Turquie
Cet article est extrait de l'ouvrage Larousse « Dictionnaire mondial des littératures ».
On considère actuellement que les « inscriptions » de l'Orkhon et de Ienisseï, écrites en dialectes göktürk et ouïgour (732 et 735 apr. J.-C.), sont les premiers textes de la littérature turque, avec les écritures trouvées lors des fouilles de Tourfan. Certains de ces écrits relatent l'acceptation de la religion manichéenne par Bügü khaghan, chef des Ouïgours, et appartiennent à la période préislamique. Après l'islamisation des Turcs, on assiste, en Asie centrale, au développement des littératures karakhanide, kharezmehah et djaghataï (ces dénominations correspondent aux dynasties qui se sont succédé).
La littérature karakhanide s'étend du xe au xiiie s. Sous la dynastie karakhanide, les arts et les lettres sont florissants en Asie centrale : Yusuf Khass Hadjib (Yusuf Has Hâcib) traite, en dialecte ouïgour et sous une forme poétique, de la nation, de l'État, de la justice et de la foi (1069-1070), tandis que Mahmud al-Kachgari écrit, contre l'envahissement de l'arabe, un dictionnaire de la langue turque (1072-1074). Il faut encore citer, pour cette période, les noms d'Ahmad ibn Mahmud Yügnäki (Edib Ahmed bin Mahmud Yükneki) et de Ahmad Yasawi (Ahmed Yesevi) [mort en 1166]. La littérature des Kharezmchah atteint son épanouissement au xive siècle. Quant à la littérature djaghataï, qui correspond au règne de Timur Lang (Tamerlan) et de ses fils (1370-1507), elle est caractérisée par le développement de la langue turque (dialecte djaghataï ou tchagatay) aux dépens du persan, langue « noble » parlée dans les palais. Il faut compléter ce classement chronologique de l'histoire de la littérature turque par une division géographique : les Oghouz, Turcs venus d'Asie centrale, sont passés par l'Europe orientale et les Balkans pour arriver jusqu'à la Méditerranée. Pour cette raison, on a l'habitude de faire, à partir du xiie s., une distinction entre les Oghouz occidentaux (Anatolie occidentale) et les Oghouz orientaux (installés dans la région de l'Azerbaïdjan), qui parlaient le dialecte azerî (ou azéri). De la même façon, on parle de « littérature azer et de « littérature turque d'Anatolie » . Dans la littérature azerî, le dialecte azerî n'a été utilisé, au xiie s. et au xiiie s., que pour les œuvres folkloriques, tandis que les ouvrages classiques étaient écrits en persan. Ainsi, en Anatolie, au temps du sultanat seldjoukide de Rum Sultan Veled (1226-1312), Ahmed Fakih, Seyyad Hamza et Yunus Emre (vers 1238 – v. 1320), grand poète populaire, écrivent en turc, alors que Mevlana Djalal an-Din Rumi (Mevlânâ Celâled-din Rûmî, 1207-1273), fondateur de l'ordre des Derviches tourneurs (Mevlevî), écrit en persan. Ce n'est qu'au cours du xive siècle que le dialecte azerî s'est implanté dans la littérature classique, avec Kadi Burhaneddin (1344-1398), Nesimî (mort en 1404) et surtout le poète Fuzuli (1480 ou 1494 ?-1556).
Au xve s., pendant la période djaghataï, on peut donc faire une distinction entre Turcs de l'Ouest et Turcs de l'Est. Les grands écrivains orientaux sont : Mir 'Ali Chir Nava'i (Ali Sogonir Nevaî, 1440-1501), poète et penseur, défenseur de la langue turque, et les poètes Yusuf Emirî et Lûtfî. Les « Occidentaux » demeurent sous l'influence des littératures arabe et, surtout, persane, très prisées dans la vie de palais des sultans. Au xve s., à côté des œuvres de Sogonieyhi (1375-1431), d'Ahmed Pasogonia Bursah (mort en 1497) et d'Isa Necatî (mort en 1509), celles de deux mystiques célèbres, Haci Bayram Veli (mort en 1429) et Esogonirefoglu Rumî (mort en 1469), ainsi que les écrits de Süleyman Celebi (mort en 1422) prennent place dans l'histoire de la littérature. À ces grands noms de la littérature djaghataï, il faut ajouter ceux de Husayn Bayqara (Hüseyin Baykara, 1438-1506), de Muhammad Chaybani (Sogonieybani, mort en 1510) et de Kul Ubeydî. Babur (Baber 1483-1530), fondateur de l'Empire moghol en Inde, a écrit en prose une sorte de chronique historique, et Ebül gazi Bahadir Han (1603-1663 ou 1664), une généalogie turque.
