Josquin Des Prés
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».
Compositeur français (Picardie v. 1440 – Condé-sur-l'Escaut 1521 [ou 1524]).
Trois grandes périodes (que reprend H. Osthoff à la suite d'Ambros pour tenter un classement de ses œuvres) s'imposent : la jeunesse, soit la période milanaise (jusqu'en 1486) ; les séjours de Rome et Ferrare (1486-1505) ; le retour en France et dans les Pays-Bas (1505-1521). Ainsi se dégage l'importance des influences italiennes, qui, en se greffant sur une connaissance approfondie de l'art du contrepoint tel qu'il était pratiqué dans les pays du Nord, permit à Josquin Des Prés (ou plutôt Desprez) de dépasser les formes traditionnelles de son temps par un regard neuf sur les rapports du texte et de la musique. D'après le tableau de Claude Héméré (1633), il aurait été chantre à la collégiale de Saint-Quentin, mais les premières traces vérifiables de ses activités ne se situent qu'après son installation en Italie. Il fut « Giscantor » à la chapelle du Dôme de Milan (1459-1472), entra au service du duc Sforza (1474), puis du cardinal Ascanio Sforza, qui l'introduisit dans les milieux romains, appartint à la chapelle papale (1486-1494), avec toutefois quelques interruptions. On le signala alors à Milan, Paris, Plaisance, Modène (1487-88), Nancy (1493). En 1499, il quitta définitivement Rome pour Ferrare et entra dans la chapelle du duc Hercule Ier, qui le chargea de recruter des chanteurs à l'automne 1501 en Flandres. Glaréan nota son voyage à la cour de Louis XII avant son retour en 1503 à Ferrare, où il demeura jusqu'à la mort du duc (1505). Eut-il ensuite des démêlés avec la cour de France ? Toujours est-il qu'on le retrouva à Saint-Quentin (1509), puis en 1515 à Condé-sur-l'Escaut, où il termina son existence comme doyen-prévôt.
Les contemporains le regardaient déjà comme le plus grand maître de son temps, et, jusque vers 1600, ses œuvres furent citées dans les écrits théoriques (cf. Glaréan, Spataro, Lampadius, Gaffurio, Castiglione, Luther, etc.) ; beaucoup servirent de modèles et furent transcrites, notamment pour luth. Elles se répandirent encore par la tradition manuscrite, mais l'imprimerie musicale leur assura bientôt une plus vaste diffusion ; Petrucci imprima 3 volumes de Messes (1502, 1505, 1514) ainsi que des fragments de messes (Fragmenta missarum) en 1505, tandis que ses chansons paraissaient à Anvers (Susato, 1545), Paris (Attaingnant, 1549 ; Le Roy et Ballard, 1555). Près de 20 messes, 5 credo, 2 sanctus, plus de 100 motets, plus de 70 chansons nous sont parvenus ; près de 150 œuvres sont d'attribution discutable.
Il n'y a pas à proprement parler un type de messe josquinienne, chacune ayant ses particularités. Dans la ligne de Dufay, Josquin construisit certaines messes sur un cantus firmus profane (les deux messes l'Homme armé), ou utilisa parfois le principe de la missa parodia (Malheur me bat, Fortuna desperata, Mater Patris). Les constructions en canon correspondaient à son goût pour les problèmes d'architecture et d'écriture (cf. notamment celle des ténors). Le principe d'imitation continue à toutes les voix s'affirmait comme une marque essentielle (messe Hercules Dux Ferrarie et messe Pange lingua, son chef-d'œuvre) ; il est lié à la division du groupe vocal (soprano-ténor/alto-basse) et à un souci constant de mettre en valeur le sens figuratif émotionnel du texte par des figures types à valeurs symboliques. Utilisant aussi parfois le cantus firmus ou même l'isorythmie, appliquant le principe de l'imitation continue ou libre (pour les textes des psaumes), les motets peuvent être jugés supérieurs aux messes. En tout cas, ils deviennent chez lui la forme religieuse libre par excellence : Josquin s'y affranchit des contraintes de la messe, donne libre cours à son imagination créatrice et à sa virtuosité. Il ne craignit pas d'en écrire une quarantaine à cinq ou six voix, le reste étant, comme les messes, à quatre voix. Il y apparaît comme un maître incontesté du contrepoint, l'héritier d'Ockeghem, d'Obrecht et Busnois, mais tendu vers la recherche d'un équilibre (parole/musique, harmonie/polyphonie, mélodie/rythme), d'une alliance subtile entre l'émotion et le métier artisanal (cf. Ave Maria, Miserere, Stabat Mater). Son œuvre profane comporte, outre des frottole, des chansons (sur des textes français, italiens, latins) à 3 voix (typiques du xve siècle), mais aussi à 4 (Mille Regretz), et 25, dont 17 en forme de canon, à 5 et 6 voix (Baisiez-moi à 6 voix et triple canon ; Nymphes des bois, Déploration sur la mort d'Ockeghem à 5 voix). Toutefois, la puissance sonore n'étant pas recherchée pour elle-même, il est rare que le cadre de l'écriture dépasse quatre parties. Abandonnant pour ainsi dire le poème à forme libre et le respect du découpage par vers, la chanson, malgré son cadre étroit, profite comme le motet des procédés d'écriture de la messe, même si le genre ne semble pas avoir été le but privilégié des efforts du compositeur. Une page comme Mille Regretz peut être considérée comme l'exemple parfait de l'alliance du texte et de la musique, du dosage des voix, du sens du verticalisme. Dans ce domaine encore, Josquin fait figure de précurseur et de génie. Héritier de tout le xve siècle, il pénétra de plain-pied dans celui de la Renaissance. De sa gloire et de sa grandeur témoignent ces fameuses paroles de Luther : « Josquin est le maître des notes, elles se plient à ses ordres, tandis que les autres restent sous leur dictée. »