littérature de langue d'oc
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Le domaine de l'ancienne littérature du midi de la France était celui qui recouvrait l'aire linguistique d'oc, englobant les provinces du Béarn, de la Gascogne, du Limousin, de l'Auvergne, du Languedoc jusqu'au Velay et au Vivarais, du Dauphiné du Sud, de la Provence, du Val d'Aran en Espagne et d'un certain nombre de vallées alpines situées dans le Piémont italien.
Le premier âge de la littérature du Midi s'est développé par le canal du « limousin ». Elle débute de très bonne heure par des œuvres religieuses et morales : un poème sur la Passion (xe s.), d'autres sur Boèce (xie s.), sur Sainte Foi d'Agen, des poésies lyriques dédiées à la Vierge et des sermons. De la poésie profane, qui n'est pas moins antique, les plus anciens spécimens conservés sont les chansons de Guillaume IX, comte de Poitiers (1071-1127). Ces premières manifestations littéraires allaient engendrer une poésie originale et savante, jeune et raffinée qui va être le creuset et le véhicule d'un mythe parmi les plus importants dans l'histoire de l'Occident : l'amour courtois.
Les principaux représentants de cette poésie sont Bernard de Ventadour, Jaufré Rudel, Raimbaut III d'Orange, Arnaut de Mareuil, Arnaut Daniel, Bertran de Born, Pèire Vidal, Folquet de Marseille, Raimbaut de Vaqueyras, Gaucelm Faidit, Guilhèm Figueiras, Guiraud Riquier, Guiraud de Borneil. À la période primitive appartiennent également des satiriques vigoureux comme Marcabru, Gavaudan, Pèire d'Auvergne, qui ont particulièrement exercé leurs talents dans les luttes politiques de l'époque, notamment au moyen du sirventès. Cette poésie, propagée par Aliénor d'Aquitaine et les seigneurs de son temps, était inséparable de la brillante civilisation à laquelle mit fin la croisade albigeoise. Toujours est-il qu'à partir du xiiie siècle la littérature « provençale » déclina et c'est en vain que des poètes bourgeois essayèrent d'en prolonger l'existence et l'éclat, en particulier par le développement des sujets religieux, tentative à laquelle se voua l'académie toulousaine du « Gai Saber ».
Si, à travers la chanson, le descort, la tenson, le planh, le partimen, la poésie lyrique est la création la plus originale des troubadours, celle par laquelle leur art s'est imposé à l'admiration et à l'imitation de toutes les nations voisines, une autre création qui devait faire fortune hors de son pays d'origine est celle de la nouvelle, ou roman de mœurs, qui a laissé au moins un chef-d'œuvre, le roman anonyme de Flamenca (vers 1280). Un autre grand texte illustre, en provençal classique, la poésie historique ; il s'agit de la Chanson de la croisade contre les albigeois. La poésie épique n'est guère représentée que par Girart de Roussillon (xiie s.), et le théâtre, par une Passion du xive siècle ainsi que par des Mystères de la fin du xve.
Une nouvelle période de la littérature « romane » commence dans la seconde moitié du xvie siècle avec Pey de Garros, apôtre en Gascogne d'une véritable renaissance. Presque en même temps que lui, de grands poètes baroques ou truculents, comme Louis Belaud de la Bellaudière, Robert Ruffi et Michel Tronc, donnèrent le même exemple en Provence. En Gascogne même, Garros fut suivi par Du Bartas, Ader, Larade, Baron, d'Astros, Bedout, mais le « Malherbe de la langue d'oc » fut le Toulousain Pierre Goudelin (ou Goudouli). Dans d'autres régions, le français avait largement supplanté la langue d'oc, mais cela n'empêcha pas l'exploitation continue de la veine provençale. Brueys, Saboly, Jean Michel, François Gros, Pierre Bellot en Provence, Augier Gaillard, Daniel Sage, l'abbé Favre en Languedoc, les frères Rigaud à Montpellier, Azaïs père et fils à Béziers, J. Foucaud et F. Richard en Limousin, Peyrot de Pradinas en Rouergue, F. de Cortète en Agenais : voilà, parmi d'autres, autant d'écrivains qui maintinrent, dans toute la variété anarchique des dialectes d'oc, l'existence d'une poésie et qui illustrèrent à des degrés divers l'âge classique dans le Midi.
Dès la fin du xviiie siècle, qui vit se développer un burlesque occitan (J. B. Fabre, Germain, Estagniol), s'annonce le troisième âge de la littérature d'oc. À son origine, Antoine Fabre d'Olivet, auteur d'une Langue d'oc rétablie dans ses principes constitutifs théoriques et pratiques, qui contient en germe toutes les idées qui allaient se répandre un demi-siècle plus tard. Après Fabre d'Olivet, c'est le coiffeur agenais Jasmin qu'il faut saluer comme l'annonciateur du mouvement félibréen avec, à ses côtés, le marquis de La Fare-Alais en Languedoc et Victor Gelu à Marseille.