La littérature ottomane
Au xvie s., on assiste à la décadence de la littérature djaghataï, tandis que la littérature azerî – et son grand représentant Fuzuli – prend une importance accrue. C'est l'époque de la littérature « classique » ottomane, de la poésie du divan (influencée par le persan et l'arabe) avec Baki (1526-1600), Bagdath Ruhî (mort en 1605), Taslicali yahya (mort en 1582), Zâtî (1471-1546), Nev'î (1533-1559), Lamiî Celebi (1472-1532) et Fazlî Celebi (mort en 1563). Tandis que Âsik Celebi (1520-1572), Hasan Celebi Kinalizade (1546-1607), Ahdi, Edirneli Sehî (mort en 1548) et Latifî (1491-1542) se distinguent en prose, Mahremi Tatavlali (mort en 1535) et Edirneli Nazmi tentent de turquiser la langue poétique. Alors que fleurit la littérature populaire avec Kul Mehmed et Öksüz Dede et que le courant mystique se prolonge avec Ümmü Sinan (mort en 1551) et Ahmed Sârban (mort en 1546), pour la première fois Pir Sultan Abdal et Köroglu abordent les problèmes sociaux de leur temps.
Au xviie s., la langue écrite prend ses distances à l'égard de la langue parlée, provoquant l'apparition de deux tendances littéraires, l'une proarabe, l'autre proturque. Koçu Bey Risalesi et Evliya Celebi (1611-1682) sont les représentants de la tendance proturque pour la prose, Nergisî (mort en 1635), Veysî (1561-1628) et Abdülaziz efendi Karaçelebizade (1591-1658) s'en tenant à la tradition arabo-persane. Les poètes du divan – Nef'i (1572-1635), Seyhül-islâm Yahya (1553-1644), Azmizade Haletî (1570-1631), Nevizade Atâî (1583-1635), Nailî (mort en 1666), Fehim (1627-1648) et Nabi (1641-1712) – s'opposent aux poètes « populaires » Asiik Ömer, Gevherî et Karacaoglan. Le grand prosateur de l'école du divan est Kâtip Celebi (1609-1657), connu sous le nom de Haci Halife.
Au xviiie s., la vie littéraire ottomane est très active. La première imprimerie est fondée en 1727. On traduit alors de nombreuses œuvres persanes et arabes : Yirmisekiz Mehmet Celebi (mort en 1732) tente une simplification de la langue, et Naima (1655-1716) rédige un livre d'histoire. Un courant moderniste apparaît, lié à un certain désir de rapprochement avec la civilisation occidentale. Les grands noms de la poésie du divan sont Seyh Galib (1757-1799), Nedim (1680-1730) et Koca Ragib Pasogonia (1699-1763), tandis que Fasihî, Sogoniermi, Sezaî (1669-1738), Safayî (mort en 1781), Salim, Sogon Seyhî et Ramiz (1718-1784) illustrent le courant populaire et mystique. L'affrontement entre la littérature populaire et la littérature savante se prolongera jusqu'au milieu du xixe s. Il faut noter que ceux qui ont voulu simplifier et rendre plus naturelles la langue et la littérature turques ont été plus sensibles à l'influence de l'Europe qu'à celle de la littérature populaire. Celle-ci se distingue d'abord de la littérature savante par la forme : alors que la poésie arabo-persane, et par là la poésie ottomane classique, repose sur une métrique quantitative, la poésie populaire est fondée sur les syllabes et sur leur nombre. La production poétique populaire la plus courante est le mâni, sorte de quatrain lyrique, tandis que le destan est la forme de la poésie épique ou narrative. Cette poésie populaire n'était pas « récitée », mais chantée, les poètes, en même temps musiciens, s'accompagnant du saz, instrument à cordes rudimentaire : on les appelait d'ailleurs saz sogoni sairleri.
