dada ou dadaïsme

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Ce mouvement international d'artistes et d'écrivains, né d'un intense dégoût envers la guerre, dit à sa manière la faillite de la civilisation occidentale. Refusant toute contrainte idéologique, morale ou artistique, il prône la démoralisation, le doute absolu, la spontanéité. Paradoxalement, son activité de déconstruction des langages aboutira à quelques œuvres majeures. À Zurich, le 8 février 1916, au cabaret Voltaire, Hugo Ball, Tristan Tzara, Marcel Janco, Richard Huelsenbeck, Hans Arp, Emmy Hennings, puis Hans Richter inventent le mouvement Dada, empruntant un nom choisi au hasard. À l'origine, il s'agit de résister au dépérissement de l'esprit en mettant en relation les avant-gardes artistiques européennes pendant une dizaine d'années. La revue Cabaret Voltaire réunit ceux qui refusent patriotisme et guerre. La revue Dada poursuit ce programme en intégrant les données de l'expressionnisme allemand et du futurisme italien. Le Manifeste Dada 1918 de Tzara enregistre un tournant négateur qui rejoint l'activité subversive de Francis Picabia, de Man Ray et de Marcel Duchamp à New York (1913), et le ton de la revue 391.

Dada sera très actif à Paris, de 1920 à 1923, où Tzara s'installe, attendu par Aragon, Breton, Soupault. De soirées en expositions et manifestations, Dada déploie sa dramaturgie scandaleuse et répétitive, répand des tracts et des revues aussi inventives qu'éphémères. Mais que Breton tente, en 1922, de réunir un congrès pour définir l'esprit moderne, est le signe que Dada n'est plus d'actualité. La soirée du « Cœur à barbe » (1923), pièce de Tzara, marque un affrontement du surréalisme naissant au dadaïsme. À la fin de la guerre, en Allemagne, Dada eut un sens plus politique. Huelsenbeck fonde, à Berlin, le Dada Club (1918-1921) avec la participation notamment de Raoul Hausmann et de George Grosz : il s'attaque violemment à la bourgeoisie et au conformisme de Weimar. Inventeurs du photomontage, les dadaïstes berlinois se donnent, par ce moyen, une forme d'expression politique. À Cologne, Hans Arp, Max Ernst, Baargeld fabriquent des collages (Fatagaga). À Hanovre, Kurt Schwitters concilie, dans sa revue Merz, le constructivisme avec Dada, dont il prolonge l'effet au-delà de 1924. De Zurich, Dada essaime en Italie, aux Pays-Bas avec Théo Van Doesburg. Il a des adeptes à Bruxelles, en Pologne, en Hongrie, en Espagne, jusqu'au Japon.

En dépit de son aura légendaire, Dada ne saurait être limité à une chronique scandaleuse, ni à un ensemble de techniques artistiques nouvelles (frottage, collage, photomontage, ready-made) : le refus de tout système n'implique pas une négation absolue. Ses œuvres portent témoignage des valeurs inhérentes à l'homme créateur, et d'une « cohérence primitive » (Jacques Rivière). Dada ne se conçoit que dans un rapport d'opposition au public, surtout s'il est cultivé, et souhaite faire table rase du passé, et dissoudre l'organisation sociale. Pour ce faire, il s'attaque principalement au langage. Il déconstruit le poème ainsi que tous les genres, soulignant la fonction créatrice de la parole. Toute l'activité de Dada est poétique, qu'elle passe par le canal du geste incongru, du poème à rebours, du pastiche, de l'interférence des rythmes ou même qu'elle soit dans le seul fait d'exister. Plus tard, Tzara fera observer qu'« on peut être poète sans jamais avoir écrit un vers. » Et Tzara justifiait l'écriture par la formule : « On écrit pour chercher des hommes. » C'est un groupe non hiérarchisé qui ne se reconnaît pas de porte-parole. S'il est parfaitement à l'aise dans son jeu consistant à faire éclater les formes traditionnelles de l'art, Dada ne réussit pas à modifier le lieu théâtral : une manifestation dans le terrain vague de Saint-Julien-le-Pauvre est un échec, et la dialectique de la provocation est vite dominée par le sérieux lors du procès Barrès en 1921. (Barrès, considéré comme l'homme de la droite et de la guerre, fut condamné à vingt ans de travaux forcés, pour « crime contre la sûreté de l'esprit » et reniement de ses idéaux de jeunesse, par un jury composé de spectateurs.) On est en droit, en revanche, de parler d'un théâtre Dada avec les sketches de Breton et de Soupault (S'il vous plaît, Vous m'oublierez, 1920), les pièces parfaitement construites de G. Ribemont-Dessaignes (le Serin muet, l'Empereur de Chine, 1916 ; le Bourreau du Pérou, 1926), les collages verbaux de Tzara dans la Première puis la Deuxième Aventure céleste de M. Antipyrine et le Cœur à gaz (1921). Ces différentes pratiques orales, scripturales, verbales revendiquent un monde autre, fondé sur une logique nouvelle, et une pratique créative non réservée aux « artistes ».