littératures créoles

Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».

Le mot a commencé par désigner des animaux ou êtres humains nés dans l'outre-mer colonisé et y faisant souche. La « belle créole » était souvent une mulâtresse claire, le Blanc créole était de la caste des colons, le Nègre créole différait du « bossale », débarqué d'Afrique... Les parlers créoles des colonies françaises, importés des provinces maritimes avec quelques ajouts indécidables, africains surtout, ont servi dans la communication entre maîtres et esclaves, d'esclave à esclave et de colon à colon. Ils sont largement compréhensibles d'un territoire à l'autre, dans le cadre d'une même langue-souche ; seuls quelques outils grammaticaux diffèrent : « je porte » se dit m'appoté en Haïti, en ka poté en Guadeloupe. Le raccourci est la règle. Ainsi, écrite selon la phonologie et non l'étymologie, la formule d'attribution ba-w signifie « pour vous », via l'ancien verbe bailler signifiant donner. Le bilinguisme – créole et français – a été officialisé en Haïti et aux Seychelles ; ailleurs, le kréyol parlé a subi la répression des langues régionales, la hiérarchie diglossique qui l'a relégué en des emplois domestiques, familiers, cependant qu'il coexiste avec l'anglais à Maurice, à Sainte-Lucie, à la Dominique. Les drames scolaires de l'apprentissage forcé du français ont été mis en scène de façon réjouissante par R. Confiant (Ravines du devant-jour, 1993) et P. Chamoiseau (Chemins d'école, 1994).

Quant au kréyol matjé (« marqué », écrit), il a été inséré dans des textes extérieurs à titre folklorique (Léon Hennique), ethnographique (Lafcadio Hearn) ou politique : « quelle est votre ascendance » s'est écrit : « ki coté papa zott vini » dans une adresse à la population de couleur de Saint-Domingue, signée de Bonaparte, Primié Consul, 17 Brimère de l'an X. Il est présent dans des poèmes de colons du xviiie siècle, des catéchismes et des fables (Fab Compè Zicaque, 1958, du Martiniquais Gilbert Gratiant) ; dans les romans Atipa (1885), du Guyanais Parépou, et Dézafi (1975), chef-d'œuvre du Haïtien Frankétienne ; ainsi que dans le théâtre : Antigone créole (1953) et Diacoute (1953 ; 1972) du Haïtien Morisseau-Leroy, Agénor Cacoul (1966) du Martiniquais Georges Mauvois. L'oraliture créole se retrouve également dans des contes régulièrement lancés par la formule « cric, crac », des proverbes, des chansons (Choucoune, en Haïti), des tracts syndicaux ou religieux.

Le créole écrit et lu à haute voix se révèle remarquablement efficace chez François Marbot, qui inversa dans un sens conservateur des fables émancipatrices de La Fontaine « travesties » (les Bambous, 1846). La poéticité de ses métaphores exprime merveilleusement les doucines de l'amour et les limbés de la séparation. La portée anthropologique et humoristique de ses syntagmes, figés dans les devinettes et anecdotes, a été largement exploitée par les romanciers haïtiens depuis Jacques Roumain (Gouverneurs de la rosée, 1944) et en Martinique par les écrivains dits de la créolité.

Mais cette force singulière tend à s'exténuer par l'extension des langues métissées – créole francisé et français créolisé – dans les émissions de radio, de télévision, les panneaux publicitaires, et dans une chansonographie en expansion continue.

Le corpus littéraire demeure cependant presque exclusivement de langue française, même en Haïti et a fortiori en Guadeloupe, en Guyane et en Martinique, où le romancier créoliste Confiant a renoncé à écrire en créole.