À cette littérature populaire tombée en décadence au début du xixe s. il faut ajouter les différents genres du théâtre populaire : le meddah, l'orataoyunu et le karagöz. Le meddah était un conteur d'histoires réalistes et drolatiques, ayant pour accessoires un bâton et un mouchoir dont il se servait pour contrefaire sa voix. L'ortaoyunu (« jeu du milieu ») correspond à peu près à nos farces du Moyen Âge. Le spectacle n'a pas lieu sur une scène, mais au milieu du public, avec des accessoires rudimentaires. Il fait intervenir acteurs, musiciens et danseurs. Les acteurs se réduisent essentiellement à deux personnages : un lettré (Pisekâr) et un vaurien (Kavuklu). Les personnages féminins (secondaires) étaient joués par des hommes, ce qui permettait d'entretenir une équivoque qui se voulait comique. Le karagöz est non pas un théâtre d'ombres, mais la projection sur un écran d'images colorées translucides. Ces silhouettes présentent toujours un même profil. Le spectacle est accompagné au tambourin et à la flûte. Bien que l'islam ait interdit la représentation d'êtres vivants par le dessin ou la sculpture, le karagöz a été, après une courte phase d'interdiction, toléré en raison de son symbolisme mystique. Pour le théâtre populaire comme pour le théâtre classique, on ne dispose de sources précises qu'à partir du xvie s. On a connaissance dès la période préislamique d'une forme théâtrale liée à la religion chamaniste en Asie centrale. On évoque, à côté du théâtre populaire, un théâtre villageois qui semble avoir été la survivance d'anciennes réjouissances religieuses, et en particulier d'un vieux culte phallique.
L'ère des réformes
Vers 1840 commence une ère de réformes qui va durer quelque quarante ans, jusqu'à l'absolutisme d'Abdülhamid II : c'est l'ère du Tanzimat. Parallèlement se développe un mouvement littéraire auquel participent Chinassi (1826-1871), fondateur de la presse turque, simplificateur de la langue et auteur de nombreuses traductions d'œuvres françaises ; Namik Kemal (1840-1888), poète, journaliste, dramaturge et historien, considéré comme le père de la littérature moderne (il écrit le premier roman « turc » et la première pièce de théâtre « turque », jouée en 1873). Aux côtés du romancier Samipasogonisazade Sezai (1860-1936) et du poète Abdülhak Hâmid Tarhan (1852-1937), on distingue des poètes et des prosateurs comme Ahmed Midhat (1844-1912), Recaizade Mahmud Ekrem (1847-1914), Ziya Pasogonisa (1825-1880) et, dans un second temps, Nabizade Nâzim (1862-1893), Ismail Safa (1867-1901), Muallim Naci (1850-1893), Halid Ziya Usogonisakligil (1866-1945), Mehmed Rauf (1875-1931) et Cenab Sogonisahabeddin (1870-1934).
Avec le règne d'Abdülhamid II commence, du point de vue littéraire, une phase moins active. Cependant, en 1891, Ahmed Ihsan Tokgöz (1868-1942), traducteur de romanciers français, crée un nouveau mouvement : Edebiyati Cedide (Nouvelle Littérature), appelé aussi littérature du Servet-i Fünun (Trésor des sciences), dont la direction est assurée à partir de 1901 par Tevfik Fikret (1867-1915). On retrouve dans ce mouvement des écrivains tels que Cenab Sahabeddin et Halid Ziya Usakligil , mais aussi Hüseyin Cahid Yalçin (1867-1942), Süleyman Nazif (1869-1927) et Ahmed Hikmet Müftüoglu (1870-1927). À l'écart du mouvement, Hüseyin Rahmi Gurpinar (1864-1944) et Ahmed Rasim (1864-1932) décrivent, dans le jargon de la bureaucratie impériale, la vie populaire et les milieux littéraires de l'époque. Il en est du théâtre comme de la littérature : à la phase de libéralisme, qui se manifeste avec la fondation par Güllü Agop (1840-1891) d'un théâtre ottoman (le théâtre, jusque-là, avait surtout été le fait d'auteurs et d'acteurs arméniens tels que Bedros Heronimos Atamyan, Tomas Fasulyeciyan et Mardiros Minakyan), succède une période de pression politique sur les auteurs, qui écrivent souvent en cachette. Après la chute d'Abdulhamid II, les idées libérales purent de nouveau apparaître au grand jour. En littérature, le mouvement Fecriati (l'Aube à venir), dont la grande figure fut Ahmed Hâsim (1883-1933), s'inspire en poésie des symbolistes français et en prose d'Anatole France et de Maurice Barrès.
