littérature ougaritique
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
On appelle ougaritique l'écriture, la langue, la littérature et la civilisation provenant de l'antique État d'Ougarit, en Syrie du Nord, qui prospérait au IIe millénaire av. J.-C. C'est en 1929 qu'une mission archéologique française a mis au jour sur le site de Ras Shamra, à une douzaine de kilomètres du port syrien de Lattaquié, les vestiges d'une antique cité qu'on a pu assez rapidement identifier avec l'ancienne ville d'Ougarit. Les fouilles effectuées depuis cette date révélèrent une civilisation foisonnante et en partie composite, puisque marquée plus ou moins fortement par divers apports étrangers (mésopotamiens, égyptiens, égéens, hittites). Les découvertes épigraphiques furent particulièrement étonnantes. Un nombre considérable de textes ont été exhumés, rédigés au moyen de cinq systèmes d'écriture, les cunéiformes assyro-babyloniens, les hiéroglyphes égyptiens, l'écriture chypro-minoenne, les hiéroglyphes hittites, et une nouvelle écriture cunéiforme. Ces écritures transcrivent huit langues différentes, dont le sumérien, l'akkadien, l'égyptien, le hittite, le chypro-minoen, le hourrite, le hittite hiéroglyphique, et une langue notée par la nouvelle écriture cunéiforme. On a pu établir que cette dernière était un alphabet composé de trente signes notant une langue ouest-sémitique et datant du xive s. av. J.-C., ce qui en fait le plus riche et le plus ancien alphabet ouest-sémitique complet que nous connaissions. On a donné à cette écriture alphabétique et à la nouvelle langue ouest-sémitique qu'elle révélait le nom d'ougaritique.
Les tablettes retrouvées dévoilent quelques faits de l'histoire de la cité-État d'Ougarit, qui a connu son apogée au xive et au xiiie s. av. J.-C., et ont livré un véritable trésor littéraire. À côté des documents administratifs et économiques, souvent brefs et qui constituent plus de deux tiers des textes exhumés, des textes divinatoires, qui imitent généralement le modèle babylonien, de quelques fragments de textes médicaux, indiquant des recettes ou des prescriptions accompagnées souvent d'épisodes mythiques qui sont censés en confirmer la validité, ou encore des textes hippiatriques, concernant la guérison des chevaux frappés de diverses maladies, un assez grand nombre de lettres présentent de précieux spécimens de la prose ougaritique et reflètent un état de langue plus récent que celui de la langue de la poésie, puisque ces documents s'étalent du xive s. jusqu'à la destruction d'Ougarit, v. 1180 av. J.-C. La prose et la poésie se trouvent associées dans de nombreux rituels ougaritiques. Les rituels royaux en particulier (impliquant la participation du roi dans diverses actions sacrées, comme, par exemple, le bain rituel) peuvent contenir une prière rythmée, marquée par l'emploi du « parallélisme » ou celui de la cadence ternaire, adressée à une divinité, en l'occurrence le dieu Baal.
Cependant, du point de vue strictement littéraire, les textes mythologiques et épiques d'Ougarit sont de loin les plus importants et les plus révélateurs, car il s'agit de poèmes dont la forme et la composition obéissent aux règles de l'ancienne poésie sémitique. Celle-ci, dont la Bible hébraïque a conservé quelques échantillons, n'est pas fondée sur la rime, mais sur le rythme et la cadence, ce qui permet de supposer que ces poèmes étaient surtout destinés à être récités et même, dans certains cas, chantés ou psalmodiés, comme une mélopée qu'on peut, encore de nos jours, entendre en Orient.
Parmi les poèmes mythologiques, le principal ensemble est centré sur la geste du dieu Baal : on relate ainsi le combat qu'il doit livrer au dieu-Mer, Yam, ou encore celui qui l'oppose à son ennemi acharné Môt, personnification de la mort et de la sécheresse, de la chaleur et du monde souterrain où il réside, tandis que Baal est, lui, l'incarnation de la vitalité et de la fertilité, dont la puissance et la pluie fécondante sont les indispensables agents. Le jeune et puissant dieu de l'Orage est aidé dans ses bienfaisantes entreprises par sa sœur et amante la déesse Anat, qui joue un rôle essentiel dans le processus de la fertilité, elle qui est la maîtresse des Sources, et également par la déesse-Soleil, Shapash, la « lampe divine » et le dieu forgeron Kothar, le « capable et l'habile », alors que le « père des dieux », le grand El, vieillard chenu, contemple d'en haut, avec indolence et indulgence – parfois en compagnie de son épouse, la déesse Athirat –, le remue-ménage des dieux et des déesses. Car ce sont les dieux qui sont les principaux personnages des poèmes d'Ougarit, des dieux anthropomorphisés, bien sûr, dans leurs aspects physiques, leurs agissements et comportements, leurs sensations et sentiments. Si les divinités interviennent seules dans les poèmes mythologiques, elles jouent également un rôle capital dans les poèmes épiques ou légendaires, celui du roi Keret, ou celui de Danel et Aqhat.
La poésie ougaritique se sert également d'autres procédés, comme la « règle du parallélisme », déjà connue dans les textes poétiques de la Bible hébraïque, selon laquelle le second vers exprime les mêmes faits ou les mêmes idées que le premier vers mais avec d'autres mots ou images parallèles. On peut aussi déceler, dans ces poèmes, des figures de style (métaphores, métonymies), des figures de construction (gradations, anaphores, inversions, comparaisons), ainsi que l'allitération et l'emploi systématique de la « paire de mots » (ou « binôme »). S'y reflètent, d'autre part, les contraintes de la littérature orale, qui obligeait à employer certaines formules rythmées, stéréotypées et conventionnelles. En dépit de ces servitudes, les poèmes ougaritiques dégagent un charme particulier, car, si leurs descriptions sont précises et si leurs dialogues ont un accent de vérité, ils n'excluent ni l'émotion ni l'humour.
Le déchiffrement des tablettes d'Ougarit nous a ainsi révélé d'importants échantillons de la littérature ouest-sémitique au iie millénaire av. J.-C., dont on n'avait pu jusqu'alors que soupçonner l'existence et dont on retrouvera les traces ou les échos dans les très maigres vestiges de la littérature phénicienne, transmis par les inscriptions phénico-puniques du ier millénaire av. J.-C., et surtout dans certains textes de la Bible hébraïque.