littérature néolatine
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
Les progrès des langues vulgaires dans tous les domaines littéraires, intellectuels et spirituels et la laïcisation de la culture à partir du xive s. ont progressivement réduit l'emploi du latin ; parallèlement, le latin médiéval, véritable langue vivante, vecteur de savoir et outil de communication entre clercs de l'Europe entière a été critiqué par les premiers humanistes comme Pétrarque ou son ami Boccace, en attendant L. Valla et ses Élégances. Passionnés par tous les aspects de la civilisation antique, ils ont préconisé un retour au style cicéronien pour la prose ou au modèle virgilien pour la poésie et condamné, comme barbares et gothiques, les particularités du latin médiéval (syntaxe influencée par les langues vernaculaires, lexique non classique accueillant de nombreux néologismes). Suivi par les érudits italiens puis français du xve s., ce classicisme a substitué au latin médiéval ce que les spécialistes ont récemment nommé le néolatin.
Ce néolatin, réservé à une élite lettrée, s'est coupé du monde environnant et est devenu une langue morte ou au moins figée dans ses règles, ce que n'avait jamais été le latin très évolutif du Moyen Âge. Répandu à travers toute l'Europe savante du xve s. au xviie s., il est devenu le ferment et le ciment de qu'on a pu appeler la « République des lettres », permettant à un L. Valla, un Érasme, un Budé, un Buchanan d'être lus, de la Pologne au Portugal, de la Grèce à l'Écosse, par tous les lettrés.
Par opposition aux langues vernaculaires universellement vécues comme imparfaites et labiles, même par un Montaigne, qui s'exprime pourtant en français, le latin est perçu comme une langue redevenue parfaite et éternelle : tout ce qui est grand ou important doit donc être écrit dans cette langue qui a plus de vingt siècles d'existence, et qui demeurera pour longtemps encore la langue des inscriptions et de l'enseignement. La pédagogie des jésuites, par la formation oratoire et la pratique du théâtre, joue un rôle de diffusion déterminant, en concurrence avec l'érudition gallicane de l'aristocratie parlementaire. La nature de l'éloquence, les techniques du discours ou de la composition poétique, le programme des études, tout se définit en fait par rapport au latin, langue souple et riche, jugée sans rivale dans l'expression des raffinements philosophiques et littéraires. Philologues et rhétoriciens s'efforcent d'en proposer un modèle idéal directement dérivé des grands textes antiques : le texte latin se fait langue. Mais le mérite de ce purisme est de favoriser la prise de conscience de la nécessité d'une langue proprement littéraire et de définir par là même un espace où pourra se développer la « littérature ». Est-ce un hasard si les cicéroniens les plus fervents comme P. Bembo en Italie, Dolet et Ramus en France sont aussi ceux qui ont le plus œuvré pour le développement d'une littérature dans la langue nationale ? La littérature française classique se constituera (de Du Vair à Guez de Balzac et Patru, de Malherbe à La Fontaine) sur un calque latin.
Par delà la sphère proprement littéraire – mais la « littérature » s'entend et se pratique à l'époque moderne de manière beaucoup plus large qu'aujourd'hui – le néolatin est la langue des historiens (P. Vergile, Le Ferron, de Thou), des juristes (Alciat, Cujas), des philologues (Budé, Camerarius, Turnèbe, Lambin, Le Roy, Lipse), des philosophes et théologiens (Melanchthon, Sanchez). On l'emploie dans les traités d'érudition, les polémiques, les correspondances entre savants et même une partie de la production poétique (en Italie, Marulle, Fracastor, Sannazaro ; en France, Gerson et Alain Chartier, avant Salmon Macrin, M. de Saint-Gelais ou du Bellay). Il a joué un rôle important dans la Renaissance : il suffit de penser à Érasme, à Budé, à Jules César Scaliger, théoricien de la poésie classique et poète lui-même, à Marc-Antoine Muret, modèle à Rome de la parfaite latinité, ainsi qu'aux poèmes latins de J. Second ou de Buchanan. Langue de la critique littéraire, de l'érudition, des sciences (Copernic, Kepler, Harvey ; Linné publiera encore ses travaux en latin), de la philosophie (Descartes, Spinoza, Leibniz), certains l'emploient pour des œuvres plaisantes ou satiriques. Le latin restera en usage au parlement et dans l'Université, et le français classique s'imposera avec beaucoup de difficultés aux « doctes » qui le considéraient comme le véhicule d'une culture frivole, celle des femmes et de la jeunesse dorée de la cour. Le siècle de Louis XIV accompli, le français jouant désormais le rôle de langue de culture de l'Europe lettrée, le latin ne sera plus guère que l'apanage des collèges et des pédants. La réforme de 1880 substituera, dans les épreuves du baccalauréat, la composition française à la composition latine et, la même année, le dernier discours latin sera prononcé en Sorbonne. Mais les candidats au titre de docteur soutiendront, jusqu'en 1910, une thèse complémentaire en latin.