Cependant, l'esthétisme littéraire va disparaître devant le nationalisme au moment de la guerre des Balkans. Avant la guerre, on distingue déjà trois tendances : le panislamisme (ittihad-islâm), représenté surtout par Mehmed Âkif (1873-1936), pour lequel la morale musulmane et la solidarité islamique doivent être le remède à toutes les maladies sociales ; l'ottomanisme (Osmanlilik), qui prône l'union de tous les sujets de l'Empire sans distinction de races et de religions ; enfin, le « turquisme » (Türkçülük) et le « touranisme » (Turancilik).
En 1911, à Istanbul, un publiciste originaire d'Azerbaïdjan, Ahmed Agaoglu (1868-1939), et un officier natif du Turkestan, Yusuf Akçura (1879-1935), fondent la revue Türk Yurdu, qui devient l'organe de l'association Türk Ocaklari (Foyers turcs), dont font partie Ahmed Hikmet Müftüoglu, Halide Edip Adivar (1884-1964), Hamdullah Suphi Tanriöver (1886-1966) et Köprülüzade Mehmed Fuad. Ce mouvement absorbe un autre groupe, celui de la revue Genç Kalemler (Jeunes Plumes, 1911-1912), dirigée par le nouvelliste Omer Seyfeddin et le poète et critique Ali Canib ; ce groupe veut utiliser le turc parlé comme langue littéraire. La défense de la langue courante contre la langue littéraire est menée surtout par Ziya Gökalp (1876-1924), poète et sociologue, qui souhaite également redonner sa valeur à l'ancienne littérature folklorique et préislamique ; c'est dans ce sens que Ziya Gökalp est considéré comme l'inspirateur du touranisme.
La littérature contemporaine
La guerre et la révolution kémaliste amènent une rupture brutale avec la vieille culture orientale. En 1928, l'alphabet latin remplace l'alphabet arabe. Prose et poésie se développent, de 1920 à 1940, selon les mêmes lignes. Les poètes de la république – mis à part Yahya Kemal Beyatli (1884-1958) et Ahmet Hasim (1883-1933) qui continuent à utiliser la métrique de la littérature du divan – emploient une langue simple et des formes métriques régulières (métrique syllabique dite hece) ; ainsi Orhan Seyfi Orhon (1890-1972), Yusuf Ziya Ortaç (1895-1967), Faruk Nafiz Camlibel (1898-1973), Kemalettin Kamu (1901-1948), Enis Behiç Koryürek (1891-1949).
Nazim Hikmet Ran (1902-1963), qui débute en employant le hece, devient le plus grand représentant du vers libre. Décrivant la destinée des peuples d'Anatolie et commentant la guerre d'indépendance, il ouvre de nouvelles voies à la littérature tout en proposant un regard révolutionnaire sur la société turque de son temps. Dans le genre de la nouvelle, Sait Faik Abasiyanik (1906-1954) et Sabahattin Ali (1906-1948), qui ont pris la succession de Ömer Seyfeddin (1884-1920), de Halide Edip Adivar, de Yakup Kadri Karaosmanoglu (1889-1974) ou de Resat Nuri Güntekin (1889-1956), renouvellent à partir de 1935 la littérature turque, l'un par des nouvelles dont l'action est en général située à Istanbul, l'autre en puisant ses sujets dans la vie anatolienne.
Sans avoir participé à la Seconde Guerre mondiale, la Turquie subit, entre 1940 et 1945, d'importantes transformations sur le plan social et culturel. Elle se trouve à un carrefour d'influences opposées, tant dans le domaine des choix politiques que dans celui de l'expression des idées et des sentiments. Orhan Veli Kanik (1914-1950), Melih Cevdet Anday (né en 1915) et Oktay Rifat (1914-1988) abolissent la rime régulière et disloquent les règles métriques afin de se consacrer à l'expression de la vie quotidienne et des sentiments de l'homme de la rue. Au cours des mêmes années se font connaître Cahit Sitki Taranci (1910-1956), Asaf Halet Celebi (1907-1958), Bedri Rahmi Eyüboglu (1913-1975), Cahit Külebi (né en 1917), Behçet Necatigil (né en 1916), Nahit Ulvî Akgün (né en 1918), Ömer Faruk Toprak (né en 1920), Fazil Hüsnü Daglarca (né en 1914), Necati Cumali (1921-2001), Ceyhun Atuf Kansu (1919-1978), Attilâ Ilhan (né en 1925), Rifat Ilgâz (1911-1993) et Ahmed Akif (1925-1991). La « génération » suivante, qui se révèle au cours des années 1950, a de la poésie une conception quelque peu différente de celle de ses aînés ; composée de Turgut Uyar (né en 1927), d'Edip Cansever (né en 1928), de Cemal Süreya (né en 1931), de Metin Eloglu (né en 1927), d'Ümit Yasar (né en 1926) et de Hasan Hüseyin (né en 1927), elle est rejointe par une « nouvelle vague » avec Ahmed Oktay (né en 1933), Gülten Akin (née en 1933), Bekir Sitki Erdogan (né en 1926), venu tardivement à la poésie, et Ülkü Tamer (né en 1937). Le grand représentant de la poésie populaire, toujours accompagnée du saz, reste Âsik Veysel (1894-1973).