Dès la fondation du félibrige on remarque, entre la haute stature littéraire de Mistral, les talents d'Aubanel et de Roumanille. Se dégagent aussi de la masse des figures qui méritent bien davantage que l'attention : Charloun Rieu, poète populaire ; Valère Bernard, peintre, graveur, poète et prosateur puissant ; Marius André ; Folco de Baroncelli-Javon, capable d'un lyrisme intense en accord avec les puissances de la nature ; Marius Jouveau, Joseph d'Arbaud, le meilleur prosateur, peut-être, de son époque (la Bête du Vaccarès).
La période postmistralienne est marquée par la naissance de l'occitanisme, qui se démarquera très vite de la tradition félibréenne : tournant le dos au provincialisme et à l'émiettement territorial, il a pris comme terrain d'étude et de réflexion l'espace de la langue d'oc, prônant l'unification graphique de celle-ci (système d'Alibert), tout en sauvegardant les originalités régionales fondamentales. On rattachera à l'occitanisme les noms de Charles Camproux, Jorgi Reboul, Max Rouquette, Roger Barthe, Robert Lafont et Yves Rouquette qui engageront la littérature d'oc contemporaine sur des voies neuves. La jeune littérature occitane (Larzac, Bec, Bodon, Petit, Pécout, Gardy...), le théâtre (Théâtre de la Carriera), la chanson (Marti, Patric, Marie Rouanet, Mans de Breich...) ont parfois épousé après 1968 les thèses protestataires de l'occitanisme. Bien que plus attachée à une certaine tradition, la Provence, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur du félibrige, a évolué vers une thématique plus moderniste et vers une écriture qui a su se dégager des poncifs localistes. Les meilleurs exemples de cette mutation sont les poètes Max-Philippe Delavouët, Jean-Calendal Vianès, René Méjean, René Jouveau, l'écrivain polymorphe Charles Galtier, le romancier Bernard Giély ainsi que les représentants d'une chanson provençale dynamique et populaire.
C'est la reparution de la revue Oc, sous l'Occupation, et la fondation en 1945 de l'Institut d'études occitanes, préparée dans la clandestinité dans les années antérieures, qui donnèrent à la littérature d'oc contemporaine l'élan et les outils nécessaires à un développement de qualité. Outre la publication d'Annales, de Cahiers pédagogiques et la tenue de colloques et de rencontres, c'est la création de plusieurs collections littéraires (« Messatges » pour la poésie, « Pròsa » pour la prose, « A Tots » pour la nouvelle et le roman, « Assags » et « Textes et documents » pour les essais, etc.) qui permit à de nombreux écrivains non seulement d'être publiés, mais de toucher un public plus élargi grâce surtout à un service de diffusion aujourd'hui parfaitement au point. Dans ce labeur difficile de promotion et de vulgarisation, le rôle de la collection « A Tots » (« À Tous ») fut déterminant. Lancée en 1972, c'est dans cette collection de plus de cent cinquante titres que des auteurs confirmés comme Jean Boudou, Max Rouquette, Jean Larzac, Pierre Gougaud, Pierre Pessemesse, Léon Cordes, Henri Mouly, Ferdinand Delèris et bien d'autres trouvèrent un éditeur attentif et un instrument de promotion particulièrement efficace. À partir des années 1960, d'autres collections virent le jour en Gascogne (« Per Noste »), en Rouergue (« Lo Grelh roergàs »), en Limousin (« Lo Chamin de Sent Jaume »), en Provence (« Prouvènço d'aro »), en Pays niçard (Serre), et même en région parisienne (« Les Amis de la langue d'oc »), faisant du livre d'oc un produit de consommation encore atypique mais dont l'audience tend à croître et à se banaliser.
L'extrême variété des thèmes abordés par la littérature d'oc contemporaine (roman policier, science-fiction, sociologie, érotisme, récit picaresque...) lui confère un ancrage fort dans le mouvement culturel généré par l'expression des langues régionales de France. Cette constatation se trouve renforcée par une pratique de plus en plus vive de la traduction en français des œuvres d'auteurs majeurs (Boudou, Rouquette, Manciet, Lafont...), par une croissance de la traduction en langues étrangères et par une présence occitane de plus en plus remarquée dans les différents salons ou foires aux livres qui se tiennent tant à Paris qu'en province ou à l'étranger.
Malgré la baisse de la transmission orale et de son utilisation sociale, la langue d'oc affiche au niveau littéraire une créativité et une originalité qui ne se démentent pas, se matérialisant par une production annuelle d'environ une centaine d'ouvrages et qu'illustre également une bonne dizaine de périodiques de fort honorable tenue. Il y a aujourd'hui plusieurs centaines d'écrivains occitans d'inspiration très diverse et de courants variés capables d'exprimer toutes les angoisses, tous les désirs et les espoirs du monde contemporain. À ces données, il convient d'ajouter la réalisation de nombreux manuels, dictionnaires, lexiques et autres productions pédagogiques destinés à soutenir les efforts entrepris en faveur d'un enseignement plus généralisé de l'occitan, tant dans le domaine public que privé, condition désormais impérieuse à la survie de la langue.