinescu (1909-1963), réside dans son aptitude à opérer une conceptualisation plus poussée du folklore et une généralisation de ses procédés spécifiques qui deviennent ainsi aptes à nourrir un discours musical serré et des formes à vocation universelle. La musique roumaine s'inscrit ainsi naturellement dans l'esthétique des écoles nationales du xxe siècle, entre Bartók et Stravinski, Janáček ou de Falla, mais le reflet des innovations opérées par un Schönberg ou un Alban Berg à partir de de l'héritage classico-romantique n'est pas, lui non plus, absent de la musique roumaine. Plusieurs membres de cette génération ont été par ailleurs d'éminents professeurs, comme par exemple Jora, Negrea ou Paul Constantinescu, et ont eu ainsi une importante responsabilité dans la formation des musiciens roumains de l'entre-deux-guerre. La transition entre cette génération et la suivante, celle de Zeno Vancea (1900-1990), Sigismund Toduta (1908-1991), Alfred Mendelssohn (1910-1966), Gheorghe Dumitrescu (1914-1996), se fait sans heurts, car les problèmes qui se posent restent plus ou moins les mêmes et concernent notamment la possibilité de trouver un langage universel sans trahir la tradition nationale et l'attachement à ce qu'on pourrait appeler un « folklore imaginaire ».

L'installation du régime communiste en Roumanie, après la Seconde Guerre mondiale, change, dans une large mesure, les données de la vie musicale du pays. Même si, au bout d'un certain temps, la censure ne s'intéresse plus tellement à l'art musical, considéré comme un art relativement peu dangereux pour le régime car trop abstrait, les exigences du réalisme socialiste ­ accessibilité, caractère national ­ sont souvent adoptées par les compositeurs plus âgés et utilisées comme un argument précieux dans le conflit des générations et la volonté de pouvoir des organisations professionnelles. Mais, dans ce conflit, l'âge n'est pas toujours déterminant, car des compositeurs comme Ludovic Feldman ou Tudor Ciortea (1903-1983) ont toujours défendu l'innovation, sans toujours la pratiquer eux-mêmes. Pour les compositeurs qui s'affirment maintenant, comme Anatol Vieru (1926), Pascal Bentoiu (1927), Wilhelm Berger (1927-1993), Stefan Niculescu (1927), Tiberiu Olah (1928), informés de bonne heure, malgré les difficultés imposées par le régime totalitaire, des recherches et des réalisations de l'avant-garde européenne, s'attachent à formaliser le langage musical, à renouveler la dialectique musicale classique, à rechercher un archétype pertinent. Ces compositeurs et leurs collègues ou leurs disciples, Adrian Ratiu (1928), Dan Constantinescu (1931-1995), Myriam Marbe (1931), Aurel Stroe (1932), Cornel Taranu (1933), n'entrent donc pas en conflit. La transition se fait sans hiatus, mais une attention de plus en plus grande est accordée à la pensée archétypale et générative, par exemple chez Nicolae Brindus (1935), Mihai Moldovan (1937-1981), Cornel Dan Georgescu (1938) ou Octavian Nemescu (1940), ou au développement d'une esthétique anti-épique et anti-discursive, comme chez Iancu Dumitrescu (1944), Fred Popovici (1948), Calin Ioachimescu (1949), Doina Rotaru (1951) ou Liviu Danceanu (1954). Le retour à une dialectique plus affirmée, à une certaine dimension épique, n'est cependant pas absent chez Liana Alexandra (1947), Adrian Iorgulescu (1951) ou Serban Nichifor (1953). Il faut citer aussi les compositeurs roumains qui vivent à l'étranger, notamment Mihai Mitrea-Celarianu (1935), Lucian Metianu (1937), Horatiu Radulescu (1942), Costin Miereanu (1943), Sever Tipei (1943), Costin Cazaban (1946) et Violeta Dinescu (1953).