Contrairement à la volonté de simplicité, voire de simplification, du style manifestée par les romanciers, les poètes font usage depuis les années 1960 d'une langue difficile, complexe tout autant dans la forme que dans le fond. La plupart d'entre eux participent à la révolution poétique connue sous le nom d'Ikinci Yeni, mais s'en détachent au milieu des années 1960 pour suivre les voies de l'engagemernt politique.
Émergence de la prose
Une grande partie des prosateurs qui succèdent à Sait Faik Abasiyanik et à Sabahattin Ali traitent de la misère matérielle et dénoncent les injustices sociales qui touchent paysans et travailleurs des villes. On qualifie habituellement le genre qu'ils pratiquent de « réalisme social ». Au cours des années 1940 et 1950, les lecteurs turcs éprouvent un regain d'intérêt pour les « anciens » qui continuent à écrire : Samet Agaoglu (né en 1909), Kemal Bilbasogoniar (1910-1983), Sanim Kocagöz (né en 1916) et Halikarnas Balikçisi (1887-1973). Le grand nom de la nouvelle réaliste est sans conteste Orhan Kemal (1914-1970). À ces noms il faut encore ajouter ceux d'Oktay Akbal (né en 1923), de Haldun Taner (né en 1916) et ceux, déjà connus dans la poésie, de Necati Cumali et de Rifat Ilgâz. Ce dernier écrit sur un ton humoristique et satirique, tout comme le grand maître contemporain de la nouvelle, Aziz Nesin (né en 1915). À ces talents confirmés et à Burhan Arpad (né en 1910) succèdent Mehmet Seyda (né en 1919), Tarik Bugra (né en 1918), Vüs'at O. Bener (né en 1922), Zeyyad Selimoglu (né en 1922), Nezihe Meriç (née en 1925), Talip Apaydin (né en 1926), Leylâ Erbil (née en 1931), Yilmaz Güney (1931-1984), surtout connu comme cinéaste, Orhan Duru (né en 1933), Ferit Edgü (né en 1936), Bekir Yildiz (né en 1933), Selim Ileri (né en 1949), Ümit Ilhan Kaftancioglu (né en 1934) et Osman Sahin (né en 1938). Tous ont pour thèmes privilégiés la vie et les difficultés des paysans d'Anatolie.
Depuis la fondation de la République, la plupart des romanciers turcs choisissent d'écrire dans un style simple et direct. Si dans les années 1950, les courants existentialiste et surréaliste influencent un certain courant (les auteurs dits « de la nausée »), la tendance dominante reste le roman rural, souvent à thèse, représenté notamment par Kemal Tahir, Fakir Baykurt ou Tarik Dursun K. De rares auteurs élaborent une œuvre romanesque originale, sans se rattacher à aucune école : Ahmet Hamdi Tanpinar (1901-1962), Yusuf Atilgan (1921-1989) ou Oguz Atay (1934-1977), dont les Ratés (1970) sont un texte fondateur de la modernité turque. Les romancières féminines traitent souvent de la vie intérieure de l'individu, des grands bouleversements du siècle vécus dans les consciences : Adalet Agaoglu, Peride Celal ou Nezihe Meriç.
