littérature de colportage
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Cette littérature se caractérise par son mode de diffusion et sa présentation matérielle. Attesté dès le xvie s., le colportage des livres prospéra jusqu'au xviiie s. malgré une législation répressive. Des merciers ambulants se sont peu à peu spécialisés dans la vente de livres, passant dans les maisons, cabarets, cafés ou installant leur étalage dans la rue. Rendu libre par la Révolution, le colportage fut plus contrôlé sous la Restauration et le second Empire. Moyennant ces conditions, on estime officiellement le nombre des livres ainsi diffusés à 9 millions d'exemplaires. Un fait commercial devint ainsi un fait culturel, doublement marginal à la culture dominante, mais dont il est difficile de mesurer l'impact exact.
Une clientèle composite
Au xviie s., les clients étaient des lettrés, gens de robe, propriétaires terriens, marchands, nobles. Peu à peu, ils se diversifièrent et, au xviiie siècle, le colportage pénétra chez les paysans : ceux qui savaient lire suffisamment faisaient la lecture à la veillée. En même temps, il s'étendit davantage dans les villes parmi les artisans et compagnons. Au xixe s., parallèlement aux petits opuscules de la « Bibliothèque bleue », le fond de colportage s'augmenta de volumes plus importants, mais toujours de mauvaise qualité. Par leur prix (un franc et plus), ces livres ne purent cependant atteindre que la petite et moyenne bourgeoisie, tandis que la « Bibliothèque bleue », avec ses petits opuscules à quatre sous, demeurait l'apanage du petit peuple de culture souvent orale.
Le colporteur proposait des livres de piété, mais aussi d'enseignement, à l'usage des écoles (psautiers, vie de Jésus, vies de saints, cantiques, des A. B. C., des Livres d'arithmétique élémentaire). À côté de ceux-ci l'on trouvait aussi des ouvrages de magie, tels la Fabuleuse Explication des songes, le Grand Albert et le Petit Albert, le Miroir d'astrologie, l'Art de tirer les cartes, etc.
Le premier ouvrage « technique », imprimé dès le xve s., est le Calendrier des bergers, ancêtre des almanachs et des encyclopédies. À partir du xvie s. apparurent des conseils relatifs à la culture (Histoire générale des plantes et herbes, le Jardinier français) ou à la médecine vétérinaire (le Maréchal expert, la Guérison des bestiaux). Le colportage proposait aussi des modèles de correspondance, comme le Secrétaire français, le Secrétaire des dames, les Fleurs du bien-dire, et même un Jardin de l'honnête amour, manuel de correspondance destiné aux amoureux.
Canards, chansons et facéties
Jusqu'au xviiie s., les colporteurs « distribuent » des vies de saints dialoguées à la manière des mystères de la passion du Moyen Âge, mais aussi des titres appartenant au théâtre préclassique. Mais, au xixe s. des colporteurs se spécialisèrent dans les « canards », en concurrence avec la presse. Gazette du pauvre sous forme de feuilles volantes, le canard rapportait des faits divers vrais ou supposés. Il s'accompagnait souvent d'une complainte reprenant le récit de l'événement.
Lié à la littérature orale facétieuse, tout un secteur du colportage était voué à une certaine gouaille populaire. Les recueils de farces paysannes et le bien connu Till l'Espiègle, traduit de l'allemand, illustrent bien ce fait, de même que la Description des six espèces de pets ou Raison de se garder la santé, prêché le mardi gras par le père Barnabas, péteur en chef du village de vesse, province des étrons, ou un Gargantua qui ne doit rien à Rabelais, mais au personnage folklorique qui l'a inspiré. Divers textes du xviie et du xviiie s. comme la Malice des femmes, la Méchanceté des filles, la Misère des maris avec l'histoire plaisante des femmes qui battent leurs époux ou le Sermon des cocus, attestent un antiféminisme longtemps répandu. Ajoutons les œuvres poissardes du xviiie s., pièces de vers, chansons, parades et opéras-comiques dans la note du théâtre de la Foire, dont les œuvres de Vadé sont les plus célèbres (la Pipe cassée, les Lettres de la Grenouillère, les Quatre Bouquets poissards). Des vies de Cartouche ou de Mandrin donnaient un tableau de la vie de la pègre qui a fasciné les lecteurs bien avant les romans d'Eugène Sue.
Le Bonhomme Misère, maintes fois réédité depuis 1719, et une série de plaintes versifiées marquèrent l'arrivée du petit peuple des villes dans la clientèle du colportage : la Peine et Misère des garçons chirurgiens, la Misère des domestiques, la Misère des garçons boulangers, la Misère des tailleurs. À partir de 1786, l'Almanach du Bonhomme Richard, avec ses sentences morales et pratiques prônant le labeur acharné et l'économie en est un signe révélateur.
Les récits romanesques
Dans la littérature de colportage, les romans viennent de trois fonds successifs. Le plus ancien est formé de romans de chevalerie : Huon de Bordeaux, l'Histoire des quatre fils Aymon, les Conquêtes de Charlemagne, Pierre de Provence et la Belle Maguelonne, Galien Restauré, le Roman de la Belle Hélène de Constantinople, Robert le Diable, l'Histoire de Jean de Paris. Ces romans qui mêlent amour et exploits guerriers sont les ancêtres des romans populaires sentimentaux. Vint ensuite la mode des contes de fées à la fin du xviie s. : quoique souvent déformés, ils connurent un véritable succès populaire au xviiie s. qui se prolongea bien après la Révolution. Enfin, au xixe s. une nouvelle littérature compléta et, dans une certaine mesure, concurrença le colportage. Déjà, Ducray-Duminil (mort en 1819) fut de son vivant un auteur populaire avec des œuvres reproduites pendant trois quarts de siècle (Victor ou l'Enfant de la forêt, Cœlina, le Petit Orphelin du hameau, Paul ou la Ferme abandonnée, les Cinquante Francs de Jeannette, Petit Jacques et Georgette, le Petit Carillonneur, Lolotte et Fanfan). Mais, à partir de 1840, les romans publiés en feuilletons dans la presse ou par livraisons eurent de plus en plus de succès et amenèrent la disparition progressive du colportage : les derniers colporteurs travaillèrent dans les années 1930.