Aleksandr Sergueïevitch Dargomyjski
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire de la musique ».
Compositeur russe (Troitskoie, aujourd'hui région de Toula, 1813 – Saint-Pétersbourg 1869).
« Un petit homme en redingote bleu pâle, avec un gilet rouge et affligé d'une invraisemblable voix de fausset », tel apparaissait à ses contemporains Dargomyjski, fils de riches gentilshommes campagnards. Très tôt, il prit des leçons de piano, violon et alto et lorsque, en 1840, il fréquenta les salons de Saint-Pétersbourg, il brilla par sa virtuosité pianistique et par l'aimable tournure de ses premières compositions (pièces pour piano et mélodies). En 1833, Joukovski et Koukolnik le présentèrent à Glinka qui lui prodigua ses encouragements. Le succès de la Vie pour le tsar de Glinka décida Dargomyjski à écrire un opéra ; mais il ne s'orienta pas, comme ce dernier, vers des sujets nationaux, leur préférant des sujets romantiques français. Un premier projet, Lucrèce Borgia (d'après Hugo), n'ayant pas abouti, il entreprit, malgré les conseils de ses amis, un opéra Esméralda, dont il composa lui-même le livret d'après Notre-Dame de Paris de Hugo (1838-1841) ; l'œuvre ne fut acceptée qu'en 1847 et montée l'année suivante avec un médiocre succès. Entre-temps, un voyage le mena de Vienne à Paris et Bruxelles (1845) : il y rencontra Auber, Halévy, Meyerbeer et se lia d'amitié avec Fétis. À son retour, Dargomyjski, toujours à la recherche de sa voie, termina un opéra-ballet, le Triomphe de Bacchus (1848), qui ne fut monté que dix-neuf ans plus tard, sans succès. Désemparé par de tels délais et décidant d'être enfin lui-même, il se retira en 1853 sur ses terres, ne passant qu'une partie de l'hiver dans la capitale, où il organisait soirées et réunions musicales privées. Moussorgski, en 1856, y fut admis et par la suite y amena ses amis. Dans ce climat, Dargomyjski termina, en 1855, un projet caressé depuis longtemps, la Roussalka, d'après Pouchkine, puis entreprit le Convive de pierre (Don Juan), toujours d'après Pouchkine, mais la mort ne lui permit pas de l'achever. Selon ses instructions, Cui réalisa les dernières pages et Rimski-Korsakov orchestra l'œuvre.
Dargomyjski eut sur la musique russe une influence considérable en complétant l'action de Glinka. Tournant le dos à l'esthétique d'Auber et d'Halévy visible dans ses premiers essais de théâtre lyrique, il chercha à développer un aspect que Glinka, à ses yeux, a négligé : les éléments dramatiques (cf. scène de la folie du meunier, dans Roussalka). Si sa grande manière naturaliste ne se révélait pas d'une façon évidente dans la Roussalka (l'orchestration est empâtée, le découpage traditionnel, et l'imitation de Glinka complaisante), une innovation d'importance y apparaissait : le récitatif. « Je veux que le son exprime directement le mot. Je veux dire la vérité. » Tel était son but et, essayant de cerner les rapports étroits de la musique, du texte et de la parole, il poussa à l'extrême dans le Convive de pierre cette recherche de la déclamation lyrique prise aux sources même de la vie. Il fit, en effet, lire le texte de Pouchkine à des comédiens, nota leur déclamation, la compara aux inflexions de la voix parlée naturelle. La ligne mélodique vocale qu'il adopta fut ainsi une sorte de traduction juxtalinéaire du poème de Pouchkine, visant l'expression pure et juste, la vérité psychologique et dramatique. Cette quête remit en cause le découpage traditionnel : le Convive ne compte pas un seul chœur, seulement deux chansons ; tout le reste est récitatif. Lors de sa création, en 1872, l'œuvre connut auprès d'un public amateur de mélodies flatteuses, d'effets pittoresques, un échec encore plus grand que celui de la Roussalka. C'est pourtant là qu'il faut chercher les origines de Boris Godounov ou du Mariage de Moussorgski, de Mozart et Salieri de Rimski-Korsakov ou du Joueur de Prokofiev. La paternité de l'école nationale est bien partagée entre Glinka et Dargomyjski.