Naissance d'un théâtre occidental
Par ailleurs, le xxe s. voit le développement du théâtre en Turquie. Dans ce domaine, la grande innovation est l'apparition, au début du siècle, d'actrices pour tenir les rôles féminins, jusque-là tenus par des hommes – ou par des Arméniennes – pour des raisons religieuses. Un théâtre national est créé en 1923. Les acteurs de la troupe Darülbedayi, fondée en 1913-1914, se dispersent pour animer de nouvelles troupes. Ceux qui restent dans la troupe initiale sont dirigés de 1916 à 1966 par Celâl Esat Arseven et forment en 1934 le Théâtre de la Ville d'Istanbul. Dans les grandes villes se constituent d'autres troupes privées, qui ne bénéficient pas du soutien de l'État. Enfin, en 1949, est fondé à Ankara un théâtre d'État, qui effectue des tournées à l'intérieur de la Turquie et à l'étranger. Toutes les troupes présentent aussi bien des œuvres classiques étrangères que des créations nationales, comme celles de Cevat Fehmi Baskut (1905-1971), d'Ahmet Muhip Dranas (né en 1909), de Güngör Dilmen Kalyoncu (né en 1930), de Haldun Taner (1915-1986), etc. Marquée par la disparition (1979) de Musin Ertugrul, la vie théâtrale est essentiellement représentée par Basar Sabuncu (né en 1943), qui exploite le thème de l'aliénation, Vasif Öngören (1938-1984), qui prône un théâtre brechtien, Mehmet Baydur (1951-2002), Murathan Mungan (né en 1955) et de nombreux dramaturges de l'absurde.
Depuis 1980 : facettes multiples d'une littérature
Les difficultés économiques rencontrées au cours des dernières décennies, les entraves apportées, au lendemain de l'intervention militaire du 12 septembre 1980, à la liberté d'expression entraînent tout d'abord une diminution sensible du volume de la production littéraire. Mais, depuis 1985 et encore plus depuis le milieu des années 1990, une restructuration du monde de l'édition, puis le dynamisme croissant du roman ont transformé le paysage littéraire turc. La poésie n'a malgré tout pas tant souffert : parmi les poètes de la jeune génération, Yasar Miraç compose ses « chansons » à consonance sociale en puisant dans le folklore de la région de Trabzon ; Ahmet Erhan se fait le chantre de la nuit et de la mort ; poètes confirmés, Fazil Hüsnü Daglarca, Ahmed Arif et Hasan Hüseyin pratiquent un lyrisme généreux et d'accès facile, tandis qu'Edip Cansever, Hilmi Yavuz (né en 1936) et Özdemir Ince (né en 1936) empruntent des voies plus hermétiques. Inspirée par la grande ville, une nouvelle génération de poètes pratiquent des jeux intellectuels dans le cadre d'un Istanbul souverain : Enis Batur (né en 1952), Küçük Iskender (né en 1964).
À la recherche de nouveaux thèmes et de nouvelles techniques, une majorité de romanciers choisissent d'exploiter les possibilités du roman historique : Ahmet Altan (né en 1950), Orhan Pamuk (né en 1952) ou Mario Levi (né en 1957). Par ailleurs, Demir Özlü (né en 1935), Selim Ileri (né en 1949) et Nedim Gürsel (né en 1951) tentent de traduire les angoisses et les attentes des élites citadines. Loin des thèmes figés de la littérature du terroir, plusieurs auteurs réexplorent la province turque, sous l'angle d'un tragique universel : Tahsin Yücel (né en 1933) et Hasan Ali Toptas (né en 1958). Parallèlement à l'épanouissement d'une importante littérature féminine illustrée par des personnalités aussi diverses que Leylâ Erbil (née en 1931), Füruzan (née en 1935), Tomris Uyar (née en 1941) et Latife Takin (né en 1957), les dernières années ont également vu l'émergence d'une littérature pour enfants et adolescents (récits ou bandes dessinées), qui indique aussi la création d'un marché nouveau, d'une édition à l'occidentale.
Littérature turque des Balkans et de Chypre
Dans les anciennes provinces ottomanes (Macédoine, Kosovo, Bulgarie) et dans la république de Chypre du Nord se poursuit une production littéraire peu connue : vouée (dans les Balkans) à la conservation du « modèle républicain », cette littérature (de la poésie et des recueils de nouvelles essentiellement) présente un cas intéressant de décalage par rapport à la production turque. Les auteurs principaux sont, pour Chypre, Özker Yasin (né en 1932), Taner Baybars (né en 1936), qui a effectué une carrière bilingue comme poète anglais, et Fikret Demirag (né en 1940), infatigable animateur de revues littéraires chypriotes.