roman à thèse
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
L'expression « roman à thèse » a le plus souvent une résonance péjorative. Paul Bourget, considéré comme un maître du genre, a ainsi distingué la « littérature à idées, genre légitime » et la « littérature à thèse, genre essentiellement faux » : il définit ses propres romans comme des « romans d'analyse » et donne comme exemples de romans à thèse les romans de George Sand et de Hugo, fictions développées pour « illustrer » le bien-fondé d'une thèse politique humanitaire. En fait, même si subsiste jusqu'à nos jours une littérature romanesque de divertissement, on peut avancer qu'il n'y a pas depuis le milieu du xviiie siècle de roman important sans « thèse » sous-jacente. Dans le « roman à thèse » au sens étroit, la structure romanesque n'est pas commandée par la dynamique interne du roman, mais par une démarche intellectuelle qui lui est extérieure et dont le roman apparaît comme l'illustration ou la démonstration. L'objet peut en être philosophique (romans mystiques de Huysmans, roman existentialiste de Camus), idéologique (le Disciple de Bourget), ouvertement politique (les Chiens de garde de Nizan). Le roman à thèse apparaît ainsi comme un substitut et comme parfois un double romancé de l'essai discursif. Il s'inscrit dans l'actualité immédiate et peut avoir un objectif circonstanciel : le Dernier Jour d'un condamné appuyait la campagne de Hugo pour l'abolition de la peine de mort.
Le genre repose, au fond, sur la certitude et la vertu – à tout le moins sur la transparence et la prégnance de l'idée –, et fleurit en période de conflits idéologiques et sociaux aigus : la France de la fin du xixe s., celle de l'entre-deux-guerres, la Russie de la seconde moitié du xixe s.
Entre le pur « roman à thèse » et le roman « idéologique » (par exemple les Communistes d'Aragon), il existe quantité de formes intermédiaires, soit que le talent du romancier donne à la démonstration une vie autonome (les Démons de Dostoïevski sont-ils ou non un roman à thèse ?), soit que l'auteur prête à un personnage l'expression directe de ses idées (Vautrin dans le Père Goriot), soit qu'il use de digressions plus ou moins longues (chez Fielding, des chapitres entiers), qu'il en fasse un roman dans le roman (« le Grand Inquisiteur » dans les Frères Karamazov) ou qu'il prolonge son roman en considérations idéologiques (la 4e partie de Guerre et Paix).